BD, Tome 58, Ph. PEYRON, 650 ans de présence cistercienne en Forez, La Bénisson-Dieu, Valbenoîte et Bonlieu, pages 16 à 50, Montbrison, 1999.
650 ans de présence cistercienne en Forez, La Bénisson-Dieu, Valbenoîte et Bonlieu
Les Cisterciens sont apparus en Forez en 1138, date à laquelle fut fondée l’abbaye de La Bénisson-Dieu au nord du comté par les soins de Bernard de Clairvaux, devenu ainsi le père immédiat du monastère.
Nous célébrons cette année le 9e centenaire de l’existence des moines blancs depuis l’arrivée des compagnons de Robert de Molesmes à Cîteaux. Cette étude a pour but de faire un rappel des connaissances sur leur passagede 650 ans en Forez ainsi qu’une mise au point bibliographique du sujet. La Bénisson-Dieu eut deux “soeurs foréziennes “ : Valbenoîte, abbaye masculine, près de Saint-Etienne, née dans les dernières décennies du XIIe siècle et Bonlieu, au centre de la plaine, créé pour des moniales de l’ordre vers 1200.
Trois monastères qui ici comme ailleurs ont marqué la société, l’économie et le paysage de leur temps, pour se fondre au cours des siècles dans le modèle général, réagir parfois par la réforme, mais sombrer ensuite avec le rationalisme révolutionnaire (1).
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1.- L’arrivée des moines blancs et des moniales cisterciennes en Forez : la naissance des abbayes.
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Une fondation est le résultat de trois volontés : celle d’un seigneur local qui offre une terre, si possible un fond de vallée, base de l’implantation future, celle bien sûr d’un supérieur cistercien sollicité ou non, l’initiative venant parfois d’une maison trop peuplée et désireuse d’essaimer, celle enfin d’un seigneur plus puissant protecteur, ici le comte, cet ordre pouvant s’inverser ou être simultané. Une bulle pontificale confirme l’exemption dont bénéficient les abbayes cisterciennes, mais rarement voyons-nous une charte de fondation, tout au plus un acte confirmatif tardif. Ce même schéma se retrouve en Forez.
A – La Bénisson-Dieu au nord, la première abbaye du comté.
Nous connaissons avec certitude la date de fondation de ce monastère (2) car le chanoine de La Mure a relevé au XVIIe siècle une inscription visible alors sur un mur du couvent (3). C’est officiellement le 29 septembre 1138 que la Bénisson-Dieu a vu le jour.
Quels en furent les fondateurs ? Une charte de 1187 confirme les donations antérieures de deux petits seigneurs locaux, Girin de Bonnefont et Pons de Pierrefitte, de terres dans le voisinage immédiat du monastère (4). Mais ces personnages furent-ils de simples donateurs parmi d’autres ou les initiateurs de la fondation ? La modestie de ces bienfaiteurs fait plutôt pencher pur la première hypothèse même si leur rôle fut déterminant pour les cisterciens.
La Bénisson-Dieu est une fille directe de Clairvaux. Il en existe de nombreuses preuves. Vers 1139-1140 saint Bernard écrit à Foulques, nouvel archevêque de Lyon afin que ce dernier protège l’abbé Albéric, premier supérieur du couvent contre les bénédictins de Savigny qui possédaient le prieuré voisin de Noailly (5). Bernard de Clairvaux a donc présidé de près ou de loin à la fondation de La Bénisson-Dieu. On évoque volontiers la halte qu’il aurait pu faire en Forez en 1138 à son retour d’Italie après son intervention dans le schisme opposant Anaclet au pape Innocent II (6). Mais rien ne prouve que l’abbé de Clairvaux soit venu à La Bénisson-Dieu, les visites régulières pouvant être assurées par un prieur ou autre moine claravallien étant donné l’immensité de sa filiation et de son activité après 1130. La Bénisson- Dieu n’en demeure pas moins la 30e fille de Clairvaux.
B – Valbenoîte, une abbaye stéphanoise, au sud.
Sa fondation pose plus de questions. La date de fondation la plus couramment diffusée est celle de 1184. Elle repose sur un acte de donation et de protection accordé par le comte Guy II et son fils en faveur du monastère. Considéré longtemps comme une charte de fondation (7). E. Fournial a cependant remis en cause l’authenticité de cet acte et prouvé que le document était un faux ou plutôt un acte interpolé (8).
Le document le plus ancien de l’histoire de Valbenoîte devenait donc un statut tiré des chapitres généraux de l’ordre pour l’année 1191 (9). Il s’agit d’une pénitence imposée à l’abbé trop souvent absent de son monastère. En recoupant divers éléments tirés des textes interpolés mais fiables, on peut alors déterminer une fourchette établissant la fondation de l’abbaye stéphanoise entre 1181 et 1191 (10). La date de 1184 demeure donc possible.
Mais d’autres éléments sèment le trouble. Le 21 août 1222, eut lieu à Valbenoîte la pose de la première pierre de Valbenoîte par Guy IV de Forez (11). E. Fournial constate que près de quarante ans séparent la fondation supposée de cet événement. Un temps plus ou moins long s’écoulait entre la décision d’établir un monastère et les premières constructions solides. Or, L. Bernard après une étude architecturale du sanctuaire de Valbenoîte, décèle deux campagnes de construction, la première vers 1210 et la seconde après 1222 (12). Si l’on rapproche cela d’un document du XVIIIe siècle présentant les abbayes cisterciennes par l’ordre de préséance de leurs abbés aux chapitre généraux, c’est à dire l’ordre de leur fondation, on trouve la date de 1213 pour Valbenoîte (13). Ce monastère aurait-il connu deux étapes de fondation ? Les années 1180-1190 auraient été celles de la mise en place d’un projet, alors que les années 1210 – 1222 seraient marquées par une implantation durable (14). Un même décalage existe à Bonlieu.
Les donateurs laïcs locaux sont Briand de Lavieu et Pons de Saint-Priest. Ils figurent dans l’acte interpolé de 1184 et suscitent le doute pour E. Fournial. Leurs familles sont anciennes et possessionnées dans la région de Saint-Etienne. N’avaient-elles pas intérêt à être les fondatrices d’une abbaye (15) ?
La paternité cistercienne est plus sûre. Le nom de Bonnevaux, 7e fille de Cîteaux apparaît régulièrement dans les statuts des chapitres généraux (16). Le fondateur cistercien est un disciple de saint Bernard, il s’agit de Hugues de Bonnevaux (1119-1194) déjà à l’origine de Silveréal (1173) en Camargue et de Valcroissant (1188) en Diois. C’est un personnage important de l’ordre de Cîteaux (17).
C – Un monastère féminin dans la plaine : Bonlieu.
Les origines du monastère de moniales sont peu précises. Bonlieu (18), selon la Gallia Christiana a vu le jour en 1199 à l’initiative de Guillème, épouse de Guy II de Forez, ces deux personnages y fondant leur anniversaire en 1211 (19). Les legs testamentaires des foréziens suivent, mais il faut attendre 1222 pour que le provisoire s’organise. Renaud de Forez, archevêque de Lyon et fils des fondateurs, agissant aux côtés de l’abbé de La Bénisson-Dieu et suivant les volontés maternelles, fixe à 30 le nombre des moniales lettrées et à 4 celui des converses. Aucune religieuse ne pourra être reçue contre de l’argent (20). Deux décennies ont été nécessaires pour organiser la vie monastique.
Si les fondateurs laïcs sont à chercher dans la maison comtale, il est bien difficile de déceler les filiations cisterciennes car les moniales blanches dépendent toujours d’une abbaye de moines. On a pensé que les moniales de Bonlieu pouvaient venir de Bellecombe en Velay, un des plus anciens couvents féminins de l’ordre et le plus proche (21), mais les premières moniales connues sont foréziennes (22). L’abbé de Mazan assumait donc la paternité de Bonlieu comme il était le père-immédiat de Bellecombe. Très vite cependant, c’est l’abbé de La Bénisson-Dieu qui assume cette charge. Il est qualifié de “provisor” du couvent féminin en 1222, c’est à dire pourvoyeur, ce qui en dit long sur la nature de sa fonction. Cette paternité est souvent exprimée. En mars 1284, elle est bien veillante. L’abbé cistercien donne la seigneurie directe sur plusieurs paroisses du voisinage de Bonlieu (23), mais en 1464 il s’agit d’y corriger les manquements à la discipline (24).
La Bénisson-Dieu et Bonlieu appartiennent à la famille claravallienne alors que Valbenoîte est dans celle de Cîteaux. Toutes trois sont cependant cisterciennes et à ce titre présentent des points communs.
II) L’épanouissement du modèle cistercien
A – Protections et spécificités cistercienne.
1 – Le rôle des comtes de Forez.
La famille comtale a été présente dans les trois fondations. Au XIIe siècle, le Forez n’a pas de monastères indépendants d’importance. C’est une terre de colonisation pour les abbayes bénédictines voisines : Cluny, La Chaise-Dieu, l’Ile-Barbe, Savigny ou Ainay. Les comtes, et Guy II en particulier, sont très attachés à l’ordre cistercien. C’est le jour de la Sainte-Croix 1182 qu’il se croise pour la Terre Sainte en l’abbaye de Cîteaux et c’est à La Bénisson-Dieu qu’il semble s’être retiré entre 1201 et 1204 (25). C’est de plus dans ce monastère qu’il élit sa sépulture. La Mure en a relevé l’épitaphe alors visible dans la salle du chapitre (26). Si ce geste n’atteste pas forcément une fondation comtale, il permet d’y voir une protection privilégiée pour ce qui fut la première maison religieuse du comté, d’autant plus que la tradition des sépultures allaient s’y établir un temps (27).
Bonlieu est une fondation comtale. Quel rôle y joua Renaud archevêque de Lyon? C’est plus en tant que légataire des volontés parentales qu’en tant que prélat qu’il intervient en 1222. L’immunité cistercienne s’oppose à ce qu’un évêque organise un monastère inscrit dans une filiation de l’ordre (28).
Lors de la pose de la première pierre de l’église de Valbenoîte, le 21 août 1222, c’est encore le comte de Forez qui agit (29). C’est une façon pour la maison comtale d’affirmer sa suzeraineté sur le Forez. Les libéralités outre les faveurs spirituelles qu’elles lui attirent, sont un élément de propagande politique. La Bénisson,-Dieu est fondé sur la frontière entre Forez et Mâconnais, en une zone aux limites floues. Les vicomtes de Mâcon, les Artaud, sont parmi les bienfaiteurs de l’abbaye (30), aussi le comte forézien tient à être présent au nord de son comté par de pieuses fondations. C’est peut-être aussi le cas de Valbenoîte, mais surtout à La Séauve, couvent de cisterciennes aux confins du Velay (31).
Aussi les donations comtales sont-elles nombreuses. Un certain nombre de granges monastiques en sont nées. En 1160, Guy II donne à La Bénisson-Dieu des terres situées entre l’Aix, Sainte-Foy, Saint-Sulpice et Nervieu, embryon de la grange de Riou, puis d’autres terres à La Brosse. Une charte confirmative accordée par Guy III en 1201 rappelle les donations comtales précédentes qui sont à l’origine de la grange de La Regardière dans les hautes chaumes, de Lina près de Mably et de Vèzelin dans la plaine auxquelles il faut ajouter Bigny près de Feurs, donnée par Guy II en 1206 (32).
Bonlieu n’a rien livré de l’origine de ses biens mais née d’une volonté comtale, on peut supposer que le meilleur de son temporel en émanait. A Valbenoîte, la manse des Gouttes citée en 1184, comme en 1222, est un bienfait du comte Guy II lui même. Son petit fils, Guy IV, réaffirme la protection de sa maison sur le monastère (33).
2- L’exemption pontificale.
Les cisterciens ayant toujours été, saint Bernard en tête, de puissants auxiliaires de la papauté, les pontifes leur l’ont rendu en faveurs, privilèges et protections.
Le 26 juin 1164, Alexandre III accorde depuis Le Puy, une bulle en faveur de La Bénisson-Dieu dans laquelle il rappelle celles de ses prédécesseurs, Innocent II et Adrien IV (34). Le privilège d’exemption y est réaffirmé. les cisterciens sont placés directement sous l’autorité pontificale ainsi que tous leurs biens. Ils sont dispensés de payer la dîme et l’excommunication sera prononcée contre leurs adversaires (35).
Le grand pontife, Innocent III accorde à nouveau la protection papale aux cisterciens foréziens, le 3 avril 1213, les exemptant totalement de l’autorité épiscopale (36), cette mesure n’empêcha pas, loin de là, les évêques d’apporter leur soutien et protection aux abbayes de Cîteaux (37).
Nous n’avons conservé aucun acte pontifical pour Valbenoîte, mais il en était de même (38), en revanche le fonds de Bonlieu a livré deux lettres d’Honorius III du 10 décembre 1224 consécutives à la charte de Renaud de Forez. Après un rappel des devoirs des moniales, le privilège d’exemption est rappelé. Les évêques doivent le respecter et le faire respecter (39). Grégoire IX promulgue une bulle similaire le 12 mai 1229, il y en aura d’autres (40).
3- Des noms et des sites cisterciens.
Parmi les éléments les plus caractéristiques de la spécificité cistercienne, il y a les noms que les moines donnent au lieu où ils s’installent en hommage à Dieu et à la Vierge puisque c’est sous son vocable qu’ils sont placés.
Les monastères foréziens n’échappent pas à la règle. La Bénisson-Dieu évoque la protection divine accordée à ce site. Il existe en Comminges une abbaye de ce nom (41). Il est à rapprocher de ceux de La Grâce-Dieu, La Merci-Dieu ou La Piété-Dieu.
Les deux autres toponymes célèbrent la nature bénéfique des lieux comme un remerciement à Dieu. Bonlieu se rencontre fréquemment chez les cisterciens, alors que le nom de Valbenoîte, le val béni, est à classer parmi les abbayes qui évoquent leur site de fond de vallée : Clairvaux, Vauclair, Valcroissant ou Bonnevaux (42).
Le choix du site est essentiel. Il détermine l’avenir du monastère, sa prospérité future. Les cisterciens de Forez ne semblent pas en avoir changé. Ils disposaient de l’eau nécessaire à la vie d’une communauté : la Teyssonne coule près de La Bénisson-Dieu, le Lignon chemine au sud de Bonlieu et le Furan borde Valbenoîte. Les deux abbayes masculines sont situées dans une vallée, site fréquent mais non obligatoire car l’eau seule importait. Par des biefs, elle était amenée jusqu’au monastère (43) et alimentait des roues à aubes, le Furan était jalonné de moulins.
Une vallée offrait en outre l’isolement et la rupture avec le monde. Elle favorisait le silence propice au recueillement et à l’humilité d’autant plus que leurs versants étaient couverts de forêts. Le bois qui en était extrait servait aux constructions, au chauffage ou à l’artisanat monastique. Il subsiste des lambeaux des forêts de La Bénisson-Dieu, celles de Valbenoîte existent en partie (44).
Mais ces terres souvent incultes, ces bois épais, ces broussailles et ces marécages, il fallait les bonifier, les dompter même, c’est à force de temps et de travail que les cisterciens et leurs hommes en vinrent à bout.
B – Le Moyen Age cistercien en Forez
1 – De l’indigence et fragilité des débuts…
La lettre de saint Bernard à l’archevêque Foulques déjà citée, comme celle d’Henri de Marsillac, autre abbé de Clairvaux, adressée à Alexandre III vers 1179(45) témoignent de la misère qui a présidée aux débuts de La Bénisson-Dieu. Ils sont les pauvres parmi les pauvres dit le premier, notre pauvre petite maison a été fondée en un lieu aride sur des terres stériles dit le second.
Cette précarité première est le lot de tout monastère car le temporel même lorsqu’il est important doit être valorisé, les bâtiments doivent être édifiés. L’abbatiale de La Bénisson-Dieu voit le jour dès 1140, selon A. Carcel. Ces difficultés expliquent les décennies de préparation nécessaires à l’existence de Valbenoîte et de Bonlieu, prieuré jusqu’en 1259 (46).
Un nouveau monastère doit aussi s’affirmer face à ses voisins. On a parlé de l’affrontement entre La Bénisson-Dieu et le prieuré de Noailly. les moines bénédictins, selon saint Bernard, multipliaient “les réclamations injustes et calomnieuses”, comme les gens de Bellecombe pourtant monastère e Cîteaux, outrepassaient leurs droits. La recherche de toutes les protections possibles n’était donc pas vaine (47). Forts des soutiens du siècle comme de l’Eglise, les cisterciens ont donc joué pleinement leur rôle dans la société médiévale forézienne.
2 – …au succès social des moines.
La Bénisson-Dieu, première maison religieuse du comté, occupe très vite une place à part. Son abbé, bien plus que celui de Valbenoîte, figure régulièrement lors des grands événements foréziens du XIIIe siècle (48). Il possède son sceau et un droit de titulature, témoigne aux côtés des comtes et des prélats, comme dans la charte de franchise octroyée par Guy IV aux habitants de Montbrison en novembre 1223 ou lors de la fondation de la collégiale Notre-Dame dans cette même ville (49). De même , il arbitre des conflits et reçoit des missions de son ordre (50).
Cependant à partir de 1270, le prestige de La Bénisson-Dieu s’émousse, l’abbé n’est plus le conseiller privilégié du comte, mais un supérieur de monastère parmi d’autres (51).
Le rayonnement d’un monastère se mesure à travers plusieurs paramètres, son temporel, nous le verrons, mais aussi son aire de recrutement. Un recensement des moines et moniales foréziens au Moyen Age permet certaines observations (52). Les abbés, surtout ceux de La Bénisson-Dieu viennent d’un vaste espace dépassant la province alors que les abbesses de Bonlieu sont issues pour l’essentiel de la plaine du Forez (53). Il en est majoritairement de même pour le moniales dont une partie est originaire de la bourgeoisie de Montbrison, du moins au XIIIe siècle (54). Les moines de Valbenoîte se recrutent surtout en Jarez, autour de Saint-Etienne et dans le haut Vivarais, alors que ceux de La Bénisson-Dieu proviennent du nord du Forez, mais aussi du Mâconnais, du Bourbonnais ou du Beaujolais. Plus la fonction est élevée et plus l’on vient de loin (55) et plus le monastère est important et plus son recrutement est large. Ceci n’empêche pas les échanges entre abbayes cisterciennes. Albéric, premier abbé de La Bénisson-Dieu vient de Clairvaux, Blanche de Lavieu professe de Bonlieu devient abbesse de La Séauve en 1388, etc.
Les effectifs de ces monastères ne furent jamais pléthoriques (56) et les trois abbayes ne firent aucune fondation. La place des cisterciens dans la société est aussi visible à travers tous les actes ultimes de la vie d’un homme. Les abbayes attirèrent les legs, les fondations d’anniversaire et les élections de sépultures (57). On recense une centaine de testaments sur lesquels les cisterciens figurent au Moyen Age. Les comtes y ont leur part (58), mais très vite la noblesse forézienne, les bourgeois et les clercs y vont de leurs dons (59). Le privilège limité des sépultures dans les couvents s’est élargi, des princes et des abbés, il s’étend désormais aux chevaliers qui les imitent. La Bénisson-Dieu conserve la pierre tombale d’Humbert de l’Espinasse inhumé en avril 1303 (60). Des familles s’installent ainsi dans les monastères pour leur éternité : les Raybe d’Urfé devant le maître- autel de Bonlieu, les Durgel de Saint-Priest à Valbenoîte (61). Ainsi les abbayes deviennent-elles un vaste cimetière respectant une hiérarchie stricte et se montrant toujours plus accueillantes avec le temps et les besoins d’argent. Mais l’essentiel des revenus venait des domaines valorisés par le travail des moines.
III) Les réalisations cisterciennes.
A – la constitution d’un patrimoine temporel
1 – Les modes d’acquisition.
L’origine des biens n’est pas toujours connue, elle demeure même assez obscure pour Valbenoîte et Bonlieu.
Si les comtes sont les donateurs des premières terres,les familles nobles et bourgeoises ont très vite imité leur générosité. Leurs donations souvent plus modestes ont permis de compléter les premiers biens et d’arrondir des domaines morcelés. On pourrait multiplier les exemples, citons celui de Bompar de Saint-Marcel qui avec son fils offrent à La Bénisson-Dieu en 1277 les fonds pour agrandir le domaine de Riou dans la plaine (62). Mais des chevaliers peuvent aussi être à l’origine d’une grange, ce semble être le cas à Valbenoîte avec la donation de Guyon de Jarez, seigneur de Rochetaillée, de biens autour de Pleiney (63). La bourgeoisie de Montbrison n’est pas en reste. Maître Giraud offre une maison à La Bénisson-Dieu en 1201, peut-être pour y établir une maison de ville nécessaire à l’activité économique des moines dans la capitale forézienne (64).
Les donations à titre gratuit nombreuses aux XIIe et XIIIe siècles, s’amenuisent progressivement jusqu’à 1250 car désormais par le rapport de leurs productions et les dons d’argent, les cisterciens disposent de numéraire qu’ils emploient à agrandir leur patrimoine. Les achats non conformes aux usages cisterciens se multiplient dans la deuxième moitié du XIIIe siècle. Dès 1201, l’abbé de La Bénisson-Dieu fait reconnaître par Guy III l’achat de terres à Chatuy fait à Otmar de Vernoil et Aymon de Chatoy contre 60 sous forts (65). De plus en plus, ce sont des droits et non des terres qui sont acquis contre argent Raymond de Bachers, abbé de Valbenoîte, achète pour 200 livres tournois, les dîmes de la Montagne, le 24 décembre 1360 (66). De même, des cens sont recherchés, ainsi les moines passent-ils du rôle d’exploitants en faire-valoir direct à celui de rentiers du sol, ce que les moniales furent naturellement très tôt avec la disparition des convers. En juin 1251, Faucon Vert vend pour 42 livres viennois un droit de cens sur des biens à La Barge, à la prieure de Bonlieu (67).
Par ce système les cisterciens entrent dans le système seigneurial et féodal. Ils achètent des terres allodiales afin de ne pas avoir à acquitter des droits d’amortissement, les terres relevant de leur fief (68). Dans cette logique, de petits seigneurs deviennent vassaux d’un monastère après la vente de leur seigneurie dominante. C’est la reprise en fief ou inféodation. Roland de Vernoil reprend en fief son bien situé à Saint-Germain-Laval des mains de l’abbesse de Bonlieu contre 12 livres viennois, en septembre 1275 (69). Les religieux sont tout à la fois vassaux et suzerains (70). Ces modes d’acquisition modifient profondément la nature et la répartition du temporel en en favorisant la complexité.
2 Les domaines cisterciens : des granges aux tenures dispersées.
A l’origine, les temporels cisterciens reposent surtout sur des granges monastiques. leur nombre et leur étendue indiquent la puissance du monastère qui les possède. Les bulles pontificales ne mentionnent que ces seuls biens.
Le 26 juin 1165, celle d’Alexandre III attribue huit granges à La Bénisson-Dieu : Montaiguet, La Fayolle, Genetey, “Bonam”, Toujard, Riou, Cusset (?) et La Chassagne. Dans la bulle similaire d’Innocent III en 1213, la liste est différente. Huit nouvelles granges apparaissent : La Flachey, Lina, Baluchart, Vèzelin, Bigny, La Regardière, Condes et Mesples, alors que “Bonam”, Cusset La Fayolle et Genetey ont disparu (71). La Bénisson-Dieu dispose donc de douze granges, mais aussi de cinq celliers (72).
Pour Valbenoîte, nous sommes bien moins informé. Seule, la grange de l’Oeuvre, proche du monastère est certaine. On y a a volonté ajouté Pleiney et Graix dans le massif du Pilat et la donation comtale des Gouttes. E. Fournial an ajoute une cinquième avec la grange de Vernay (73).
Les granges des moniales nous sont aussi connues par une bulle, celle d’Honorius III du 10 décembre 1224. Il s’agit de celle de La Barge et de l’Olme ; son successeur , Grégoire IX ajoute en 1229, celle de Font-Vodoire (74).
Les abbayes se sont aussi dotées de maisons de ville. La Bénisson-Dieu en possède à Montbrison et à Cleppé, proches des foires et du pouvoir comtal. Valbenoîte en a à Saint-Etienne, ville toute proche, mais aussi à Lyon (75). Les moulins sont encore plus nombreux sur les rivières proches des abbayes et ailleurs. L’un d’entre eux dans la basse-cour de Valbenoîte est tenu, selon le terrier Roeria par Denis Merlon, mais La Bénisson-)Dieu possédait en 1248 un moulin à Montbrison et un autre à Villerest, Bonlieu en avait un à Trélins en 1279 (76).
L’essentiel des patrimoines cisterciens n’est pas immobilier, la forêt par exemple occupe une place importante dans l’économie médiévale, aussi les moines en possèdent-ils e vastes étendues. La Bénisson-Dieu a des bois aux abords du monastère, mais surtout dans les monts du Forez, près de Saint-Bonnet-le-Courreau (grange de La Regardière), et dans ceux de La Madeleine (granges de Baluchart et Mesples) ainsi que dans la plaine.
L’étendue des biens traduit évidemment l’importance des monastères. La plus ancienne et la plus puissante abbaye de La Bénisson-Dieu, dotée généreusement dès le départ, étend ses possessions du Mâconnais avec la grange de Toujard jusqu’à l’Auvergne, avec Eglisolles. Ses biens sont tout aussi nombreux dans les zones montagneuses que dans les plaines du Roannais et du Forez, ils jalonnent la vallée de la Loire avec les granges de Bigny, Riou et Vézelin et même celle de Lina et le cellier de Villerest. Toutes les activités agricoles, élevage et cultures, peuvent y être pratiquées.
Bonlieu a un temporel plus regroupé, il s’étend de Neulise à Craintilleu et de Saint-Didier-sur-Rochefort à Virigneu, pour l’essentiel dans la plaine du Forez, le long du cours du Lignon. Mais ces biens sont très morcelés en de nombreuses parcelles de prés et de terres, simples tenures sur des dizaines de paroisses. Rien à voir avec les vastes domaines de son abbaye mère.
La vision du temporel de Valbenoîte est plus tardive, c’est celle du terrier Roeria (77). Si les domaines des granges y sont toujours présents, on ne rencontre là aussi que des tenures éparpillées tout autour de Saint-Etienne, l’essentiel du temporel de cette modeste abbaye étant dans la vallée du Furan et sur les contreforts des monts du Lyonnais et du Pilat (78).
Cette répartition des patrimoines fonciers sur l’ensemble du comté et au delà se traduit par une grande diversité des sols. les hautes chaumes sont de vastes zones de pâturages (79). La Bénisson-Dieu possède de nombreux droits de pâture près de Montaiguet et surtout dans la grange de La Regardière (80). La plaine compte une zone de cultures, céréalières pour l’essentiel, que les cisterciens surent valoriser.
B – Du savoir-faire cistercien au faire valoir indirect généralisé.
1 – Le travail des moines
Il est obligatoire dans la règle bénédictine et sa valeur morale est réaffirmée par les cisterciens. De plus, travailler est une nécessité à la naissance des monastères et même si l’on a volontiers amplifier l’ingratitude des sols offerts aux moines blancs, il leur a fallu devenir défricheurs. Leurs granges se trouvent encore souvent au centre d’une clairière (81). Cependant la lutte contre la forêt est mesurée, le bois et une matière première précieuse et son sol devient un lieu de pacage utile (82).
On attribue aux cisterciens, une importante activité de drainage et d’irrigation. leurs fonds de vallées ont dû être aménagés; mais aussi la plaine du Forez dont l’humidité fut parfois retirée par drainage mais aussi maintenue sous forme d’étangs, la pisciculture étant une activité toute cistercienne (83).
E. Fournial confère aux cisterciens, un rôle déterminant dans la diffusion des innovations agronomiques en Forez, notamment pour le seigle et la vigne (84). On est d’ailleurs frappé par l’abondance des redevances payées en vin. La Bénisson-Dieu possède des vignobles, près du monastère, à Champdieu et surtout à Villerest où elle tient un cellier (85). les vignes de Bonlieu sont sur les coteaux à l’ouest de la plaine, principalement à Trélins (86). Mais l’essentiel des terroirs monastiques est occupé par les cultures céréalières. les cens sont toujours acquittés en quatre type de céréales : le froment, l’orge, le seigle et l’avoine. Au XVe siècle, le terrier de Valbenoîte donne une idée approximative de la proportion de chacune d’entre elles dans cette région. L’avoine et le seigle dominent avec respectivement 38,4 % et 38 % des surfaces, le froment représente 23 % et l’orge seulement 0,6 % (87).
L’élevage moins répandu était surtout ovin, il occupait les hautes chaumes où existaient des “jasseries” et fournissait lait et fromages aux moines, exceptionnellement de la viande (88).
Mais l’activité des moines n’était pas qu’agricole. Une charte d’immunité accordée à La Bénisson-DIeu par la comtesse Mahaut de Courtenay en janvier 1277, fait état de l’exemption du péage pour les animaux et biens de l’abbaye, à savoir : fers, laines, cuirs et blés (89). Les moines blancs avaient donc une activité de tanneurs et travaillaient la laine, du moins la vendaient-ils (90). Quant aux fers, indiquent-ils une activité métallurgique à La Bénisson-Dieu comparable à celle de Fontenay (91) ?
Toujours est-il qu’ils étaient marchands. Les exemptions nombreuses de droits de leydes et de péages le prouvent (92). C’est tout autant le produit de leurs granges que celui de leur artisanat qui pouvait être vendu. La possession du port de Feurs face à la grange de Bigny, puis de celui de Briennon par La Bénisson-Dieu ne pouvait que favoriser le commerce cistercien par la Loire, il est de plus une source de profit non négligeable (93). Nous sommes loin des principes d’autarcie du temps des premières abbayes, les revenus en argent étant de plus en plus recherchés.
2 – Les cisterciens, rentiers du sol
Le faire valoir direct reposait sur les granges tenues par un grangier cistercien et exploitées par des frères convers. Mais très vite, ceux-ci firent défaut et dès la seconde moitié du XIIIe siècle, les moines et moniales durent faire appel à des tenanciers. Par un acte d’abénévis, un individu se voit confier l’exploitation d’une terre appartenant aux religieux devenus seigneurs éminents ou directs, le tout contre des redevances, les cens et servis principalement (94). Le plus ancien acte de cette nature est celui par lequel l’abbesse de Bonlieu abénévise à Hugues Jordan le quart d’un tènement à La Barge contre 35 livres parisis, en juin 1266 (95). Progressivement les abénévis remplacent les achats de cens et se généralisent. En 1390, c’est le domaine de Villerest qui est mis en emphytéose (96). Au XVe siècle, le faire-valoir direct a disparu même aux abords des monastères, les cisterciens deviennent des rentiers de la terre qu’ils avaient mise en valeur, vivant de la perception des droits seigneuriaux minutieusement recueillis dans les terriers, mais aussi des droits banaux et de justice que leur confère leur statut féodal et des rentes et pensions diverses résultant des legs et des dîmes (97).
Leur énergie est toute entière tournée vers la gestion et la préservation de leurs nombreux droits sans cesse contestés par des tenanciers récalcitrants. Le 22 novembre 1463, Antoine Epitalon et d’autres habitants de La Métare refusent de verser la dîme à Valbenoîte (98). Ces difficultés de perception et les nombreuses charges qui pèsent sur les moines font que la plupart du temps leur vie devient précaire surtout lorsque les temps leur sont moins favorables.
IV – La banalisation des abbayes cisterciennes de la fin du Moyen Age à la Révolution.
A – Vicissitudes et redressement entre Moyen Age et temps modernes.
1 – Une période noire : le XIVe siècle.
Alors que le XIIe siècle fut cistercien et le XIIIe siècle celui du rayonnement de Cîteaux, les deux derniers siècles, médiévaux furent défavorables aux moines blancs. L’esprit de pauvreté et de solitude ne semble plus être leur préoccupation première. Les prescriptions des pères fondateurs sont systématiquement bafouées : on achète des terres et des droits (99), on possède des dîmes, on perçoit des cens… Les archives ne sont plus que liasses de procédures qui traduisent les conflits. Les abbayes se dotent de procureurs pour les représenter et les défendre dans les procès (100).
Ces procédures n’ont qu’un but : défendre le patrimoine menacé. Outre les problèmes de perception des droits, il y a celui des limites de juridictions. Le procès de Montaiguet, grange de La Bénisson-Dieu, oppose pendant un demi-siècle l’abbaye à la maison comtale (1305-1350), nous sommes bien loin du temps des faveurs et des protections (101).
L’exemption est aussi remise en cause. Les religieuses de Bonlieu sont frappées d’excommunication par l’archevêque en 1309 pour ne pas avoir acquitté des charges diocésaines. Les pontifes doivent intervenir à deux reprises en janvier 1316 et juillet 1371 pour rétablir les moniales dans leurs droits (102). Mais les dangers les plus menaçants viennent des événements liés à la guerre de Cent-Ans. Valbenoîte est pillée et en partie ruinée par les troupes errantes de Robert Knolles vers 1358-1359. Les moines se sont dispersés.
La Bénisson-Dieu et le monastère stéphanois sont même obligés de se fortifier contre ces adversaires (103).
Dans ce contexte, l’observance n’est plus respectée. L’abbé de La Bénisson-Dieu est absent à sept reprises du chapitre général de 1390 à 1412, son collègue de Valbenoîte agit de même et est menacé de suspension en 1399. En 1452, un autre abbé de La Bénisson-Dieu risque l’excommunication pour l’argent dû à Cîteaux (104). Les moniales de Bonlieu font même l’objet d’un véritable scandale en 1463. Elles ne respectent plus la clôture, se font nourrir par leur famille et portent des vêtements à leur guise. les novices ne reçoivent plus la bénédiction épiscopale et les chapelains sont dépravés (105).
2- Des volontés de renaissance.
Dans ce contexte de crise, des désirs de redressement apparaissent cependant. les interventions fréquentes du chapitre général délèguent des abbés auprès des fauteurs pour les réformer en sont autant d’exemples (106).
Peu à peu les bâtiments se relèvent et avec eux une vie plus régulière. Hugues de Torenche, abbé de Valbenoîte s’y emploie dès 1373. Dans les années 1389-1390, les travaux ne sont toujours pas achevés, cet abbé doit aliéner une partie de son temporel pour les financer (107).
Bonlieu est peut-être l’objet d’une reconstruction au XIVe siècle. A. Bonin pense que l’abbatiale de briques remonte au milieu de ce siècle. Un clocher y a été édifié entre 1302 et 1305, mais s’agit-il de la même phase de construction (108) ?
Le plus bel exemple de reconstruction est cependant celui de l’abbé de La Bénisson-Dieu, Pierre de La Fin (1460-1504) qui introduit, à ses frais, le gothique flamboyant dans une abbatiale claravallienne. Il reconstruit le choeur et une partie du bas-côté sud, ajoute une charpente à fortes pentes sur la nef qu’il fait couvrir de tuiles vernissées de couleur et élève une tour-clocher de 51 mètres de haut sur le côté droit de la façade. L’intérieur de l’abbatiale est redécoré de pavement, stalles et statues et parsemé de sa devise “Laus Deo”. Il élève encore un logis abbatial digne de lui.
Ces travaux nécessitent des rentrées régulières d’argent, aussi après les aliénations du temporel, voit-on les religieux rétablir leurs droits usurpés par l’établissement de lièves et de terriers (109). C’est à partir de 1454 que les moines de Valbenoîte confient au notaire Denis de Roeria le soin d’établir un terrier général des redevances dues à l’abbaye. De plus, la prospérité revenue favorise le redressement voulu par certains religieux.
3 – Les aléas de la commende et les guerres de Religion.
C’est alors qu’intervient une pratique trop souvent nocive au monachisme, celle de la commende. Les abbayes “royales” voyaient leur supérieur désigné par le roi. Celui-ci n’était pas forcément un moine et sa charge devenait l’objet d’une récompense royale, puis un bien familial (110).
Guillaume Mastin de la Merlée fut le premier commendataire de Valbenoîte avant 1484. C’est à cette date qu’on le trouve qualifié de “commendataire perpétuel de l’abbaye de Valbenoîte et prieur de l’Hôpital-sous-Rochefort” (111).
La commende est introduite plus tard à La Bénisson-Dieu lorsque l’abbé régulier, Pierre de La Fin, est élu à la tête de Pontigny et qu’il conserve sa première abbaye comme commendataire entre 1493 et 1496 (112).
Si la commende ne se révèle pas toujours néfaste, la plupart du temps les abbayes ne sont pas favorisées par elle. les abbés ne résident plus, mais laissent le prieur avec des pouvoirs limités, percevant par l’intermédiaire d’un économe le tiers des revenus de la maison, livrant ainsi les moines à l’indigence (113). Sur les 20 abbés non élus de Valbenoîte aucun n’est cistercien et aucun ne réside durablement, certains ne prennent même pas possession de leur bénéfice ou ils le font par procuration comme Joseph Elian en 1768. la plupart du temps, ils dirigent plusieurs monastères. Antoine de Saint-Priest (1526-1550) est aussi prieur de Firminy et de Champdieu où il est inhumé. Ils sont membres de chapitres cathédraux ou de l’administration diocésaine, comme Jean de Masso (1566) , official de Lyon ou Pierre-Marie Gaillard de Beaulieu (1749-1780), vicaire général de Chalon-sur-Saône. Ils séjournent à la Cour : Odet-Joseph de Giry de Saint-Cyr (1726-1749) est aumônier de la Dauphine et un des précepteurs du Dauphin, certains ne sont même pas prêtre (114).
Les commendataires de La Bénisson-Dieu sont des prélats encore plus illustres : Antoine de Lévis de Châteaumorand († 1558) est évêque de Saint-Flour, son successeur Antoine de Senneterre (†1584) occupe le siège de Clermont et Pierre d’Epinac ( † 1599) celui de Lyon.
De véritables dynasties s’installent à la tête des abbayes d’oncle à neveu : les Masso sont à Valbenoîte de 1566 à 1635, les La Fin à La Bénisson-Dieu de 1460 à 1540, les La Roche à Bonlieu de 1534 à 1610 (115) et les Nérestang qui permutent avec Mègemont, à La Bénisson-Dieu de 1609 à 1675. Les monastères, biens familiaux, servent ainsi les intérêts d’un clan.
La coadjutorerie est chez les moniales le moyen d’assurer la succession. A Bonlieu, Louise de Lescouet prend Louise Marie de Rieux comme coadjutrice le 19 août 1654, alors que celle-ci n’est pas cistercienne. Cette dernière lui succède naturellement en 1657, choisissant elle-même son héritière en 1666 (116).
Après un temps de stabilité qui avait permis aux monastères de se rétablir, une période de désordre bouleverse profondément la vie des religieux. Les guerres de Religion produisent leurs effets dévastateurs jusque dans les cloîtres. Indirectement d’abord par les impositions exceptionnelles des monarques en manque d’argent, les papes autorisant l’aliénation des biens monastiques. Le 19 août 1569, l’abbé de La Bénisson-Dieu vend une rente à Perreux pour payer les 40 écus qui lui sont réclamés, d’autres biens sont aliénés à Mably en avril 1578. Ce n’est qu’un début (117).
Mais c’est aussi directement que les deux abbayes masculines souffrent des effets des guerres. En 1570, les hommes de l’Amiral de Coligny multiplient les exactions autour de Saint-Etienne. A l’approche des calvinistes, les moines de Valbenoîte ont fui, mais leurs maigres biens sont pillés, la voûte de la nef de l’abbatiale est minée et un pan de mur s’effondre, les fortifications sont sapées (118). Au nord de la province, ce sont les hommes de la Ligue qui investissent La Bénisson-Dieu au printemps 1594 sous prétexte d’y voir le prieur. Ils y demeurèrent dix-huit mois consacrés aux destructions et au pillage (119). Une inscription latine dans la chapelle de Nérestang donne une idée de La Bénisson-Dieu à la fin du XVIe siècle, elle pourrait concerner d’autres maisons : Dehinc temporum injuria; bellorum feritate, nec non commendatariorum incuria, diruta fuit.
B – Un esprit de réforme au XVIIe siècle.
Des velléités de Valbenoîte…
C’est la famille de Masso qui entreprit une nouvelle reconstruction de Valbenoîte. Issue de la bourgeoisie lyonnaise, elle trouvait un certain prestige dans la direction d’une abbaye. Dès 1576, Pierre rétablit la voûte de la nef et répare une partie des bâtiments conventuels. Il tente sans succès d’y rétablir une vie régulière et multiplie les procès pour recouvrer les droits usurpés (120). Mais cette restauration est très limitée, elle sert le renom d’une famille plus que celui de l’abbaye. Une deuxième chance est donnée à Valbenoîte avec l’abbatiat de Jacques Badol de Forcieu (1680-1726). Il est séminariste lorsqu’il est nommé abbé. Marqué par la réforme d’Eustache de Beaufort à l’abbaye de Sept-Fons, en Bourbonnais il désire y devenir moine afin de transmettre ce nouvel esprit à Valbenoîte (121), mais l’abbé de Cîteaux refuse.
A défaut de réformer le spirituel, l’abbé agit sur le matériel, et à nouveau à ses frais, on répare le cloître et l’enceinte du monastère (122).
2 – … aux tentatives réformatrices des moniales.
Bonlieu passe directement sous la paternité de Clairvaux lorsqu’au début du XVIIe siècle La Bénisson-Dieu devient un monastère de religieuses. Aussi voit-on le 28 juin 1611, Denis Largentier visiter sa toute nouvelle fille (123). Cet abbé réformateur, un des initiateurs de l’Etroite observance dans l’ordre cistercien, ne trouve à Bonlieu que 4 moniales et 4 novices. Il y a vacance de l’abbatiat , 5 moniales sont absentes.
Sa carte de visite est une tentative de rétablissement de la vie régulière cistercienne par une solide réformation intérieure et extérieure. Il rappelle aux moniales les obligations de leur profession qui sont la conversion des moeurs et un respect rigoureux de la règle bénédictine et des statuts cisterciens dont il recommande la lecture régulière. Il prescrit la pratique du silence et l’exactitudes des heures canoniques. La méditation, la dévotion et la simplicité en tout sont recommandées (124).
Il s’attaque ensuite à l’organisation du couvent définit le rôle du confesseur en insistant sur l’enseignement qu’il doit donner aux religieuses et celui de l’abbesse qui doit entretenir convenablement ses filles et veiller à ce que la bourse et la table soient communes (125). L’abbé de Clairvaux insiste particulièrement sur le respect de la clôture et donne la liste des personnes extérieures qui en des cas rares et précis peuvent la franchir. Pour faciliter cela il faudra créer un parloir.
Cette carte de visite sera régulièrement rappelée aux moniales.
La tâche réformatrice incombait à la nouvelle abbesse : Anne de Frédevile nommée à Bonlieu le 24 octobre 1610 (126). Nous savons peu sur son action, mais un acte du 1er janvier 1628 révèle son intention de prendre la clôture régulière pour plus facilement servir Dieu, vaquer aux exercices spirituels et satisfaire aux contenus des cartes de visites, on vise plus loin la perfection religieuse et vivre dans une plus étroite observance (127). Ce sont pas moins de 16 moniales qui s’engagent désormais devant le prieur de Montpeyroux délégué pour l’occasion. La clôture doit être stricte, le parloir est rétabli et les sorties des religieuses deviennent exceptionnelles. Cependant on sent une observance mitigée car la liste des personnes admises dans la clôture est longue, on y voit notamment la famille d’Urfé bienfaitrice du couvent. De plus, Bonlieu ne figure pas en 1667 dans la liste des monastères suivant une étroite observance (128). Mais la réforme même limitée a porté ses fruits car aucun sujet de scandale ne vient plus troubler la vie de la communauté jusqu’à la Révolution (129), et même au moment de l’extinction du recrutement, on ne cesse de vanter les bons sujets qui composent la communauté, la prudente gestion de l’abbesse et la régularité de l’office divin qui y est célébré (130).
La réforme de La Bénisson-Dieu par Françoise de Nérestang est plus connue (131). Ce monastère est devenu en 1611 une maison de moniales. Philibert de Nérestang, fidèle serviteur d’Henri IV, reçut deux bénéfices ecclésiastiques pour ses enfants, deux monastères cisterciens : l’aînée Françoise eut Mègemont en Auvergne, alors que Claude son frère, hérita de La Bénisson-Dieu (132). C’est alors que leur père décide une permutation entre les deux abbayes. Il obtient toutes les dispenses, bulles et lettres patentes nécessaires, ce qui permet le 2 juillet 1611, un échange entre les moines et les moniales (133).
Françoise de Nérestang trouve un monastère en très mauvais état : ruine des bâtiments,, dispersions des titres, aliénation du temporel…Avec l’aide de son père et en tant qu’abbesse de Mègemont, elle avait déjà redressé cette maison religieuse en y instaurant une certaine vie régulière (134).
A La Bénisson-Dieu, elle souhaite établir une observance cistercienne conforme à celle des premiers pères de l’ordre. l’influence de son père-immédiat, Denis Largentier, y est certainement pour quelque chose. Elle préfère le bréviaire cistercien par rapport au romain, rédige un coutumier qui établit plus de régularité avec bourse commune, lectures et méditation. Afin de rendre la clôture la plus stricte possible, elle fait entourer les bâtiments d’un mur.
Françoise de Nérestang s’impose une vie très austère dans laquelle elle ne parvient pas à entraîner sa communauté. Elle pense même un temps quitter son abbaye pour un monastère plus observant (135).
Comme toujours,la réforme matérielle paraît plus réussie. l’argent de son père, puis les revenus du monastère recouvrés après maintes procédures et conflits, permettent des travaux dans les bâtiments. De nouveaux corps de logis sont édifiés, l’église est réaménagée en sacrifiant le transept et l’abside et une chapelle funéraire familiale peu cistercienne est construite entre 1634 et 1651.
C’est en 1652 que Françoise de Nérestang y est ensevelie. Cette abbesse reçut de l’abbé de Cîteaux, Claude Vaussin, le titre de restauratrice de la Bénisson-Dieu. Elle le fut sans doute, mais pas autant qu’elle l’eut souhaité, c’est pourquoi Chr. Waddell parle d’une réformatrice “manquée”. L’abbesse de Nérestang n’est ni Angélique Arnaud, ni Louise de Ballon, ses contemporaines (136).
Peu de faits notoires marquent le dernier siècle des cisterciens foréziens.
Valbenoîte végète et s”appauvrit. La Commission des Réguliers envisage même de supprimer le monastère en 1753, car il n’abrite plus que 4 moines et son revenu est tombé à 2000 livres, ce qui rend toute régularité impossible (137).
Des raisons différentes sont invoquées à Bonlieu pour justifier la suppression du noviciat. Le monastère a subi deux incendies le 2 novembre 1682 et le 25 janvier 1711 (138), mais son revenu s’élève à 8000 livres et ses effectifs tournent autour de la dizaine (139) ? Après ses épreuves, les bâtiments sont à reconstruire et le temporel a dû être aliéné. Les finances du couvent ne permettent pas un redressement durable (140), aussi au début d’octobre 1748, les religieuses reçoivent une lettre de cachet leur interdisant de recruter.
Les moniales entreprennent tout ce qui est en leur pouvoir pour augmenter leur revenu : tentative de riziculture, culture de mûriers, rénovation des terriers (141), mais en 1761, l’interdiction n’est toujours pas levée. Elle l’est par la suite puisque de nouvelles moniales sont recrutées (142). Tous les monastères sont remis en cause, mais La Bénisson-Dieu bénéficie d’appuis, sa communauté est plus nombreuse même si les effectifs baissent comme partout ailleurs (143).
Mais le XVIIIe siècle n’est pas que déclin. Labbesse de La Bénisson-Dieu, Marie-Thérèse de Jarente procède à d’importantes rénovations des bâtiments, notamment des façades et du logis abbatial et le moines de Valbenoîte empruntent pour financer la reconstruction de leur couvent en 1780 (144).
Ce sont ces bâtiments qui deviennent biens nationaux en 1790. On rédige les premiers inventaires, on procède aux premières ventes et à la dispersion des religieux (145). Aujourd’hui seules demeurent des cisterciens de Forez trois abbatiales. La Bénisson-Dieu et Valbenoîte sont devenues églises paroissiales, l’ancien couvent de cette dernière abritant un collège; une association fait revivre l’abbaye du nord. A Bonlieu les locaux sont considérés comme bâtiments agricoles.
N.D.L.R. : Monsieur Perrot, propriétaire de l’abbaye de Bonlieu, nous indique que sa famille entretient cet édifice depuis 4 générations, et que, l’an dernier encore, d’importants travaux de réfection des contre-forts ont été entrepris, sous la supervision de l’Architecte des Bâtiments de France.
La couleur originelle, légèrement rosée, du mortier de jointoiement a été recherchée et retrouvée, et les briques trapézoïdales ont été réalisées spécialement pour cette restauration.