LES VITRAUX D’ETIENNE COUVERT A LA CHAPELLE NOTRE-DAME DE LAVAL; PROGRAMME ICONOGRAPHIQUE ET CONDITIONS DE LA REALISATION
Communication de M. Jacques AMAZ chargé de cours à l’Université Lyon II et à l’Université Lyon III.
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Dans l’article qu’il consacre à la chapelle Notre-Dame de Laval à Baffie, Olivier de Sugny passe sous silence les vitraux qui en décorent le choeur (1). Le nom de l’artiste qui les avait composés était pourtant connu par une inscription située dans le registre inférieur de la verrière d’axe: “Stephanus Couvert lugdunensis Guilhelmi Bonnet sculptoris eximii gener propria manu pinxit anno Domini MCMII” (2). Mais il est vrai que le nom d’Etienne Couvert (1856-1933) n’étant pas resté dans la mémoire collective, les documents permettant d’étayer une présentation des vitraux semblaient manquer.
L ’étude récente du fonds familial Couvert, qui bien que pratiquement inédit présente un intérêt certain, a permis de mettre à jour plusieurs ensembles de dessins préparatoires dont un se rapportait aux vitraux d’une “chapelle Notre-Dame à Baffie” qu’il a été facile d’identifier à celle connue sous le vocable de Notre-Dame de Laval à Baffie dans la Loire près de Saint-Germain-Laval. De plus une correspondance abondant permet de mieux cerner l’évolution du projet et de déterminer quels furent les rôles respectifs de l’artiste, Etienne Couvert, du maître verrier, A. Roux (3) et des commanditaires.
Ces vitraux, outre leurs qualités formelles, présentent un intérêt certain car ce sont les premiers réalisés par Etienne Couvert, avec ceux de l’église Sainte-Madeleine à Tarare (Rhône) (4) ; ils marquent un tournant dans la carrière de l’artiste qui s’était essentiellement vu confier jusqu’alors la réalisation de peintures murales.
La chapelle Notre-Dame, construite au XIIIème siècle, fut un lieu de pèlerinage très fréquenté car elle abritait la Vierge noire que Saint Louis rapporta de Terre sainte (5). Sa notoriété déborde le cadre de l’époque médiéviale puisqu’au début du XVIIème siècle (1606) Anne d’Urfé en disait encore: “ La chapelle (est) fort renommée pour les grands miracles qui s’y font” (6).
Après la Révolution, la chapelle sert de grange à foin. Vers 1893, elle se trouve dans un extrême état de délabrement (7) . C’est alors que, en 1894, la Diana en devient propriétaire (8). Sous son égide commence une série de travaux de rénovation et d’embellissement (9).
Les travaux avancent rapidement puisque dès 1896, les responsables de la Diana veulent doter la chapelle de vitraux. L’artiste choisi pour concevoir les compositions est le désormais notoire Paul Borel (1828-1913) (10). Mais celui-ci décline l’offre qui lui est faite.
C’est Etienne Couvert, ami très proche de Paul Borel, qui hérite avec la plus grande joie de la commande: “J’ai vu hier au soir M. Borel qui était venu me voir à mon atelier pour m’apporter une commande. Une commande sérieuse, mais pour laquelle je suis en pourparler et n’est par conséquent pas encore confirmée par l’intéressé. Il s’agit d’un vitrail pour l’église du pays de ton père, Saint-Germain-Laval, un vitrail de 8 m 50 de haut, mais de seulement 1 m 20 de large, une fenêtre gothique. Ce n’est pas un curé qui commande mais bien une société archéologique et scientifique de Saint-Etienne (sic), La Diana. ce sont presque tous des archéologues et ils ont restauré cette petite église de Saint-Germain et veulent la doter d’un vitrail. C’était M. Borel qui devait être chargé de cela, mais il n’a pas voulu et M. Trévoux (11) a pensé à moi. Seulement M. Borel m’a conseillé d’écrire à un membre de la Société pour m’expliquer au sujet du projet” (12).
Dans la même lettre, il précise les termes du contrat et les exigences spécifiques des commanditaires: “Il faut que j’aille à Saint-Germain-Laval pour voir M. Durand (13), voir la chapelle, et m’entendre. La commande est de 4000 francs peut-être 5000. On, veut que je peigne moi-même sur verre. On ne veut avoir à faire (sic) à aucun verrier (14) (…) Ils tiennent absolument à ce que ce soit le peintre qui peigne sur verre. Ils n’ont confiance en aucun verrier. J’ai envie d’accepter quand même” (15).
Le contrat tel qu’on le connait par cette ébauche est tout à fait atypique. Les travaux sont en effet directement confiés à l’artiste alors que d’ordinaire la commande est passée à un maître-verrier qui sous-traite, si besoin est, une partie du travail de composition à un artiste de son choix. Le maître-verrier est donc dépossédé de la responsabilité des travaux. Les commanditaires exigent même de l’artiste qu’il ne limite pas son action à l’élaboration de la maquette et du carton mais qu’il accomplisse aussi un travail qui reste l’apanage du maître-verrier: la peinture sur verre.
Il semble que ces exigences soient autant induites par une certaine méfiance envers les maîtres verriers que par des moyens pécuniaires relativement limités. En effet, Etienne Couvert est autorisé, s’il le désire, à engager, pour faire le travail d’ajustage et de cuisson, un ouvrier indépendant qui permettrait de limiter les dépenses -”Ils disent qu’avec 800 francs on peut fort bien trouver un ouvrier pour faire le travail d’ajustage et de cuisson” (16) – à condition qu’il conserve la maîtrise des travaux – “ M. Couvert a sous la main un fabricant de vitaux de ses amis qui se chargerait de la cuisson et des opérations préparatoires. Nous n’aurions d’ailleurs à faire qu’avec Couvert, lequel aurait toute la responsabilité intégrale de l’ouvrage” (17).
L’ampleur du travail et sa nouveauté semble effrayer quelque peu l’artiste. Mais on lui fait comprendre que, s’il satisfait aux exigences des dirigeants de la Diana, ceux-ci pourraient lui procurer de nouvelles commandes: “ M. Trévoux m’a dit que ce vitrail me ferait du bien parceque (sic) tous les membres de cette Société sont influents, puis ce sont des relations intéressantes” (18).
La recommandation de Borel et de Trévoux semble avoir été décisive dans le choix d’Etienne Couvert fait par la Commission de la Diana. Deux autres facteurs ont joués en sa faveur.
Etienne Couvert n’est pas totalement inconnu à l’époque puisqu’il achève en 1894 les peintures murales de la coupole de l’église Saint-Pothin à Lyon que Bénézit signale comme étant l’une de ses deux oeuvres majeures (19). Ce travail luis sert, devant la commission de la Diana, de référence : “M. Couvert, élève d’un maître éminent, M. Borel (20), est lui-même un artiste des plus distingués et ses belles peintures de la coupole de Saint-Pothin à Lyon attestent que les grandes traditions de la peinture murale ne sont pas près de mourir parmi nous” (21).
Le jeune artiste lyonnais est par ailleurs le gendre de Guillaume Bonnet (1820-1873), statuaire ,notoire né dans un village proche de Saint-Germain-Laval (22) : J’ai été à Saint-Germain-Laval. J’ai vu le pays de ton père; les prés où il gardait ses troupeaux. Son village (Marcillieu) puis des personnes qui l’ont connu. On m’a montré à Montbrison l’autel de la cathédrale qui a été sculpté par lui. Du reste, dans le pays, son souvenir est encore assez vivace. On est fier de lui (on a donné son nom à une rue de Saint-Germain) et à cause de lui on s’intéresse à moi. J’ai heureusement pensé à en parler à ces messieurs. J’ai vu que cela leur causait une bonne impression. Ils ne me l’ont pas caché et m’ont dit qu’auprès des gens de la localité cela aurait une très heureuse influence. J’espère que la commande suivra de près l’esquisse que je vais leur soumettre aussitôt que je pourrais” (23).
L’importance de cette parenté aux yeux des responsables de la Diana est matérialisée par le fait que ceux-ci demandent au moment de la signature de l’oeuvre que l’artiste fasse référence à son beau-père: “ En signant votre oeuvre il sera convenable d’y ajouter la date. Et il me semble que si vous rappeliez votre qualité de gendre de l’éminent Guillaume Bonnet, ce serait rendre à la mémoire de celui-ci un hommage dont sa ville natale serait reconnaissante car votre beau-père est une de ses gloires” (24).
Cinq mois après la première entrevue, la maquette composée par Etienne Couvert est présentée aux commanditaires: “M. Gayet est venu hier à la Diana et a présenté votre avant-projet (…) On s’est accordé à louer les qualités de style et de couleur de cette maquette toute sommaire qu’elle est. La disposition générale a paru également bonne. Vous avez en effet, tout en adoptant un étagement symétrique des personnages, réussi à conserver à l’ensemble cette impression d’élancement qui m’a toujours paru nécessaire pour assurer l’harmonie entre le cadre et le tableau” (25).
Quelques demandes de modification sont ensuite notifiées: “Sur trois points seulement des observations ont été faites :
1 – Le compartiment inférieur a paru peut-être un peu bas, étant donné que cette partie sera masquée par l’autel pour les personnes placées dans le choeur.
2 – Les panneaux séparatifs des personnages qui sont remplis par une espèce de claire-voie ont paru à quelques personnes un peu maigres: on craindrait qu’ils fissent trou; j’incline à croire en effet qu’il vaudrait mieux changer ce motif.
3 – Enfin, les piliers figurés sur lesquels s’enlève la tête des personnages ont donné lieu à cette observation que ces derniers auraient l’air d’être empalés ou du moins liés au poteau.
Vous voyez qu’il ne s’agit en tout ceci que de détails secondaires (…) Des remerciements vous ont été votés. Votre maquette va être encadrée et on la placera dans la chapelle de N.D. de Laval, avec une inscription indiquant que c’est un avant- projet” (26).
Trois années s’écoulent avant que l’on ne reparle de ce projet. Les travaux doivent en effet être financés par les dons suscités par l’exposition de la maquette d’Etienne Couvert dans la chapelle. Ce délai relativement long ne suffit pas à réunir les 4000 à 5000 francs initialement espérés: “Dans sa dernière séance, la commission avait décidé de passer à l’exécution du vitrail pour lequel vous avez bien voulu établir une maquette d’attente. Un don important étant venu porter à 3500 francs environ la somme dont nous disposions pour cet objet. M. Gayet devait en conséquence se mettre en rapport avec vous en vue d’arrêter les grandes lignes d’un projet définitif” (27).
Il faut encore attendre neuf mois pour que décision finale soit prise: “Je vous retourne sous pli recommandé les deux projets de vitrail. Celui qui a été adopté par le conseil de la Diana et qui est revêtu au dos de la signature du président, est celui que de son côté, la commission administrative de la chapelle avait désigné (projet A). Nous n’avons pas d’observation à vous transmettre, ni de modification à vous indiquer, ne voulant en rien entraver votre liberté d’’inspiration. (…) Notre président ( de la commission), M. Vincent Durand, vous a donné le texte des deux légendes qui doivent figurer (…). Le prix convenu est fixé à trois mille cinq cents francs” (28).
Le vitrail est enfin posé deux ans plus tard, c’est à dire six ans après l’élaboration de la première maquette par Etienne Couvert: “ On achève la pose du vitrail dont l’effet est très heureux. De l’avis de tous, ce vitrail fait le plus grand honneur à l’artiste qui l’a conçu et exécuté” (29).
Ce dernier passage semble indiquer qu’Etienne Couvert a bien réalisé lui-même le vitrail comme la Diana lui avait expressément demandé. Une lettre d’Auguste Morisot (1857-1951), ami intime de Couvert, permet d’arriver à la même conclusion (30) : “Je te sais beaucoup de gré des détails sur ton vitrail et te renouvelle tous mes compliments, car tu fais là une belle oeuvre et bien complète ! Tu as montré qu’avec du talent et un peu de persévérance on peut toujours faire la nique aux hommes de métier. Que diable on n’arrive pas du premier coup assurément, eux non plus du reste; mais tu étais mieux préparé qu’eux et pour un artiste qu’est-ce qu’un métier ? Six mois d’apprentissage et après on peut leur en remontrer ! Bravo ! Tu reconnais quelques erreurs: tant mieux ! Ta prochaine commande en bénéficiera et outre les qualités d’une composition d’un grand caractère religieux, d’un dessin impeccable ta nouvelle oeuvre sera irréprochable quand au choix des verres et de l’exécution et sera digne de faire l’admiration des artistes et des connaisseurs” (31).
La facture envoyée à Etienne Couvert par le maître-verrier A. Roux (32) corrobore les indications précédentes puisqu’elle n’atteint pas tout à fait quarante pour cent du prix total de la verrière; elle s’élève en effet à 1390,50 francs dont 527,45 francs “ en fourniture verres antiques” et 481,60 francs de “main d’oeuvre pour 602 heures de travail à 0,80 fr. l’heure et 64 heures de travail à 0,50 fr. l’heure” (33). Les 666 heures de travail signalés concernent la réalisation des bordures décoratives et, pour les parties figurées, la découpe des verres, leur mises en plomb temporaire e définitive, la cuisson après peinture ainsi que la pose dans la chapelle.
La baie d’axe, qui reçoit le vitrail, est l’ouverture principale du choeur carré. Sa largeur est de 1 m 40; sa hauteur de 8 m 50. Un meneau vertical (34) la divise en deux parties égales surmontées d’une rose.
La Dextre divine bénissant, représentée dans la rose, domine la composition. En dessous, on trouve deux registres comprenant chacun deux personnages dans un décor d’architecture gothique (ill. 1).
Dans le registre supérieur est représenté un motif très populaire dans l’art chrétien et cependant étranger à la Bible (35), celui du Couronnement de la Vierge (Ill.2). A gauche, se trouve le Christ debout, de profil à droite, portant dans ses mains la couronne; face à lui, Marie agenouillée et vêtue de son traditionnel manteau bleu. On doit se garder d’identifier cette représentation au type de la Vierge couronnée par le Christ seul. Marie est en effet dominée par le Saint-Esprit, sous la forme de la colombe, et par Dieu le Père représenté par la main divine dans la rose. Ce Couronnement de la Vierge doit donc plutôt être rattaché au type de la Vierge couronnée par la Trinité.
Précisons que cette composition fut reprise en 1930 par l’artiste lorsque lui furent commandés trois vitaux pour l’église Notre-Dame-de-l’Assomption à Neuville-sur-Saône en remplacement de ceux, dûs à Bégule, détruits pendant la première guerre mondiale.
Les vingt-trois dessins préparatoires retrouvés dans le fonds familial Couvert permettent de savoir que l’artiste progressait, dans son travail de composition, de façon assez traditionnelle. Il commence par dessiner chaque personnage nu (ill.3) en étudiant séparément les détails importants comme les mains ou les visages (ill. 3) avant d’exécuter les maquettes et les cartons (ill. 4) (36).
Deux devises choisies par les commanditaires se trouvent en dessous de cette scène. A gauche on lit “A Deo fortis abeo” et à droite “fac bene ne timeas” (37).
Dans le registre inférieur (ill. 7 et 8) sont représentés, à droite saint Germain, “Oppidi sancti Germani patron”.”, et à gauche, saint Irénée, “Sodalitii décanat. patron.” (38). Les deux personnages sont représentés en évêque avec la mitre et la crosse.
Le modèle qui a donné ses traits à Marie est, comme dans la coupole de l’église Saint-Pothin à Lyon, la propre femme d’Etienne Couvert, Jeanne Antoinette Bonnet (1866-1951).
Il faut reconnaître par ailleurs dans le visage de saint Irénée celui du secrétaire de la Diana, Vincent Durand (39). Gayet avait en effet envoyé à Etienne Couvert des photographies du personnage peu avant sa mort: “ Je me permets de vous adresser deux petites épreuves, pas fameuses, où vous reconnaîtrez peut-être notre vénérable ami Vincent Durand” (40). C’est d’après ces documents que l’artiste lyonnais réalise un portrait peint sur verre évocateur: “ la figure de notre regretté Vincent Durand a été trouvée d’une saisissante ressemblance” (41).
Alors que l’on achève à peine la pose des premiers vitraux, deux autres sont commandés à Etienne Couvert: “Il a été dit que, pour les vitraux latéraux, saint Michel serait représenté sur l’un, sainte Madeleine sur l’autre, en grands personnages avec une riche ornementation en verre antique. Les conditions qui vous sont offertes par la commission sont 500 fr. pour la partie technique et 400 fr. pour la figure, soit 1800 fr. pour les deux vitraux, livrables sous six mois” (42).
Le projet est évidemment agrée par Etienne Couvert: “Je dois représenter sainte Madeleine en pénitente, un vase à parfum à la main; sur l’autre saint Michel vainqueur du démon” (43). Cependant l’artiste lyonnais propose une composition un peu plus riche; mais cette proposition n’est pas acceptée par la Diana:” Malgré le désir de voir deux personnages aux grands vitraux, la commission de Notre-Dame-de-Laval, considérant les travaux de réparation à brefs délai, s’excuse de ne pouvoir accepter les conditions avantageuses que vous avez faites. La nécessité, pour ne pas dire la pauvreté nous oblige à nous contenter d’un seul personnage, sainte Madeleine au nord et saint Michel, au midi” (44).
Les difficultés pécuniaires invoquées ne sont pas les seules raisons qui motivent le refus de la Diana (45) : “Je viens d’apprendre qu’à Saint-Germain-Laval, on parle de la fermeture ( pour l’exercice du culte) de la chapelle de Notre-Dame de Laval. Cette éventualité est fort possible, là comme ailleurs. En l’état, je crois prudent de ne pas donner de solennité à la pose des vitraux latéraux et je vais écrire en ce sens à M. le Curé de Saint-Germain (…) je compte ajouter quelques mots sur la prudence qui me semble de commande actuellement, afin d’éviter toutes espèces de manifestations quelconques et surtout politiques à propos de la pose des vitraux. Ce serait donc bien de faire cette pose tranquillement et sans bruit”(46).
En décembre 1903 les vitraux sont installés et les travaux d’Etienne Couvert pour la chapelle Notre-Dame de Laval à Baffie terminés: “Je vous adresse sous ce pli la somme de 2070 francs, montant de votre facture” (47).
Les deux vitraux commandés en 1902 ferment les lancettes ajourant les murs latéraux du choeur. leur largeur est de 0 m 60; leur hauteur de 7 m 80.
Au sud figure saint Michel (ill. 9). L’archange, chef de la milice céleste, est représenté en tenue de soldat; on voit le plastron de sa cuirasse, il tient la lance et porte l’épée au côté gauche mais pas de bouclier. Il est bien sûr ailé. On le voit habituellement combattre les anges rebelles ou le dragon de l’Apocalypse. Dans le cas présent, il est représenté après le combat, dans une pose qui évoque David triomphant de Goliath, terrassant un démon anthropomorphe, ailé lui aussi, dont la félonie est symbolisée par les deux cornes de son front.
Précisons que dans les traits de saint Michel tel qu’il est figuré sur le vitrail et dans le portrait dessiné ayant servi d’étude au visage du saint (ill.12), on reconnaît François Couvert (1886-1970), l’un des deux fils de l’artiste.
Au nord on trouve sainte Madeleine (ill.10) (48) dont Etienne Couvert affirme qu’elle est figurée en Pénitente (49). Elle est représentée traditionnellement avec les cheveux longs et défaits mais on ne voit pas la tête de mort ou la couronne d’épines qui sont les attributs de la Madeleine pénitente. Le miroir de la courtisane est lui aussi absent. En revanche, elle tient dans la main gauche un vase à parfum qui permet de l’identifier au type de la Myrophore, contrairement à ce qu’en pense l’artiste.
Les dessins préparatoires montrent la même progression que pour l’élaboration de la verrière d’axe avec dessins de nu (ill.11), études de détails (ill. 12 et 13), élaboration des maquettes et cartons (ill.14).
Aux yeux du clergé, comme à ceux des commanditaires privés, les vitraux religieux ont une fonction évidemment didactique. Le cartonnier et le maître-verrier doivent tenir compte de cette exigence dans la conception et la réalisation des verrières; ils ne sont donc pas totalement libres dans le choix des moyens techniques et stylistiques mis en oeuvre. La lisibilité du vitrail doit être dans tous les cas privilégiée.
Pour ce faire, le réseau de plomb fragmente le moins possible les figures; il se limite à cerner les formes. C’est un élément de structure; son rôle est uniquement fonctionnel et non pas décoratif. Il doit aussi dans la mesure du possible respecter le réalisme du dessin; par rapport à celui-ci, il est bien sûr simplifié mais jamais réduit à des formes purement géométriques.
Le choix des matériaux employés concourt aussi a renforcer le réalisme. Le potentiel décoratif des verres n’est pas exploité. Les verres antiques sont presque les seuls à être utilisés. La palette des couleurs est peu diversifiée; les tons choisis sont relativement foncés. La répartition des pigments dans la masse de la matière hyaline est uniforme; les verres irisés ou opalescents et les verres dits américains inventés par Tiffany ne sont visibles sur aucun des vitraux créés par Etienne Couvert.
Le réalisme imposé de l’oeuvre induit aussi l’extrême importance accordée à la peinture sur verre (50). La grisaille est très largement employée au trait, pour représenter des détails graphiques non traductibles par le cordon de plomb, ou e lavis, pour représenter fidèlement les volumes. Les visages sont modelés d’une façon très réaliste et montrent de vigoureux contrastes de valeur surtout dans les vitraux latéraux, de même que dans les plis des vêtements. Les architectures gothiques en trompe l’oeil sur lesquelles se détachent les personnages sont aussi précisément peintes à la grisaille qu’elles sont dessinées au fusain sur les cartons. On note par ailleurs que l’emploi généralisé de la grisaille tend à renforcer l’aspect foncé des verres choisis.
Le jaune d’argent et les émaux sont aussi utilisés mais dans une proportion très nettement inférieure à celle de la grisaille. On en voit les traces dans les architectures, sur les nimbes des différents personnages et les mitres des saints évêques en particulier.
Les vitraux de la chapelle Notre-Dame de Laval, par les caractéristiques relevées, s’apparentent à la tendance du vitrail tableau tel que le pratiquaient avant lui le lorrain Maréchal de Metz et le lyonnais Claudius Lavergne. Ils sont opposés à ceux composés à la fin du XIXème siècle par les artistes proches de l’Art Nouveau. Il est vrai que ces derniers réalisent surtout des verrières civiles et ne sont donc pas tenus de produire des oeuvres édifiantes et facilement identifiables. Ils peuvent exploiter toutes les possibilités décoratives de cette technique qui vont bien souvent de pair avec une moindre lisibilité de l’oeuvre.
L’inspiration d’Etienne Couvert est essentiellement religieuse; malgré les contraintes spécifiques, il ne semble pas tenté de concevoir des vitraux civils, à l’inverse de son ami intime Auguste Morisot qui, à côté de verrières religieuses assez traditionnelles, réalise des verrières civiles réellement novatrices.
Il serait cependant injuste de sous-estimer la qualité des vitraux réalisés par Etienne Couvert pour la chapelle de Notre-Dame de Laval. Leur valeur particulière est probablement due au fait que l’artiste réalisa lui-même non seulement les maquettes mais aussi la peinture des verres. Malgré la réussite de cette première expérience, l’artiste ne cherche pas par la suite à la renouveler. On retrouve dans les autres verrières à la réalisation desquelles il participa une répartition des tâches entre lui-même et le maître-verrier plus conforme à la tradition.
Indépendamment de leurs qualités formelles, ces verrières revêtent une grande importance dans la vie de l’artiste lyonnais car ce sont les premiers témoins de l’oeuvre qu’il développe dans le domaine du vitrail après avoir été connu jusqu’en 1897 comme le réalisateur de peintures murales religieuses (51).
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