BD, Tome 58, R. Périchon, A propos de Moingt, pages 51 à 62, Montbrison, 1999.
A propos de Moingt
Comme chaque année, les stages “Archéologie Musée” nous révèlent quelques nouveautés en ce qui concerne les réserves du musée. Le programme de l’année 1998 prévoyait l’achèvement du classement des vestiges en provenance du Crêt-Châtelard, ce qui est terminé et l’inventaire, étude et rangement des vestiges accumulés depuis plus d’un siècle en provenance de Moingt, ce qui n’a été réalisé que partiellement.
Il nous a cependant semblé nécessaire d’analyser la façon dont on s’était intéressé à Moingt et mieux connaître la contribution de la Diana dans l’étude de ce site. Les résultats de ces recherches sont étonnants.
Enfin, et cela est essentiel, divers éléments que nous possédons au musée et provenant de Moingt nous apprennent que le site était occupé dès la période gauloise et qu’il y avait contemporanéité d’occupation entre Chézieu et Moingt, ce qui, jusqu’à ce jour, n’avait jamais été démontré.
Le site de Moingt.
On trouve mention du site en 180, dans un “précis historique et statistique du département de la Loire” (1). En 1818, on fait allusion à Moind dans un “essai statistique sur le département “ (2). Auguste Bernard, dans son Histoire du Forez, publiée en 1835, évoque également Moingt (3). Dix années plus tard, l’abbé Greppo, cite Moingt (Moind comme on l’écrivait au XIXe siècle) dans une étude sur les eaux thermales (4).
Enfin, en 1849, Auguste Bernard évoque le théâtre et les autres monuments de Moind (5) qui n’échappent pas au même auteur dans sa Description du pays des Ségusiaves (6).
Une polémique surgit à propos du nom de Moind. Moind ou Aquæ Segetæ, cela va occuper (occulter) une quantité impressionnante de pages du Bull. de la Diana (7). Ce qui n’empêchera pas notre société d’entreprendre ( et surtout de financer) des fouilles à Moingt.
Il faut arriver en 1876, pour voir paraître une première étude sur les ruines de Ste-Eugénie (8). Puis, dans les environs de ce site, découvertes fortuites importantes : une inscription (9) et un chapiteau. En accord avec le propriétaire du terrain, la Diana poursuit les investigations ; nous sommes vers la fin des années 1870. la méthode de travail ne saurait nous surprendre ; la Diana patronne, finance.. et les fouilles sont exécutées par des ouvriers sous la direction de l’ingénieur des Ponts et Chaussées qui délègue un agent, lequel, par la suite fait son rapport. Aucun plan n’est publié-( peut-être par crainte des pillages (10).- Et il faut attendre 1881 pour connaître le nom des propriétaires des terrains dans lesquels les travaux ont eu lieu et qu’enfin un plan soit dressé. On donne en même temps la liste de quelques découvertes architecturales (11).
En 1882, la Diana visite le théâtre dans lequel des travaux ont été effectués et pour lesquels aucune publication n’existe et, à quelques pages de là, le même Bull. nous apprend que, dans l’indifférence de l’assemblée, il est répondu non, à la poursuite des travaux. Quatre pages de compte rendu sont consacrées à l’aspect administratif de l’entreprise. Et, à cette occasion, Vincent Durand revient sur l’interprétation d’une inscription. Puis toujours dans le même Bull., quelques détails d’architecture du théâtre sont enfin publiés (12).
Puis les digressions, sur le nom de Moingt reprennent en 1883, 1884, 1885. Cette dernière année, des objets sont récupérés pour le musée.. et viennent s’ajouter à d’autres ; on empile sans étudier (13).
Le tome III (1885-1886) relate la découverte du trésor monétaire du clos Vissaguet (14), avec une liste des monnaies le composant. Il est important d’apprendre que seules quelques monnaies ont été acquises par la société (15 sur 1328) (15) .
Et à nouveau, c’est Moind / Aquæ Segetæ…
Il faut attendre le tome V (1889-1890) pour voir le lieutenant Jannesson présenter un plan avec quelques découvertes à Moingt et à Chézieux (16) et dans ce même volume, Thomas Rochigneux consacre quatre pages à la découverte fortuite d’éléments d’architecture et de céramiques (17).
Jannesson, en 1888, publie, avec un plan, de nouvelles découvertes, toujours fortuites (18), puis, c’est fini, jusqu’à de nouvelles découvertes occasionnelles effectuées en 1926 pour des adductions d’eau (19).
Moingt est tombé dans l’oubli ; les polémistes ne sont plus ; les archéologues ont soit disparu dans la tourmente de 1914-1918, soit ils ont été découragés par la polémique ; ou encore, il n’y a pas d’archéologue, l’archéologie étant plus ou moins ridiculisée par la stérilité des publications des chercheurs de cabinets… près de 40 années d’oubli.
En 1928, quelque trouvailles sont signalées dans le clos Saint-Julien par l’abbé Bégonnet et Gabriel Brassart (20).
Trente années s’écoulent encore, Henri Delporte entreprend la rénovation et l’inventaire du musée, découvre les étonnantes richesses du site de Moingt, et fait publier par un jeune instituteur, Serge Romagny, une analyse des marbres découverts lors des fouilles anciennes (21) : leur provenance étonne : l’ Italie, la Grèce, l’Egypte.
On s’intéresse de nouveau à Moingt : Jean Renaud, en 1959 publie une description assez complète du théâtre, cette fois avec un plan (22). On commence à analyser les amphores (1961) (23). En 1962, Jean Renaud étudie le mode de captage des eaux (24), mais il faut attendre 1969 pour une première analyse des céramiques découvertes sur le site, analyse facilitée par l’inventaire Delporte resté inachevé (25). En 1970, Jean Renaud, dans le cadre des études publiées par le Centre d’Etudes Foréziennes, évoque le site de Moingt et publie une première bibliographie d’ensemble (26). Bernard Rémy et André Buisson, dans un dossier d’archéologie consacré à l’eau en Gaule, évoquent Moingt et le thermalisme dans la région Rhône-Alpes (27). Quelques notes relatant des sondages effectués tant au théâtre qu’au clos Saint-Julien sont mentionnés dans les rapports annuels du S.R.A. de la D.R.A.C. Rhône-Alpes. Enfin, en 1997, Christine Sirand nous livre 120 pages consacrées aux céramiques sigilées de Moingt déposées au musée de la Diana (28).
A la lecture de ce récapitulatif, plusieurs points étonnent : le peu d’enthousiasme manifesté pour l’étude des vestiges recueillis et quant à l’étude même du site, on ne s’y est guère intéressé et il est fort probable que ce soient les querelles de cabinet qui aient découragé les chercheurs ; on est resté des décennies sans même évoquer les lieux, sauf naturellement quand il s’agissait de gloser sur Moind et Aquæ Segetæ.
Nous avons inventorié quantité d’éléments d’architecture, en particulier de corniches en marbre, sans jamais qu’aucun poli en ait été dessiné et sans qu’on ait jamais cherché à savoir à quel type de monument cela pouvait appartenir et quel en était le dispositif. Il faut attendre les travaux de l’un de nos sociétaires, J.-P. Grand, pour voir apparaître dans nos publications les premiers dessins de céramiques, plus de cent ans après les premières découvertes !
C’est surprenant, car indépendamment de l’inexploitation des vestiges découverts, ce qui est dommageable sur le plan scientifique, la non exploitation du site est déplorable pour Moingt et pour Montbrison car à une époque où l’on met en évidence les moindres braises de patrimoine (à des fins touristiques et donc lucratives), on a ici un patrimoine extraordinaire, à peu près inconnu, dont n’ont même pas conscience ceux qui ont en charge sa conservation et sa mise en valeur.
En voici deux preuves :
– la première est l’environnement du théâtre de Moingt par des lotissements intempestifs,
– la deuxième est l’état lamentable d’abandon de la chapelle Sainte-Eugénie et du clos Saint-Julien.
Et ce n’est pas la forme que prend actuellement la recherche archéologique en France pour attendre de cette dernière un changement de cet état de choses.
La découverte de vestiges antérieurs au début de notre ère.
A travers un mobilier gallo-romain parfaitement identifié, il nous a été possible d’observer un mobilier résiduel appartenant aux dernières décennies du dernier siècle avant notre ère.
Nous le décrivons sommairement :
a – Quelques éléments de vases ovoïdes (Pl.1, fig. 1 à 4) sont proches d’éléments de même type découverts à Feurs (29). Ils son exécutés dans des pâtes mi-fines à grossière et leur cuisson est effectuée en atmosphère réductrice. On peut associer à ces vases un fragment d’écuelle à rebord rentrant ( Pl. 1, fig. 6).
b – Deux fragments d’écuelles présentent un certain intérêt (Pl. 2, fig. 7 et 8). Le premier (fig. 7) est simplement décoré de traits creux parallèles groupés par deux. Le deuxième (fig. 8) possède une paroi externe ornée d’un décor ocellé. La présence de ce type de récipient est intéressante car son identification en est aisée. Il est largement répandu ; on en a observé à Bourges (30), à Châteaumeillant (31), dans la vallée de l’Allier (32), sur l’axe Rhône-Saône (33) et dans la vallée de la Loire (34). Bessou (35) à Roanne, les classe dans sa troisième période, c’est à dire dans les dernières années précédant le début de notre ère. Ce sont généralement des céramiques confectionnées dans des pâtes mi-fines et cuites en atmosphère réductrice. On en a produit peut-être au Mont-Beuvray, mais la production en est désormais attestée à Nevers (35a).
c – Un fragment de vase ovoïde (PL. 1, fig. 9) est également caractéristique de cette période. Il s’agit de la partie supérieure d’une panse ornée d’une ligne de ponctuations profondes et d’une série de courbes profondément incisées et irrégulières, dont quelques exemplaires se retrouvent à Feurs (36).
d – La partie supérieure d’un vase ovoïde peint, de forme haute (PL. 2. fig. 4), à goulot étroit, est tout à fait remarquable : une bande horizontale rouge souligne le col et la panse est couverte d’un engobe blanc. Aucune trace de dessin effectué à l’aide d’un autre colorant n’est visible.
e – Un fond de vase à piédestal (PL. 2, fig. 13) appartient également à une séquence ancienne d’occupation, probablement antérieure à la Conquête. C’est un récipient – en principe ovoïde – assez élevé dont de nombreux exemplaires se sont rencontrés à Lijay (37) avec des datations assez hautes : 400 / 300 avant notre ère. Mais le type est présent dans des séquences plus récentes, souvent antérieures à la Conquête. On l’observe sur le site d’Aulnat entre -120 et -60 (38). Il est également présent dans la fosse 6 de Feurs (39).
f – Deux fonds de coupes (Pl. 2, fig. 11 et 12) imitent les importations de céramiques campaniennes avec un décor assez particulier de guillochis inscrits dans des cercles concentriques (40).
g – Céramiques à vernis noir (dites campaniennes) (Pl. 2, fig. 9 et 10). Un rebord et un fond de coupe témoignent de cette catégorie d’importations. Ces deux éléments appartiennent la variété “B”, à pâte chamoisée dont le vernis est particulièrement altéré. Ces céramiques, qui représentent une vaisselle de luxe, sont importées, en principe, en même temps que les amphores vinaires (41). La vaisselle campaniennes apparaît dans la région assez tôt : le type “B” probablement dans la première moitié du dernier siècle avant notre ère. J.-P. Morel, dans son analyse des céramiques à vernis noir de Feurs, propose une éventuelle fabrication locale ou régionale avec des formes empruntées aux céramiques italiques (42).
Conclusion
Faut-il prolonger la polémique : Moind ( Médiolanum) ou Aquæ Segetæ, l’étymologie, les incertitudes de la carte de Peutinger et l’étendue du site font pencher pour Moingt / Mediolanum. Mais Moind ou Moingt ? cette dernière forme apparaît à la fin du XIXe siècle pour rappeler éventuellement le “Segetæ” dont on a voulu faire le nom originel de la bourgade. Mais les textes antérieurs au XIXe siècle nous donnent la forme Moind, ce qui semble bien être une contraction de Mediolanum.
En fait ce problème importe beaucoup moins que l’ensemble des découvertes archéologiques.
Chézieux et Moingt ne font-ils qu’un ? Chézieux, dont les découvertes recensées par la carte archéologique de la Loire (43) laissent entrevoir une occupation nettement antérieure à la conquête ainsi que d’intéressantes inportations vinaires (44) est lié, voir partie intégrante de Moingt dans l’antiquité s’entend. Chézieux-Moingt succèdent-ils à l’oppidum d’Essalois ? c’est possible.
On peut cependant noter une certaine contemporanéité entre la fin de l’oppidum d’Essalois et les débuts de Chézieux-Moingt comme en témoignent les céramiques à vernis noir de type “B” recueillis sur Essalois, Chézieux et Moingt. Mais le premier est en déclin alors que les sites de plaine commencent à affermir et développer leur activité, et pas seulement autour des sources de Moingt.
C’est un lieu commun de prétendre que la période de pleine activité de Moingt (45) correspond à la Pax Romana, c’est à dire aux deux premiers siècles de note ère comme partout dans la Gaule lyonnaise. Cette activité est concrétisée par la richesse des importations, à Moingt, comme à Feurs ou même à Roanne. Le déclin s’amorce dans le courant du IIIe s. peut-être même dès la fin du second. Une période d’insécurité nous est donnée cependant par le terminus ad quem de la constitution des trésors de Moingt-Saintinieu dont l’un contient des monnaies de Trajan-Dece (249-251) et l’autre de l’empereur Gallien (253-268). Les fouilleurs du siècle dernier ont beaucoup évoqué les couches d’incendie, les destructions massives.. et l’invasion de Chrocus (46), se fiant à l’Histoire Ecclésiastique de Grégoire de Tours pour lequel nous observons une certaine méfiance (47) ? Nous n’avons cependant – dans l’ensemble du lot des vestiges examiné jusqu’à ce jour – relevé aucune trace d’incendie affectant les marbres ou la céramique ; même les vestiges en plomb sont en bon état de conservation. Destruction brutale ou fin des activités et diminution de la population liées à la désagrégation de l’Empire. Nous penchons pour cette dernière hypothèse.
Il est nécessaire et indispensable de poursuivre les inventaires et les analyses des vestiges déposés jusqu’à ce jour au musée de la Diana. Ce sera une modeste mais nécessaire contribution à l’étude d’un site important et par trop oublié. (48)