BD, Tome 58, Origine du nom de La Diana , pages 309 à 316, Montbrison, 1999.
Communication de M. Noël GARDON
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Lorsque la Société Archéologique et historique du Forez fut créée en 1862 elle prit le nom de la salle où fut fixé son siège social : La Diana. A l’époque plusieurs se sont intéressés à l’origine de ce nom. Les uns y voyaient le souvenir d’un temple dédié à Diane chasseresse (1). D’autres pensèrent qu’il s’agissait de la déformation du nom d’une chapelle consacrée à Sainte Diane (2). Certains suggéraient que ce nom pouvait être un hommage à Diane de Chateaumorand (3). Enfin quelques-uns disaient que ce n’était que l’altération du mot doyenné, prononcé en langage local doyennat (4) ; finalement on se rallia à cette origine indiquée par le chanoine de La Mure : Diana vient de doyenné (5). Mais comme on croit qu’il ne peut y avoir d’étymologie qu’à partir du latin, on traduisit Diana par decania, decanis (6). C’est cette dernière supposition qui a été retenue par les auteurs de la brochure présentant actuellement la salle (7). Aujourd’hui (8) les partisans d’une origine latine disent que Diana vient de decanatus, qui est en effet la traduction exacte de doyenné. Cependant cette dernière étymologie est une interprétation qui peut prêter à confusion.
Diana n’est pas une altération de decanatus.
Il existe un mot bas-latin Decanus qui aurait été le nom donné à un moine ayant la charge de dix autres moines. Ce mot decanus aurait donné philologiquement “doyen” en français (9). Doyen a donné doyenné, qui est la dignité de doyen, et par extension la demeure du doyen.
Au XVe siècle (1493) un terrier mentionne dans un territoire, à Moind, un tènement appelé Diana (10). Cette appellation est rappelée d’ailleurs dans la brochure signalée plus haut (11). Elle est confirmée par un legs testamentaire fait en 1502. Ce legs nous apprend qu’au lieu dit “La Diana” il y avait des vignes, et que ce tènement se trouvait au territoire de Bretaignes (12).
A l’époque on savait encore que “Diana” était l’altération locale du mot doyenné. Ceci est attesté par la réponse en 1508, de Mathieu Dumas au terrier Pont, de la rente du Palais-lès-Moind. Dans cette reconnaissance on lit : Item ratione decimae cujusdam suae vineae sitae en Bretagnes.. juxta iter quo itur de Modonio ad vineam Decanatus ex borea (13). Or cette réponse qui n’est que la reprise de la réponse de Clément Luminier au terrier Portalis de 1440 où il est écrit : “ … iter quo itur de Modonio ad Bretaigne ad vineam de la Daena ex borea… (14), est, à son tour, reprise 83 ans plus tard dans le terrier Champolin, de la même rente, daté donc de 1591 : “ trois journalées de vigne.. audict territoire de Bretaigne, autrement appelé en Les Dianes, que furent de la responce de Mathieu Dumas au terrier Pompt, joignant .. le chemin tendant de Moind à la vigne et pré du sieur doyen de Montbrison appelé La Diana de bize et quasy matin…” (15). De même l’inventaire Trunel cite une vente par Michel Pécaud à Etienne Trunel d’une vigne située au Pan de Rigaud, lieu appelé “les Doyennes”, cet acte est de 1529. L’année suivante Trunel revend cette même vigne sise “à Rigaud, alias en les Dyannes”(16).
Il est bien évident qu’en 1508 on ne parlait pas latin à Montbrison. Pont, le rédacteur du terrier, a traduit en latin les termes français des reconnaissances et, comme cela se faisait habituellement, latinisé les noms propres. Ici il avait pour doyenné un terme précis dans le dictionnaire : Decanatus. De même Trunel est un bourgeois aisé qui parle courament français, le notaire qui rédige l’acte aussi, on inscrit donc le nom des vignes en français. Mais l’année suivante, lorsque Trunel revend ces vignes, il les “appensionne”, c’est-à-dire que le nouvel acquéreur ne paye pas comptant, mais s’engage à verser une pension annuelle. Cet acquéreur est un vigneron, qui va faire valoir lui-même les vignes, il les connait bien, mais sous leur nom vulgaire de “Dyanes”, c’est donc le nom qu’il faut mettre dans l’acte pour que l’achat ne soit pas contesté.
On voit ainsi l’évolution : à la fin du XVe siècle “Diana” est le terme populaire pour dire doyenna, prononciation locale de doyenné ; dans les textes latin Diana est restitué en doyenna, doyenné et donc traduit par decanatus latin ; Dans les textes français le terme populaire Dyane est très naturellement rapproché de doyenné.
Quant à decania qui est le terme parfois utilisé, il désigne un groupe de dix, ce qui ne peut s’appliquer à un lieu-dit, ou à un bâtiment. Il n’a sans doute été choisi que pour une raison de consonnance.
Que decanus ait donné par altération doyen, on peut l’admettre, puisque les philologues le disent (17), mais doyenné vient de doyen et n’est pas l’altération philologique de decanatus. On peut néanmoins dire que decanatus est la traduction latine de Diana.
La Diana a-t-elle été le Doyenné ?
La grande salle de la Diana a été appelée salle du cloître. Ce nom est clairement indiqué dans le discours qu’a fait Loys Papon lors de la représentation de sa Pastorelle dans cette salle en 1588 (18). Elle est appelée grand’salle du doyenné, dans le procès verbal de l’Assemblée de la Noblesse et du Tiers Etat en 1614 (19). La Mure la nomme La Diana dans son histoire des ducs de Bourbon et des comtes de Forez (20).
Mais la grande salle héraldique n’est pas la véritable Diana. Elle a reçu cette appellation parcequ’elle communiquait avec la maison qui portait ce nom (21), et était utilisée par les mêmes personnes. Cela résulte de l’acte de vente de ces locaux en 1791. Il y avait : la Diana, la maison où est aujourd’hui le musée archéologique, et à côté la grande salle appelée “la Diana du chapitre” ou “Grande Diana” (22). Il ne faut donc pas s’étonner de ne la voir dénommée Diana qu’à partir du XVIIe siècle puisque c’est seulement, au plus tôt, François 1er qui a autorisé les chanoines à utiliser cette salle pour leurs besoins popres.
On peut imaginer que lorsque l’on parle de “grande salle du doyenné”, on traduit en français le mot local Diana et émettre l’hypothèse que ce nom aurait une autre origine que : doyenné, doyenna ou demeure du doyen. A. Huguet a en effet montré que la demeure du doyen n’était pas là, mais de l’autre côté de la collégiale (23). Cette identification réjouissait Révérend du Mesnil qui y voyait une confirmation de son hypothèse en faveur d’une chapelle de Ste Diane, succédant à un temple de Diane (24).
A. Huguet reconstitue le cloître de Montbrison en 1791, au moment de la vente des biens ecclésiatiques. Qu’ à cette date le doyenné n’ait pas été à côté de la salle héraldique ne veut pas dire qu’il n’y fut pas à une date antérieure. En effet en décembre 1610, Mathieu Girard, nouveau doyen de la collégiale, convoque le chapitre pour expliquer qu’il a voulu prendre possession du doyenné, mais que celui-ci était occupé par le sacristain ; ce dernier lui a dit qu’il occupait cette maison en raison d’un échange fait avec Anne d’Urfé le précédent doyen. Il demande donc l’enregistrement de cet échange et l’affectation définitive du nouveau doyenné au doyen. Sa demande est évidemment acceptée et il est précisé que la nouvelle demeure s’appellera désormais doyenné, à perpétuité (25).
Nous sommes au XVIIe siècle, l’évolution première : Doyenna, daena, diana est faite depuis longtemps. La nouvelle habitation du doyen pourra bien s’appeler doyenné, l’ appellation “diana” restera attachée à l’ancienne demeure.
L’acte en question donne les confins du nouveau doyenné, mais pas ceux de l’ancien. On peut donc épiloguer sur son emplacement véritable, d’autant que cette maison est occupée par le sacristain alors qu’Huguet, et la tradition, donnent d’autres emplacements à la “sacristanie” (26). On sait toutefois que la maison à côté de la grande salle, celle appelée Diana en 1791, était l’école des clerjons. En effet, cela ressort du fait qu’en 1791 elle est dite occupée par le maître des enfants de choeur, et qu’il s’y trouve des graffiti probants ainsi qu’une fresque du XVIIe siècle, “le canon à trois voix”, aujourd’hui conservée dans notre musée (27). Cela résulte formellement du livre de raison de Claude Fovyn, notaire à Montbrison qui écrit en 1617 : “.. et le lendemain XXVI dudit moys (octobre), mon fils Anthoine Fovyn, clerjon en l’esglise Nostre Dame, est tumbé de la gallerye de la Dyanna, où de présent est l’escholle des clerjons…”(28). Or l’école des clerjons était sous la responsabilité du sacristain. C’est en effet le sacristain qui était responsable de la fabrique (29), et l’école, fondée en 1604, l’avait étée par une donation spécifique faite à la fabrique pour l’entretien d’un maitre et de quatre clerjons. Cette fondation a été autorisée par ordonnance d’Henri IV. En effet, le roi de France, en tant que successeur des comtes de Forez, était le dispensateur des prébendes de la collégiale, et cette fondation impliquait les revenus d’une de celles-ci, d’où son intervention (30).
Conclusion
A ce jour les étymologies données, au nom de la Diana, à partir de la déesse Diane, de Ste Diane, de Diane de Chateaumorand, ne sont étayées par aucun élément ; quant aux origines latines proposées elles ne peuvent pas expliquer philologiquement la formation du mot avec son attribution locale. Par contre Diana apparaît comme une contraction populaire du mot doyenna prononciation ancienne (locale ?) de doyenné pris dans le sens de demeure du doyen. L’origine du nom de Diana est donc simple. On l’a compliquée en voulant lui donner une origine latine, du même coup on l’a rendu discutable. On ne pourra sans doute pas empêcher que quelques uns, souhaitant pour ce nom une origine moins populaire, ou plus savante, continuent à préconiser autre chose, : c’est le risque dans les étymologies où la crédibilité n’est bien souvent accordée qu’en fonction de la notoriété du magister, ici Jean-Marie de La Mure, chanoine de Montbrison au XVIIe siècle.
Notes
1 – D’où les lévriers de la façade, regardant un piédestal désespérément vide de la statue qu’il devait supporter. Opinion acceptée par Révérend du Mesnil, Ancien Forez, t. 1 (1882-1883), p. 137 note, et 339 note.
2 – Hypothèse émise par le baron de Rostaing “Origine du nom de Diana donné à la salle héraldique de Montbrison, Ancien Forez, t. 5, (1886-1887) p. 315-317. Reprise et amplifiée par Révérend du Mesnil, “Origine du nom de Diana donné à la salle héraldique de Montbrison”, Ancien Forez, t. 5, (1886-1887), p. 321-334.
3 – Hypothèse émise par Guy de la Grie (Régis Chantelauze) dans l’introduction des Oeuvres de Loys Papon., Lyon 1857, p. XXXV note. Reprise par André Steyert dans l’édition de L’histoire des ducs de Bourbons et des comtes de Forez de de La Mure, Paris 1860, t. 1 p. 373 note.
4 – Henri Gonnard, Monographie de la salle de la Diana, Vienne 1875, p. 20.
5 – De La Mure, Histoire des ducs de Bourbon et des comtes de Forez; Paris 1860, t. 1 p. 373. De la Mure ne rapproche pas le nom de “Diana” d’une quelconque traduction latine. Le texte publié est conforme au manuscrit (Mss 26-1, p. 579, Bibliothèque de la ville de Montbrison, dépôt à La Diana). Le texte utilisé par Aug. Bernard dans Les d’Urfé, Paris, 1839, p. 475, correspondant au manuscrit 28, p. 110, Bibliothèque de la ville de Montbrison, en dépôt à la Diana, ne donne pas d’origine pour le nom de la salle.
6 – Abbé Renon, La Diana sous le point de vue historique et héraldique, Paris 1844, p. 1 ; reproduit dans le Journal de Montbrison du samedi 20 avril 1844. Anatole de Barthélémy , “Essai sur la salle de la Diana, à Montbrison”, Bulletin monumental, t. XI, Paris, 1844.
7 – F. Ferret, Jean Bruel, La Salle héraldique de la Diana à Montbrison, Montbrison 1990, p. 6.
8 – Eté 1999.
9 – On ne peut s’empêcher de rapprocher doyen des mots bretons, d’origine celtique, doujañ et doujañs qui veulent dire respecter et respect, et semblent mieux expliquer doyen dans le sens de : le plus âgé, le plus ancien. Doyen aurait en effet le sens de “respectable”.
10 – Archives de la Diana , 32 H 006, f°136 verso. Cité, pour la première fois, par L.-P. Gras, Notes sur quelques blasons de la Diana, Lyon 1866, p. 7. Ce nom de Diana se trouve également mentionné dans d’autres terriers, par exemple dans le terrier Champolin, Arch. Diana 7H 007, f° 19 : “situé en Bretaignes, autrement en la Diana”, etc.
11- cf. note n° 7.
12 – Archives départementales du Rhône, 4 G. 75, F° 240. Cité par M. Gonon, la vie quotidienne en Lyonnais d’après les testaments, XIVe – XVIe siècles, Mâcon, 1969, p. 473 art. [2221].
13 – Archives Diana 7 H 006, f° 22 . Cité par V. Durand dans une note de son article “Un registre de famille aux XVIe et XVIIe siècles, La Revue Forézienne, t. 4 (1870), p. 170.
14 – Archives Diana 7 H 005, f° 377 v°. Non cité par V. Durand et donc inconnu de ceux qui reprennent seulement ses références.
15 – Archives Diana 7 H 007, f° 32. Cité par V. Durand dans une note de son article “Un registre de famille aux XVIe et XVIIe siècles, La Revue Forézienne, t. 4 (1870), p. 170.
16 – Archives Diana, 2 E 1770, inventaire Trunel de 1553, f° 240. Cité par V. Durand dans une note de son article “Un registre de famille aux XVIe et XVIIe siècles, La Revue Forézienne, t. 4 (1870), p. 170. Cette note est reprise dans un article d’H. Gonnard sur “la Diana”, Journal de Montbrison, 9 janvier 1898.
17 – E. et J. Bourciez, Phonétique Française, étude historique, Paris 1967, pp. 62, 109, 138.
18 – Oeuvres du chanoine Loys Papon, seigneur de Marcilly, poete forezien du XVIe siècle, imprimées pour la première fois sur les manuscrits originaux par les soins et aux frais de M. N. Yemeniz, Lyon 1857, p. 135. Ce “discours” a été également imprimé dans : H. Gonnard, Monographie de la salle de la Diana, Vienne 1875, p. 23- 26.
19 – Archives départementales de la Loire C 32. A. Bernard dans son Histoire du Forez, t. 2, p.271, transforme l’expression “Grand’salle du doyenné” en “Diana”. La mention exacte a été reprise par H. Gonnard, Monographie de la Diana, Vienne 1875, p. 16, 20 et 28.
20 – Par exemple : La Mure, Histoire des ducs de Bourbon et des comtes de Forez, Paris 1860, t. 1, p. 149 “…en l’ancienne salle du cloître de cette église appelée Diana, dont le lambris est tout orné et embelli d’anciennes armoiries…”
21 – Cette communication se faisait par deux portes. Ces portes sont signalées par L.-P. Gras, Notes sur quelques blasons de la Diana, Lyon 1866, p. 6, et par V. Durand dans une note de son article “Un registre de famille aux XVIe et XVIIe siècles, La Revue Forézienne, t. 4 (1870), p. 170. T. Rochigneux, “Peintures anciennes découvertes dans la maison Latour-Durand, annexe de la Diana”, Bulletin de la Diana, t. 6 , (1891-1892), p. 125, indique n’avoir remarqué d’autre vestige de communication entre cette maison et la grande salle qu’un passage de forme irrégulière dans les combles (ce passage muré est toujours visible).
22 – Ces appellations sont données dans les brefs de vente de 1791, Arch. de la Loire, Q 59, publiés par A. Huguet “Le cloître de Montbrison en 1791,Bulletin de la Diana, t. 6 (1891-1892) p. 172-173. Cette étude de A. Huguet a fait l’objet, sous le même titre, mais avec un complément et une table des noms cités, d’un ouvrage particulier, Montbrison, 1894.
23 – A. Huguet, “Le cloître de Montbrison en 1791,Bulletin de la Diana, t. 6 (1891-1892) p. 188 -189. La maison du doyenné était à l’ouest de la Collégiale, et joignait au sud les remparts de la ville.
24 – Révérend du Mesnil, “Le cloître de Montbrison, le Doyenné, la maison de La Mure”, l’Ancien Forez, t. 9, (1891-1893), p. 283-285.
25 – Archives de la Diana 2 G-13-8 (inédit à notre connaissance).
26 – A. Huguet “le cloître de Montbrison en 1791,Bulletin de la Diana, t. 6 (1891-1892) p. 168, place la sacristie au nord de la collégiale, en face de la chapelle des Robertet. A. Bernard désigne une autre maison comme étant traditionnellement celle du “secrétain” : “à droite en entrant dans le cloître par le pont Notre Dame”. Cité par A. Huguet, “La maison canoniale de Jean-Marie de La Mure”,Bulletin de la Diana, t. 6, p. 201.
27 – T. Rochigneux l’a signalé “Peintures anciennes découvertes dans la maison Latour-Durand, annexe de la Diana”, Bulletin de la Diana, t. 6, (1891-1892), p. 124. Au sujet de cette fresque, de sa conservation et de sa donation à la Diana en 1950, voir au secrétariat de la Diana : arch. Delomier, carton n° 13, liasse 0149.
28 – V. Durand “Un registre de famille aux XVIe et XVIIe siècles, La Revue Forézienne, t. 4 (1870), p. 167-173. Repris par A. Huguet, “Le cloître de Montbrison en 1791, Bulletin de la Diana t. 6 (1891-1892), p. 153.
29 – J. Beyssac, “Les chanoines de Notre Dame de Montbrison”, Bulletin de la Diana, t. 20 (1919-1920), p. 153-379, les fonctions du sacristain sont précisées p. 171.
30 – Cette ordonnance a été publiée par A. Huguet “le cloître de Montbrison en 1791”, Bulletin de la Diana, t. 6, (1891-1892) p. 154-155.
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