BD, Tome IV, Sur une agrafe de ceinture trouvée â Jeansagnères. Communication de M. A. Steyert, pages 149 à 151, Montbrison, 1887.
Sur une agrafe de ceinture trouvée â Jeansagnères. – Communication de M. A. Steyert.
M. le président donne lecture de la lettre suivante :
A Monsieur le comte de Poncins. Président de la Société de la Diana.
Monsieur le Président,
Le Bulletin de juillet à octobre 1886 contient une intéressante communication de M. Bertrand, vice-président de la société d’Emulation de l’Allier, relative à des fouilles exécutées dans la montagne de Jeansagnières. A cette occasion, on a reproduit (Bulletin. t. III, page 355) une agrafe de bronze émaillé, dont l’origine, comme celle des autres objets déeouverts, a été attribuée à l’époque celtique. J’ai cru d’abord à un lapsus calami et j’ai attendu une rectification ; celle-ci ne s’étant pas produite après la publication des deux autres numéros du Bulletin, je crois devoir vous signaler dans cette détermination, une erreur qu’il serait regrettable de laisser subsister.
L’agrafe en question ne me paraît appartenir en aucune façon à l’art gaulois ; il est, à mon avis, facile d’y reconnaître le style de la fin du XIIIe siècle et du commencement du XIVe. On ne peut s’y tromper, pas plus que pour un ouvrage de la Renaissance.
Le monstre aux pieds fourchus. au mufle de quadrupède,.aux ailes d’oiseau, est particulièrement caractéristique d’une période artistique qui s’étend du XIe au XVe siècle. Il a son origine première à l’époque mérovingienne, avec les dragons informes qui paraissent alors sur les plaques de ceinturons. Mais l’animal hybride que nous avons ici, une fois nettement créé dans sa forme générale, a subi des modifications de détails qui permettent de classer, d’une manière sûre, les monuments sur lesquels figure ce fantastique animal. Il suffit de feuilleter un recueil d’archéologie du moyen-âge pour retrouver, à chaque pas, ce dragon ciselé sur des bronzes, gravé sur des plaques1 sculpté sur la pierre, peint sur les manuscrits, tressé dans les entrelacs des lettrines et des rinceaux et, pour le reconnaître sur des ouvrages de l’époque que j’ai indiquée, absolument semblable à celui que nous offre l’émail de Jeansagnières.
L’ornementation de la boucle vient également à l’appui de cette attribution. L’ornement en volute, tel qu’il parait sur cette boucle, appartient au moyen-âge ; il a été absolument inconnu à l’art celtique. Aucune des ceintures de bronze, aucun des bracelets, des armes et des objets celtiques que l’on a recueillis en si grande quantité depuis un certain nombre d’années, n’offre d’ornement procédant de ce motif de décoration ; tandis qu’au contraire il est le point de départ, la base du système ornemental du moyen-âge.
Sans parler de l’urne en verre blanc qui ne saurait être celtique, la présence de débris de fer à cheval trouvé, avec les autres objets, suffit pour reporter la station explorée par M. Bertrand, à une date bien plus moderne que celle qui lui a été attribuée.
Le fer à cheval est d’origine mérovingienne ; le plus ancien d’une date authentique est celui qui a été trouvé dans le tombeau de Chilpéric. L’antiquité, pas plus chez les Celtes qu’ailleurs, n’a connu ce procédé, et de nombreuses peuplades de cavaliers, tels que les Cosaques, ne le pratiquent pas encore. La solea que les Romains adaptèrent aux pieds des bêtes de somme, ne peut être confondue avec le fer à cheval moderne ; elle en différait et par la forme et par le mode d’attache, qui s’opérait à l’aide de courroies et non avec des clous.
Les archéologues qui sont familiers avec l’art du moyen âge et de l’époque celtique trouveront sans doute puérile l’insistance avec laquelle je cherche à fixer la date d’un objet dont l’âge se révèle au premier coup d’oeil ; mais ne pouvant procéder par voie d’autorité, je suis forcé d’accumuler les démonstrations et les preuves pour ne laisser aucun doute et permettre à chacun de contrôler mes assertions.
En résumé, s’il m’était permis d’exprimer une opinion, je dirais que la présence de ces débris sur ce plateau isolé indique l’existence d’une place de refuge établie lors des incursions des Anglais qui ravagèrent nos provinces au XIV e siècle. Cela n’enlèverait rien à l’intérêt de ces découvertes ni au mérite de l’infatigable explorateur ; bien loin de là : des monuments authentiques d’une des époques les plus tourmentées de notre histoire seraient plus précieux que les restes équivoques d’un âge incertain.
Veuillez agréer, etc. A. STEYERT.
P.S. Le plan qui a été joint (Bulletin, t. IV, n° 1) vient à l’appui des précédentes observations . On ne peut y voir la configuration ni l’agencement d’habitations gauloises.