UN PRETRE INSERMENTE A ROCHEFORT, Note de Mesdames Jeanne et Bernadette Carcel, BD, Tome LXV, Montbrison, 2006, pages 351 à 353.
Pendant la Révolution, après le Coup d’Etat du 18 Fructidor an V (1797), les prêtres insermentés furent arrêtés à nouveau en grand nombre et emprisonnés ; beaucoup furent déportés, dont certains à Rochefort (Charente-Maritime) ; ils y moururent nombreux, amassés sur des pontons (vieux vaisseaux servant de prisons).
Le texte qui suit vient des Archives Départementales de la Loire1, et consiste en une lettre de l’un de ces prêtres, envoyée de Rochefort même : elle est donc un témoignage fort et direct, d’une grande vérité – bien que pas toujours clair car écrit avec une certaine maladresse, avec des fautes d’orthographe et sans ponctuation – . L’auteur, prêtre de la région de Montbrison, est inconnu et s’adresse apparemment à un autre prêtre, qui résiderait à Pouilly-les-Feurs, puisque ce texte a été trouvé dans les papiers de la Fabrique de cette paroisse. La destinée de ce prêtre, bien sûr, restera elle aussi inconnue (a-t-il survécu ?… est-il mort là-bas, ou ailleurs ? …)
Voici le texte de cette lettre :
Rochefort le 30 7bre 1798
A un bienfait si généreux je reconnoit que la foi est encore bien vive dans vos contrées. Comme j’ai partagé avec un confrère ce que vous m’avez fait procurer à Montbrison, je partagerai de même avec un lyonnais qui a travaillé admirablement dans notre commerce, je ne doute pas que la tendre piété qui l’anime n’attire sur vous et sur tous mes bienfaiteurs les dons les plus précieux.
Voilà qu’elle est ma situation:
A 4 heures du matin, sans être prévenu, ayant aucune chemise blanche, j’ay été arraché des prisons de Montbrison.. A la Conciergerie j’ai trouvé une poignée de chaînes qui m’attendait, dont on m’a lié. On m’a fait monter sur une charette où j’ai fait la route, toujours bien escorté. Pendant huit jours de marche il ne m’a pas été permis de reposer. Le département m’avait si bien recommandé, qu’en arrivant pour la couchée, arrivait un piquet de douze hommes qui ne quittait pas la chambre où j’étais. Vous pensez bien sans doute que le silence n’était pas observé! J’ai été lié et garotté pendant la moitié de la route ; cela dépendait de l’humanité des gens d’armes. En six ou sept prisons, j’ai couché au cachot sur la paille, et dans un temps de Carême. – Après un voyage d’un mois et demie j’arrivai à Rochefort, et après quelques formalités auprès de la municipalité, on me conduisit dans un grenier où il y avait 90 prêtres. Pendant un mois ou deux, nous étions assez libres, ayant la permission de nous promener dans une cour ; mais nous avons demeuré pendant les deux mois des grandes chaleurs, entièrement fermés ; il n’était donné à aucun de descendre. Un pareil séjour a été pour moi un supplice, toujours nouveau par un air mephitique qu’on y respirait, obligé d’aller puiser de l’eau pour notre usage; on se disputait cette corvée, uniquement pour respirer pendant quelques minutes un air plus pur. – Qu’arriva-t-il de là ? un grand nombre tombèrent malades, et c’est là où j’ai pris cette fièvre putride qui me tourmente encore. Pour la « nourriture », la nation nous donnait une livre de pain de munition, une chopine de vin, et une demie livre de viande ; les charités de différents diocezes contribuaient à l’appret et nous donnait un morceau de bouilli ou de rôti le soir, que l’on partageait entre douze ou quatorze. En suppléant par un déjeuner, on pouvait vivre ; les vendredi et samedi on donnait des légumes et le soir une salade et un morceau de fromage.
Voicy quel a été l’embarquement que l’on a fait 31 de juillet . On fit une visite de toutes les males, on déchira aux unes et aux autres des cantiques pieux et des instructions ; la plupart des ecclésiastiques, malgré ces actes de despotisme, ne purent pas se persuader que le départ fut prochain. Lorsque le lendemain le Commissaire du pouvoir exécutif, à la tête d’une nombreuse escorte leur signifia l’ordre de partir, il était alors 4 heures du matin ; les malheureux encore endormis, se demandaient l’un à l’autre ce que c’était. Lorsque de nouveau le Commissaire leur dit qu’ils allaient partir, tous poussaient des cris de douleur, préférant la mort à une vie qui ne peut lui être comparé. Le premier moment que l’on accorde à la nature fut d’abord suivi des sentiments de religion il s’animèrent les uns et les autres ils allèrent joindre une barque qui devait les conduire auprès des Corvettes qui les attendaient à deux lieues de là. Auparavant on avait balayé l’hôpital où il y avait 60 malades ; on en força plusieurs à se lever pour partir; un jeune soudiacre étant de ce nombre, en montant la Corvette il s’évanouit. Le capitaine voyant son état, ordonne de le reconduire à l’hôpital; il passa toute la nuit avec des gardes et des marins, dans un canot. Le lendemain, il expira à la porte de l’hôpital; il avait été dépouillé jusqu’à ses propres vêtements. Nombre d’autres sont morts dans l’espace de cinq à six jours qu’ils sont restés en rade: il n’y a pas d’inhumanité pareille ! … Quinze jours après leur départ, ils ont été rencontrés par une division anglaise qui livra bataille à nos deux corvettes ; les prêtres qui montaient la corvette qu’on appelle « la Vaillante« , assurent que les deux corvettes se battaient conjointement et qu’un quart d’heure après, elle avait disparue ; ils craignaient fort qu’elle n’ait enfoncé, attendu que d’après l’avis des marins, ce bâtiment qu’on appelle la Boujolaise était hors d’état de soutenir un gros temps ou un combat. Dieu veuille que cela ne soit pas. Si cela est , quelle perte, puisqu’elle renfermait 125 prêtres et qu’ils étaient dans le bâtiment comme des harengs en coque. Depuis l’embarquement on a choisi un autre dépôt qui est à la citadelle de « l’isle de Rhé » à cinq lieues de La Rochelle. Ils sont au nombre de 350, couchés sur la paille , à faire cuire leur demi livre de viande. Une surveillance des plus grandes les trouble à chaque instant ; aucune personne ne peut entrer pour leur parler. Leur apporte-t-on quelque chose, un soldat visite pièce par pièce. Des visites se font et le jour et la nuit. Vous y voyez des Curés qui ne sont plus des hommes, mais des spectres vivants. II est impossible de se faire une idée de tout ce qu’on y souffre . Voilà la perspective qui m’attend quand je sortirai de l’hôpital, mais rien ne m’effraye, je saurai souffrir pour la foi puisque le Seigneur m’a choisi pour en être le Confesseur heureux ; si mon martyr pouvait contribuer à la conversion de tant de malheureux.
Dans l’hôpital militaire où je suis on est confondu avec les soldats. Cette confusion n’est pas sans désagréments, mais je suis dans la rage de souffrir; je cherche à le faire avec résignation. J’espère que le Seigneur recevra mon sacrifice et qu’il m’en accordera la récompense. Si j’ai le bonheur de vous y précéder, je n’oublierai point tout ce qu’on a fait pour moi.
J’ai remis l’effet à un négociant qui a promis de l’acquitter dans dix jours. J’espère qu’il n’y aura pas de difficulté.
Présente mes respects à tous mes bienfaiteurs et qu’ils comptent sur ma reconnaissance auprès de Dieu.
Parmi les 350 prêtres, il y en a 200 déportés pour Canoc de Décades. Ce mélange de loups et d’agneaux disparait peu à peu par le retour à Dieu de quelques uns, et quand reviendront-ils les joindre.
1 G – DEM – 4508 n° 409