LETTRES D’AMERIQUE LATINE (COLOMBIE, EQUATEUR, PANAMA) ET DES ETATS UNIS, Juillet 1894 -janvier 1895, Communication de M. Alain Collet , BD, Tome LXV, Montbrison, 2006, pages 123 à 126.

 

 

La relation de voyage que nous présentons ici est extraite d’un petit volume manuscrit découvert par hasard chez un libraire à Saint-Etienne. Le livre aux tranches dorées portant sur le plat, dans un encadrement doré, la mention « POESIE » imprimée sur la percaline marron de la reliure, était le type de cadeau offert aux jeunes gens désireux de constituer leur propre anthologie -avant d’être en mesure d’y ajouter des morceaux de leur composition.

Le troisième feuillet porte le titre manuscrit : Lettres d’Henri écrites pendant son / voyage en Amérique / de juillet 1894 à janvier 1895. Les 105 pages suivantes nous rapportent le texte des 23 lettres envoyées par le voyageur à un proche. Malheureusement pour nous, aucune indication précise de sa part ne permet d’identifier formellement l’auteur parfaitement connu de son destinataire. Néanmoins, il s’agit d’un homme d’un milieu aisé et cultivé, connaissant bien le personnel politique puisqu’il a une lettre d’introduction du ministère « venant par M. Roche », lettre lui permettant de se faire recevoir avec égards par les diplomates en place à Bogota et à Quito, diplomates dont nous avons pu retrouver la trace. Jules Roche, né d’ailleurs à Saint-Etienne en 1841 (décédé à Paris en 1923), député du Var, de la Savoie, de l’Ardèche, fut ministre du Commerce, de l’Industrie et des Colonies de mars 1890 àdécembre 1892. En 1894, la lettre d’introduction venant par M. Roche lui a certainement été donnée grâce à ses anciennes relations dans les bureaux du ministère du Commerce. Ces relations peuvent s’expliquer par le recoupement suivant qui a été effectué par un célèbre outil de recherche sur Internet. Après avoir écrit Henri, Amérique latine, nous avons pu voir apparaître le nom de Henri Avenel (1853-1908), publiciste, directeur de journal et auteur de diverses études, sur l’histoire de la presse, le personnel politique et surtout, en ce qui nous concerne, sur l’Amérique latine. Il est fort probable que notre voyageur soit Henri Avenel, auteur de L’Amérique latine, avec un exposé préliminaire des relations présentes et futures du commerce français dans cette contrée (Paris, H. Avenel, Quantin, 1892), assez gros livre de 320 p. illustré de planches et de cartes. Henri Avenel a très bien pu entreprendre ce long voyage deux ans après avoir rédigé -sur documents -cette étude à destination de futurs investisseurs.

Les lettres que nous possédons ne sont pas les rapports d’un voyage d’étude mais la relation d’un voyage de découverte et « d’agrément », même si les péripéties furent nombreuses. En effet, comme nous le verrons, remonter le fleuve du Magdalena (Colombie) avant d’entreprendre à pied, à cheval ou à dos de mulet, fusil en bandoulière, la traversée des Andes (Colombie, Equateur) dans les conditions de vie et de voyage de la fin du XIXe siècle, n’était pas vraiment de tout repos et demandait du courage, des nerfs solides et une bonne santé. Henri Avenel -si c’est bien lui -a pu néanmoins envoyer parallèlement des lettres spécialisées à un autre public hors de la sphère des proches, pourtant rien dans les lettres à notre disposition ne montre qu’il voulait ou devait rédiger de tels « rapports » ou investigations.

Quoi qu’il en soit, ces lettres vivantes, bien écrites, sont aujourd’hui un témoignage intéressant qui mérite d’être publié. Elles nous font découvrir une personnalité énergique, intelligente, curieuse et sensible aussi bien aux paysages qu’aux
hommes. Conscient de sa supériorité « évidente » d’européen du XIXe siècle face aux habitants du continent, anciens ou récents, il lui arrive de tenir des propos qui ne seraient plus tolérés aujourd’hui, « vilaine race », personnes qui « sont d’une bêtise et d’un abrutissement exceptionnels, même pour des Indiens » ce qui ne l’empêche pas de coucher dans une cabane de nègre si c’est nécessaire. Les surprises, les difficultés ou les désagréments du voyage dus aux différences de mentalité entre européens et autochtones (latino-américains ou indiens) sont le plus souvent désamorcés par la maîtrise de soi, la patience et l’humour. Sa description du ferrage de son cheval à Quito dans des conditions peu ordinaires pour un européen pourrait être un morceau d’anthologie. Il est émerveillé par la vision du Cotopaxi, volcan de l’Equateur culminant à 5897 mètres, immense bloc de neige environné de fumées.Bien entendu, nous aimerions souvent que le voyageur prolonge sa description, ses observations ou sa réflexion face aux magnifiques paysages qu’il traverse, face aux personnes pittoresques qu’il rencontre, mais il lui faut terminer sa lettre, il lui faut penser à organiser le départ du lendemain et la prochaine étape… Arrivé à Guayaquil, port de l’Equateur au bord du Pacifique, au début du mois de novembre 1894, il prendra de là le bateau pour Panama avant de s’embarquer ensuite pour San Francisco où il arrive au milieu du mois de décembre. Puis le train de San Francisco à New York où il fait étape au début du mois de janvier 1895. La relation s’arrête par Demain j’irai à Washington. Nous n’en saurons pas plus sur l’homme, son voyage et son retour en France1.

1 Nous avons joint à ce récit une carte sommaire de l’itinéraire en Amérique latine, autant que nous avons pu le reconstituer d’après les données des lettres. Il va de Sabanilla, port de la Colombie sur la mer des Caraïbes, à Guayaquil, port de l’Equateur sur le Pacifique.

 

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