BD, Tome 58, Roger BRIAND, Le retable baroque de l’Assomption en l’église du bourg de Veauche, pages 79 à 94, Montbrison, 1999.
Le retable baroque de l’Assomption en l’église du bourg de Veauche
Le découvrir nécessite un effort de curiosité. Il ne vous suffira pas, visiteur avisé, de franchir le porche millénaire de l’église du bourg de Veauche (1) sur lequel veillent, impassibles sentinelles de pierre, deux colonnes salomoniques coiffées de chapiteaux oblongs à entrelacs (2) aux fûts galbés et bossués. A l’entrée, un regard furtif enveloppant la nef peu profonde, d’un bas-côté à l’autre, ne vous le livrera point. Votre attention sera d’emblée captivée par l’émouvante simplicité des arcatures aveugles latérales et l’ésotérisme naïf de leurs corbeilles pré-romanes, savamment tressées, grossièrement historiées. Avancezdans l’allée centrale. Approchez-vous de la première des trois longues marches basses qui, rituellement, vous élèvent dans le chœur gothique des premières décennies du XVIe siècle. Alors, tournant la tête sur votre gauche, vous l’apercevrez, presque
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1 – C’est là son appellation coutumière ! Cette église, initialement placée sous le vocable de saint Pierre par la suite conjointement consacrée à saint Pierre et saint Pancrace n’a actuellement conservé que le seul patronage de saint Pancrace.
2 – BRIAND, R.: « Saint-Pierre de Veauche – Chronique d’un millénaire dépassé », Bulletin de la Diana, LIV, n° 6, p. 401-412 (année l995).
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Le Retable de l’Eglise du Bourg de Veauche
colossal, plaqué contre le mur d’un renforcement formant chapelle, incertain dans le pinceau de lumière multicolore abaissé d’un vitrail latéral. Prenez le temps de sa contemplation. Admirez ce vénérable et imposant retable, sculpté et peint, œuvre d’art composite âgé de quatre cents ans (3).
De son aspect architectural :
Le retable baroque (4) de Veauche, classé « monument historique » depuis le 30 décembre 1982, se présente dans sa robuste structure tel un portique aux proportions harmonieuses (5) encadrant un vaste tableau religieux (6). Les deux colonnes (7) élevant ses montants soutiennent un linteau majestueux dont l’arcature semi-circulaire ceint l’espace du fronton. Le tabernacle proéminent de la prédelle repose sur un autel étroit de sobre facture. L’ensemble, en bois peint stuqué, est finement et richement sculpté. Sur chacune des colonnes torses, tronconniques et élancées (8), grimpent les vigoureux sarments aoûtés de pampres fournis. Leurs fines feuilles dentelées vert bleu, leurs petites grappes violacées se détachent en ronde-bosse sur un fond ivoirin. Le pied de chaque fût est enfoui dans unecorolle de feuilles d’acanthe du même ton verdâtre que les autres feuillages. Le sommet s’épanouit dans la corbeille chargée d’un chapiteau composite. Mince, l’embase des colonnes est finement cerclée de tores, filets et scoties. Les enroulements sarmenteux sont bizarrement ornés de figurines dispropor-tionnées: enfants à la nudité rose, à l’abondante chevelure blonde et bouclée, oiseaux au plumage noir et bec jaune, identifiables à des merles. A mi-hauteur de la colonne de gauche se détachent deux bambins asexués. L’un, en façade, bras étendus à l’ho-rizontale, présente son profil gauche, mutilé de la jambe opposée.
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3 – Le mot « retable » provient de la francisation du provencal « reiletaulo »: arrière-table d’autel.
4 – Le style “baroque” (du portugais « barroco », perle irrégulière) se voudra être, par ses caprices et ses extravaganccs, une altération, sinon une réaction prolifique à la normalisation académique.
5 – Hauteur: 3,85 mètres, largeur: 2,85 mètres.
6 – Hauteur: 2,15 mètres, largeur: 1,78 mètre.
7 – Hauteur: 2,50 mètres.
8 – Diamètre maximal à la base: 0,35 mètre. Les actuelles couleurs décrites ne sont sans doute pas les teintes d’origine.
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L’autre, vers l’extérieur, est en posture assise, sans siège. A l’avant de cette même colonne, deux merles, l’un au-dessus des enfants, l’autre au-dessous, déploient leurs ailes. Dans l’axe de la colonne de droite, surmontant un merle criard, un bambin est représenté debout, les bras en croix. Sur le côté extérieur, un escargot de Bourgogne grimpe le long d’un sarment. Ces petits personnages naïfs sont plaisants à découvrir. Ils composent une animation buccolique dont l’intrigue scénique est facile à dénouer: gamins espiègles, merles siffleurs et gastéropode friand maraudent les grappes de raisin.
Derrière chaque colonne, un pilastre corinthien laisse place, à sa partie inférieure, à des rameaux de lauriers. L’étonnante finition de œtte superbe décoration masquée, œlle en particulier du chapiteau anormalement recouvert, montre que œ mobilier résulte d’un réaménagement esthétique. Sur un retable antérieur réalisé selon un concept architectural dépouillé dans le goût du clacissisme de la Renaissance italienne, à l’aube du XVIIe siècle, ont été apposées, dans les années 1680, les deux opulentes colonnes baroques. Une investigation technique plus poussée, effectuée à l’occasion d’un démontage, permettrait de préciser ce constat de réemploi.
Par ailleurs, il suffit d’examiner les parties écaillées pour constater que les boiseries ont été repeintes, sans doute à plusieurs reprises, sans respecter les teintes originelles.
Les imposantes avancées latérales du fronton, posées sur l’abaque des chapiteaux, composent un somptueux entablement. Elles s’ornent, sur un fond de cuirs découpés et ourlés, d’armoiries rebondies surmontées d’une couronne de comte. A gauche, sont figurées les armes des Gadagne de la Baume-d’Hostun: De gueules à la croix dentelée d’or. A droite, l’écu partagé est celui d’une épouse: Parti au 1: De gueules à la croix dentelée d ‘or, parti au 2 : De gueules (ou d’azur) au lion d’or (ou d’argent), au chef cousu d’azur, chargé de trois roses d’argent. Nous reviendrons plus loin sur leur signification héraldique. Une fine corniche à denticules agrémente l’entablement du linteau dont le centre est orné de la tête proéminente, rose et joufflue, d’un angelot à la chevelure bouclée, aux courtes ailes largement déployées. De part et d’autre, des cornes d’abondance, étagées, longues et cannelées, dispersent vers l’extérieur leur trop plein symbolique de fruits et de rinceaux.
Coiffée d’une forte corniche à modillons, l’arcature du tympan domine un fronton lisse et dégagé figurant l’espace céleste. Dans l’axe de symétrie, deux anges, assis sur un nuage, regardent le spectateur en soutenant à bout de bras un parchemin repoussé. Celui-ci, découpé de multiples échancrures, aux bords enroulés, présente un blason ovale marqué du trigramme IHS (Iesus, hominum salvator: Jésus, sauveur des hommes). La petite croix posée sur la branche transversale du “H” traduit l’influence des jésuites. Ce fronton, par le style de sa corniche, semble appartenir au retable primitif, mais il pourrait avoir été remanié lors de la “modernisation” du retable.
Un large tabernacle parallélipipédique (9), en bois doré, couronné d’une fine corniche moulurée occupe le centre de la prédelle. Sa facade est également divisée en trois panneaux. La porte centrale, fermant à clé, est sculptée d’un calice surmonté de l’hostie, lisse et brillante comme un miroir. En deçà d’un bulbe finement cannelé le pied du vase sacré s’élargit et s’enfonce dans les mèches, bouclées et emmêlées, évoquant un nuage ou une mer agitée. L’ensemble s’inscrit dans un ovale saillant dans l’épaisseur du bois. Sur les panneaux latéraux, en posture d’adoration l’un vis-à-vis de l’autre, deux anges aux joues roses sont agenouillés, ailes déployées et repliées vers l’arrière. L’ange de gauche est en prière, les mains plaquées l’une contre l’autre. Celui de droite est en posture d’adoration, les bras croisés sur la poitrine, la paume des mains posée à hauteur des épaules. De part et d’autre du tabernacle, dont l’intérieur est encore revêtu de satin blanc, un simple coffre de bois bordé d’une mince corniche assure la continuité de la prédelle. Ses extrémités butent sur un socle prismatique grossièrement habillé de panneaux moulurés supportant l’embase des colonnes. L’étroite avancée de la table d’autel recouvre un large placard, à double battant, dont la trop grande sobriété contraste avec la richesse du retable. Ces boiseries d’époque incertaine sont peintes de marbrures dans les tons bruns et verdâtres. Dans les années 1920, comme le montre une ancienne plaque photographique, deux statuettes étaient posées sur chacune des avancées latérales du tympan formant consoles, à gauche saint Jacques, à droite saint Roch. Elles n’y figurent plus. L’effigie de saint Jacques a été récemment dérobée.
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9 – Longueur: 0,64 mètre, hauteur: 0,36 mètre, profondeur: 0,30 mètre.
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Celle de saint Roch, montrant ostensiblement la plaie de sa cuisse, est actuellement posée sur une console de pierre fichée dans le mur opposé. Ces deux statues ont vraisemblablement été repeintes en même temps que le mobilier du retable dans une harmonie de teintes vert-bleu. Leur différence de style et de taille, cette dernière étant compensée par l’ajout d’un socle surélevant le saint pélerin, indiquent à l’évidence que cette affectation haut perchée n’a relevé que de l’arbitraire d’une décoration ultérieure. Par une autre audace décorative, une grande statue de saint Joseph était alors posée sur la tablette du tabernacle masquant une partie du tableau.
A l’image de l’édifice qui l’abrite où un heureux hasard a laissé juxtaposés des styles architecturaux contrastés, préroman et gothique, le retable de l’église du bourg de Veauche superpose agréablement le clacissisme de la Renaissance et la fantaisie du baroque.
De sa composition artistique.
Le retable est agencé autour d’une importante représentation, peinte sur toile, de l’Assomption de la Vierge. Par delà les Évangiles, muets sur le destin de la mère de Jésus après la dispersion des Apôtres, la tradition rapporte que celle-ci serait morte à un âge incertain, peut être avancé, à Éphèse ou à Jérusalem. Ce sont les écrits apocryphes, les récits des Pères de l’Église, la piété liturgique qui, bientôt, établissent le cycle sacré de la glorification de Marie en le calquant étroitement sur celui du Christ. Après sa mort présumée, la Vierge reste, comme son Fils, trois jours au tombeau, le temps de sa Dormition (du latin dormitio: sommeil), puis ressuscite pour être élevée au Ciel. Son Assomption (du latin assumptio et plus spécialement du latin écclésiastique médiéval assumere: prendre avec soi), transposition de l’Ascension est cependant différente de celle du Christ. Ce dernier a le pouvoir de s’élever dans les cieux par lui-même, alors que la Vierge y est transportée par une cohorte d’anges pour être couronnée par son divin fils. Marie réapparaîtra sur terre pour accomplir des miracles. Depuis le haut Moyen Age, l’iconographie de l’Assomption sera exprimée par maintes représentations sculpturales et picturales. La peinture allégorique de la Renaissance fera un grand usage de la gloire mariale.
L’Assomption figurée sur le vaste tableau ornant le retable de l’église du bourg de Veauche, est conforme à la description qu’en a donnée au VIe siècle Grégoire de Tours: Le Seigneur, ayant reçu le corps de sa Mère, ordonne qu’il soit transporté dans une gloire au Paradis. Aux yeux d’un auguste aréopage, la Vierge ressuscitée est élevée dans sa splendeur, escortée par les serviteurs ailés de Dieu. La toile, œuvre mineure quoique de bonne facture, apparemment non signée, est vraisemblablement l’œuvre d’un artiste local. Respectant une stricte symbolique académique, le dessin est équilibré verticalement selon une égale partition à mi-hauteur, ciel et terre. Au centre de l’espace figurant le ciel, la Vierge d’allure jeune, amplement voilée, la tête légèrement inclinée sur le côté droit, regarde vers le haut, c’est-à-dire vers Dieu, symbolisé sur le tympan du fronton (10). Elle paraît comme allongée dans une large et lourde draperie soutenue par quatre anges, deux sur un plan arrière à la hauteur de ses mains jointes, deux vers l’avant au niveau de ses pieds enroulés dans les plis du tissu. Au premier plan droit, un ange, de sa main gauche, lâche des fleurs, peut-être s’agit-il ici de la rose mystique, une rose sans épine, l’Anastica qui en ancien grec signifie « résurrection” (11). Les rameaux de cette plante se dessèchent mais reprennent vie à la moindre humidité. Des nuées environnantes émergent six chérubins. Un rien de strabisme dans le regard de l’un d’eux, sur la droite, doit relever de la fantaisie ou de la maladresse de l’artiste. Au-dessous, une quinzaine de personnages font cercle, assis sur des banquettesrecouvertes de tissu. Tous sont barbus et vêtus de tuniques, sinon couverts d’amples manteaux. L’un d’eux, au second plan, dans l’axe du tableau, est représenté de face. Quoique non gratifié d’un nimbe crucifère, sa position centrale, son apparence, son geste de bénédiction l’identifient à Jésus. Le Christ revenu sur terre, avec ses douze disciples, non auréolés, préside à l’Assomption de sa Mère. A gauche, au premier plan, l’un des assistants, représenté de profil, tient une rose entre ses mains. Comme les autres témoins il regarde la Vierge élevée au Ciel. Son vis-à-vis fait exception à l’attention générale. Cet homme
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10 – Ce qui tendrait a montrer que l’ajout baroque du retable a respecté l’allégorie de l’Assomption, surmontée d’un tympan approprié préexistants.
11 – La rose était l’un des “ingrédients” du baume de Judée, le chrême destiné à l’onction du baptisé.
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chauve, à la barbe fournie, couvert d’une riche houppelande, détourne son regard vers le spectateur. Cet assistant distrait est néanmoins dépositaire de fleurs répandues par les anges. Ainsi distingué dans la composition picturale, ce personnage pourrait être le commanditaire de l’œuvre, son donateur. Il est a remarquer que les fleurs répandues sont peu communes dans les représentations allégoriques de l’Assomption.
Le caractère pictural d’ensemble est classique, sans maniérisme, normalement rigoureux. Dans sa composition l’œuvre, adroitement équilibrée autour des deux axes de symétrie du panneau, longitudinal et transversal, l’est aussi, symboliquement, selon une triangulation isocèle quasi équilatérale. Les sommets-visages sont celui de la Vierge, en haut, ceux des deux personnages représentés assis, face à face, à l’avant des quadrants inférieurs. Une luminosité diffuse, ocrée, comme ensoleillée évoque le halo surnaturel de la gloire céleste. Cette clarté irradiante interdit les contrastes d’ombres. L’absence d’un paysage d’arrière-plan restreint la dimension spatiale. De la perspective n’émane que le mouvement d’élévation.
Le dessin est succinct. Les différents visages, notamment les yeux dont le rôle est ici prépondérant, ne bénéficient pas d’un soin fouillé. Si le trait est quasi absent, les coloris sont chauds et harmonieux. De fait, l’œuvre vise plutôt l’aspect décoratif global, l’effet mystique par un éclairage de type clair-obscur. Observée à quelque distance, elle vise la méditation globale, l’émotion heuristique, plutôt que l’attention du détail.
A en juger par sa manière, ses règles de composition, son modelé, certaines formes de représentations dans le drapé des vêtements ou le détail anatomique des mains, cette peinture remonterait à la fin du XVIe ou au début du XVIIe siècle (12). Elle appartenait donc au retable primitif.
De ses origines.
Les armoiries placardées sur le galbe des deux avancées supérieures attestent, héraldiquernent, d’une union conjugale distinguée. A gauche, De gueules à la croix dentelée d’or, sont les armes entières des Gadagne de la Baume-d’Hostun, l’époux. A droite, Parti au 1: De gueules à la croix dentelée d’or, parti au 2 : De gueules (ou d’azur) au lion d’or (ou d’argent), au chef cousu d’azur, chargé de trois roses d’argent, sont les armes partagées de l’épouse Catherine, née de Bonne-d’Auriac.
Roger Gadagne de la Baume-d’Hostun est né à Montbrison, en 1623, de Balthazar Gadagne de la Baume-d’Hostun (1590-1640) et de Françoise de Tournon (1602-1665) dont il est le deuxième enfant. Le 27 octobre 1640, par la volonté testamentaire de son père, contrairement à l’usage il hérite du patrimoine nobiliaire familial au lieu et place de son frère aîné, Louis (13). Celui-ci, s’estimant lésé, en appelle aussitôt à la justice royale. Au terme d’une longue procédure devant le Parlement de Paris, Louis finira par récupérer la part de l’héritageprovenant des Gadagne par sa grand-mère Diane (l4); Roger conservant les titres et biens apportés par la maison paternelle de la Baume-d’Hostun. Ce dernier sera donc titré marquis de la Baume-d’Hostun, baron d’Arlenc, de Veauche et de Charmes, seigneur engagiste de Saint Bonnet-le-Château. Roger Gadagne de la Baume-d’Hostun devient sénéchal de Lyon, en héritage de son père, par lettres patentes du 26 janvier 1641. “Commandant pour le roi en l’absence des gouverneurs, dans les provinces du Lyonnais, Forez, Beaujolais, il est aussi maréchal de camp de ses armées” (15). Après avoir testé dès le 26 février 1692, parce que, peut être, gravement malade, il meurt vingt ans
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12 – Tel est aussi l’avis de Madame Sabine de PARISOT, expert en restauration de peintures, à Lyon.
13 – Nous devons à notre collègue dianiste, le professeur Edouard LEJEUNE, éminent spécialiste de la maison Gadagne ces intéressantes précisions, car cette succession anormale paraît quelque peu embrouillée (La saga lyonnaise des Gadagne, Bulletin de la Société historique, archéologique et littéraire de Lyon, année 1993, t. XXIII, Lyon, Archives municipales, p. 87-104). Dans les faits, Louis sera “Comte de Verdun, baron de Bouthéon et de Miribel, seigneur de Meys et de Périgneux” et Roger de la Baume d’Hostun « Marquis de la Baume d’Hostun, baron d’Arlenc, de Veauche et de Charmes, Sénéchal de Lyon » (POIDEBARD: “Armorial des Bibliophiles du Lyonnais, Forez, Beaujolais et Dombes” ). Le retable veauchois a fait l’objet d’une fiche d’inventaire (Ministère des Affaires Culturelles – Inventaire général des monuments et des richesses de la France) dont un exemplaire est déposé aux Archives départementale (Fonds d’inventaire Louis Bernard, 42 72 654). A la suite d’une confusion de filiation, ce document est erroné puisqu’il identifie les armes des Pons d’Hostun et mentionne: Le donateur fut probablement Louise de Gadagne, veuve du marquis de la Baume, seigneur de Veauche et de Bouthéon, tué à Hochtaed en 1704 et remariée à Renaud Constant, comte de Pons d’Hostun. Le retable est daté « vers 1705 » ?
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plus tard, en 1712. Roger Gadagne de la Baume d’Hostun a épousé, par contrat du 17 mai 1648, Catherine de Bonne-d’Auriac. Elle est la fille unique d’Alexandre de Bonne, seigneur d’Auriac et de la Rochette, vicomte de Tallart, maréchal de camp, lieutenant du roi au gouvernement du Lyonnais depuis 1631, marié à Marie de Neuville-Villeroy. A Lyon, en 1652, Catherine donne naissance à un fils, Camille, futur maréchal de France au temps de la guerre de succession d’Espagne, sous le long règne de Louis XIV. Par héritage dans l’indivision de son beau-père, Roger Gadagne d’Hostun a acquis, pour la somme de 250 000 livres, les terres et comté de Tallart et de Fontaine-Sallée. Le Roi-Soleil honorera son maréchal en élevant le marquisat de la Baume d’Hostun en duché sous le seul nom d’Hostun.
Le 13 mars 1658, l’église paroissiale de Veauche fait l’objet d’une inspection canonique par un envoyé de l’évêque de Lyon, Monseigneur Camille de Neuville (on écrit alors Neufville). L’état des lieux fait donc l’objet d’un rapport descriptif détaillé, lequel pourtant ne mentionne pas l’existence d’un quelconque retable. par contre, il y est écrit, textuellement (16).
Nous avons avons trouvé dans l’esglize de lad(ite) paroisse bastie soulz le vocable de St Pancrasse un tabernacle de bois peint et doré, et dans iceluy un ciboire où repose le St Sacrement décement et dévotement tenu, ensemble un soleil (l’ostensoir ?) et une bouete pour porter le viatique aux malades, le tout d ‘argent.
Cette description comparée à celle, précédemment donnée, de l’actuel tabernacle ornant la prédelle du retable, l’ajustement disparate de ce dernier dans le soubassement, établissent le constat d’un réemploi. Le tabernacle en place est celui mentionné lors de la visite épiscopale de 1658. Cette insertion de circonstance
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14 – Diane était la fille cadette de Guillaume I de Gadagne. Après la mort prématurée de ses fils, Guillaume I fait de Balthazar d’Hostun, le fils aîné de Diane, son héritier à la condition qu’il accepte de porter son nom et ses armes.
15 – ANSELME, P.: Histoire généalogique et chronologique de la maison royale de France, tome V, 1730, bibliothèque de la Diana. Il prête son serment de sénéchal le 15 février 1641.
16 – D’après la copie des comptes-rendus de la visite pastorale de Monseigneur de Neuville réalisée par l’abbé Merle et déposée à la bibliothèque de la Diana est-elle due à l’architecte-sculpteur ayant réalisé le réaménagement du retable primitif ou résulte-t-elle d’une adaptation plus récente ?
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Date et auteur du retable.
Quand fut édifié le retable de l’église paroissiale de Veauche, pourquoi et par qui ?
Une opportunité récente nous a permis d’identifier, de façon quasi certaine, l’architecte sculpteur de l’ajout baroque. L’an dernier, la municipalité de Saint-André-le-Puy entreprenait de restaurer le somptueux retable ornant le maître autel de son église. Avec le concours de l’expert désigné par le service culturel des Antiquités et Objets d’Art de la Loire (17), bien des analogies, tant dans l’architecture d’ensemble que dans le détail sculptural sont apparues entre les deux mobiliers. Outre la rythmique ornementale, la similitude imagière des colonnes torses latérales est flagrante. On y retrouve, perdus dans les enroulements sarmenteux, les mêmes “sujets”, de même facture: bambins, merles, escargot. Or, le maître sculpteur du retable de l’église de Saint-André-le-Puy est nommé dans des documents d’époque conservés. Il s’agit de François Combe.
Cet habile artisan, établi à Saint-Galmier, nous est peu connu. Tout au plus, dans un vertigineux raccourci de sa vie comme de son œuvre, nous savons qu’il a trépassé dans cette cité le 21 juin 1693 et qu’il fut sans doute inhumé au cimetière jouxtant l’église. Dans sa propre ville il a réalisé le retable de la chapelle de l’ancien hôpital. Outre les mobiliers évoqués de Saint-André-le-Puy, il aurait travaillé au Puy-en-Velay, en Haute-Loire (18).
Le 22 octobre 1685, messire Tamisier, curé de Saint-André-le-Puy, commande à François Combe un retable pour la chapelle de son église qui est du coté du vent, joignant à la montée du clocher. Ledit mobilier, dûment décrit par le prêtre et d’ailleurs toujours en place, coûtera 90 livres payables le tiers à la
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17 – Il s’agit de M. Guillaume BALAY.
18 – BÉNÉZIT, É.: Dictionnaire des peintres, sculpteurs, dessinateurs et graveurs, tome 3, Librairie Grund, Paris, 1976. LAMI: Les sculpteurs sous le règne de Louis XIV. Il est à souhaiter que quelque chercheur se lance sur les traces de la vie et de l’œuvre complète de François Combe.
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Détails du retable de Veauche
commande, un tiers à mi-travail, un tiers à la livraison. Il devra être achevé pour les fêtes de Noël de la même année, la paroisse prenant en charge les frais de transport. De fait, Francois Combe sera payé en un seul versement tardif, le 29 mai 1686, grâce à la générosité de madame veuve Tamisier. La mère du curé a “avancé” la somme aux recteurs de la luminaire, Claude Gonin et Jacques Gourgaud. Assurément, messire Tamisier doit être satisfait du travail de François Combe (et celui-ci est-il assuré d’être payé !) puisqu’il lui confie, le 5 mai 1686, l’exécution d’un autre retable, beaucoup plus important, destiné au maître-autel de son église. Ce mobilier, aujourd’hui en cours de restauration, est évalué à 147 livres. Ledit montant sera acquitté par tiers comme pour l’ouvrage précédent. Il devra être terminé à la prochaine Saint Jean-Baptiste, soit le 24 juin de la même année. Un délai aussi bref laisse supposer que l’artisan baldomérien employait une main-d’œuvre appropriée, en quantité comme en qualité. Une particularité intéressante de ce retable est qu’il présente, à son fronton, un blason bi-parti identifié, celui de Marthe de Gadagne d’Hostun, veuve de l’ex maître des lieux Claude-Charles de Bron-Rougemont, seigneur de la Liègue et de Bellegarde. Ce dernier étant décédé en 1673, la comtesse douairière, sans descendance, cédera ses biens, le 16 mars 1696, aux Vinols. C’est à elle que sera dédié, pour son aspect profane, ce somptueux mobilier religieux.
Marthe de Gadagne de la Baume-d’Hostun, fille d’Antoine et de Diane de Gadagne est la grand-tante de Roger Gadagne de la Baume-d’Hostun. Dans un sens ou dans l’autre, cette parenté peut laisser supposer une émulation familiale et la recommandation d’un artiste.
Le rapprochement artistique du retable de l’église du bourg de Veauche de celui de Saint André-le-Puy dont on connait le maître-d’œuvre permet et d’identifier et de dater approximativement l’ajout baroque du premier. Il s’agit bien de maistre Françoys Combe, l’artisan de Saint-Galmier. Restent inconnus le donateur ou maître d’ouvrage du mobilier veauchois, de même que son financement.
Roger Gadagne de la Baume-d’Hostun n’a hérité de la seigneurie de Veauche qu’à la fin de l’année 1640. Marié en 1648, il est mort en 1712. Ainsi, dans les faits chronologiques, ce retable remanié, marqué à ses armes ne peut avoir été édifié qu’entre 1648 et 1712. S’il est l’œuvre de l’atelier de Francois Combe, ce dernier étant mort en 1696, il a donc été réalisé avant cette dernière date. Sans doute, compte tenu de l’appréciation d’échange précédente, peut-on situer cette installation à la même époque que celle du retable de Saint-André-le-Puy (avant ? après ?), soit la période quadriennale 1684-1688.
A Veauche, l’imposante structure baroque a été rapportée sur un retable plus ancien, de provenance inconnue. En effet, l’état des lieux, pourtant précis, établi lors de la visite pastorale de 1658, ne mentionne pas l’existence d’un quelconque meuble ornemental de ce type. Le retable primitif proviendrait d’un autre lieu de culte, non identifié. Ainsi le retable baroque de l’église Saint-Pierre Saint-Pancrace du bourg de Veauche serait la double conséquence du don ou de l’achat d’un retable primitif, désaffecté et du don ou de la commande d’une adjonction baroque. Il se peut aussi que le maître d’œuvre Francois Combe après une récupération opportune sur un chantier ait directement proposé le montage en place pour un moindre coût.
Les donateurs.
Qui a commandé et financé le retable veauchois ? Est-ce la paroisse, sous l’égide du curé Claude Genébrier ou de son oncle Jean Genébrier qui l’a précédé jusqu’en 1684 avec son conseil de fabrique, le couple des seigneurs précités, l’une des confréries en place, ou encore un simple particulier, notable, pieux bourgeois aisé, telle madame veuve Tamisier à Saint André-le-Puy, sinon un ensemble de ces différents donateurs potentiels ?
A se référer à la visite pastorale de 1658, la gestion de l’église de Veauche des années 1680 semble plutôt satisfaisante puisque les « luminiers » détournent le surplus de leurs ressources à paier des ménestriers qu’ils font venir le jour de la feste votive du lieu . Deux confréries, l’une du Saint Sacrement, l’autre de Saint Pancrace, contribuent au dynamisme laïc de la petite paroisse de quatre cens communiantz (19). A cette époque, le pélerinage de saint Pancrace est localement très suivi et sans doute rémunérateur. De nombreuses paysannes viennent, surtout des hauteurs de Saint-Héand, en “remiage” à Veauche, notamment pour implorer le jeune martyr gallo-romain d’épargner leurs volailles du tournis de la “crampe » fatale. Par ailleurs, le même rapport d’inspection épiscopale signale l’existence d’une prébende de trente livres faicte par la famille des Chenevier, une autre de cinq livres fondée par le Sr du Bouchet. Cette dynamique budgétaire est-elle suffisante pour permettre un investissement estimé de cent à cent trente tivres ? Au fil des documents connus, les gestionnaires de l’église de Veauche se plaindront souvent d’un manque de ressources.
Aux deux confréries précitées s’ajoutait une confrérie de Saint-Jacques, chargée de préparer les pélerins veauchois au long pélerinage espagnol de Compostelle et d’accueillir les « jacquaires » de passage. Cette association, en l’absence de traces écrites, a laissé une croix monumentale du XVIe siècle dont le fût porte l’effigie du saint en habits de pélerin, une statuette du XVIIe siècle de même présentation, hélas derobée, ainsi que, fort discrète, cette curieuse coquille sculptée en ronde-bosse sur la voûte, à l’entrée de la chapelle abritant le retable. Doit-on à ces confréries, à l’une d’elle ou à plusieurs simultanément, d’avoir contribué, en totalité ou en partie, à l’érection du retable veauchois ?
Un éventuel généreux bienfaiteur privé aura été suffisamment discret pour effacer toute trace de sa donation.
Reste le don seigneurial. Certes, Roger Gadagne de la Baume-d’Hostun et sa noble épouse pouvaient distraire de leur fortune personnelle de quoi offrir pareille dotation, leur possible munificence envers la petite église de leur fief énoncant un geste de bienfaisance programmé ou l’expression d’un vœu. La vie du seigneur de Veauche et autres lieux, gentilhomme de son temps à la carrière militaire et civile banale, nous est très peu connue. Lesoccasions d’un “investissement de réconfort spirituel” ne lui manquaient pas au travers d’évènements marquant la société de son temps ou le cercle familial. On sait que la brillante carrière militaire de leur fils Camille, futur maréchal de France, est jalonnée de dates remarquables. En 1688, il est nommé maréchalde camp (20).
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19 – La paroisse d’alors confond les actuelles communes de Veauche et de Veauchette. Veauche, à elle seule, compte moins de cinq cents habitants.
20 – Camille d’Hostun, duc de Tallard (1652-1728) est né à Lyon. Maréchal de camp équivaut à général de brigade. Plus tard, il sera ambassadeur du roi Louis XIV en Angleterre, vaincra à Spire mais sera vaincu à Hochstædt.
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L’opportunité de la « commande » serait-elle due à la présence de plusieurs comètes sillonnant le ciel des années 1680 ?
Celle de Halley, en 1682, est flamboyante. Trois autres se manifestent, du 30 juin au 1er septembre 1684, du 17 août au 22 septembre 1686 et du 9 au 27 septembre 1689 avec moins d’éclat. La représentation d’un « astre chevelu » figure dans un recoin du retable de Saint-André-le-Puy.
A supposer que le personnage chauve et amplement barbu de la toile peinte, parce qu’il est inattentif au miracle de l’Assomption de la Vierge, soit le « donateur », il ne le serait que pour la partie primitive du retable, tableau et panneau arrière. En ce cas il parait bien hasardeux de prétendre l’identifier, sauf à supposer que le retable initial étant, d’ores et déjà, la propriété de la famille Gadagne de la Baume d’Hostun ce soit Antoine de la Baume d’Hostun (1558-1630) qui, en 1612, acquiert la seigneurie de Veauche (21).
De son emplacement:
Le retable veauchois est plaqué contre le mur nord de l’emprise latérale, carrée, du clocher construit dans la première moitié du XVIe siècle selon le plan d’extension de l’église romane primitive. La dernière colonne octogonale de la nef, sur la gauche, qui supporte partie le poids de l’édifice, s’en trouve nettement renforcée.
Le 13 mars 1658, quand il inspecte l’église de Veauche, le délégué épiscopal de Monseigneur Camille de Neuville consigne l’existence d’une chappelle size du costé de l’épitre, dicte de Notre-Dame et, côté Évangile, d’une autre chappelle, dicte de Sainte-Barbe à laquelle est attachée une commission demesses à dire deux par mois fondée par le Sr (Sieur ,?) du Bouchet où il y a cinq livres de rentes à prendre sur deux préz.. Par la suite, la sainte patronne des mineurs, alors surtout invoquée contre les méfaits de la foudre et la “male mort”, s’effacera devant d’autres consécrations. Récemment, avant qu’il ne soit démonté dans les années 1960, cet autel était voué au Sacré-Cœur de Jésus (22).
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21 – Auparavant, la seigneurie de Veauche appartenait à la maison d’Apchon.
22 – La facade de la table de cet autel, en marbre blanc de Carrare, constitue la face arrière de l’actuel maitre autel.
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Le monumental retable de l’Assomption vient donc, à une date indéterminée, comprise dans la décennie 1680 1690, trouver place dans l’exiguité d’une chapelle latérale consacrée à sainte Barbe. Qu’on l’ait installé à cet endroit peut d’autant plus surprendre que la chapelle du bas-côté opposé est, selon le rapport épiscopal, déjà consacrée au culte marial. La « chapelle de sainte Barbe » laissait aussi place à la dévotion de saint Pancrace, notamment lors de pélerinages très suivis. Ainsi trouve-t-on encore à cet endroit sa statue dorée, datée du XVIIIe siècle, surmontée d’un vitrail plus tardif, fin XIXe siècle, illustrant l’instant tragique de la décapitation du jeune martyr gallo-romain. Fichée dans le mur, une petite console métallique supportait le précieux bras reliquaire argenté, daté du XVIe siècle, volé en 1976, où les reliques de saint Pancrace côtoyaient celles de saint Pierre et de saint Clair (23). Cela étant, force est de constater que l’imposant retable ne trouverait place à nul autre endroit dans cette église aux dimensions modestes.
De l’urgence et de l’intérêt de sa restauration :
En l’église du bourg de Veauche, le retable de l’Assomption accuse les outrages du temps. Un fort taux d’humidité ambiante ajoute à l’inévitable altération des matériaux. Le stuc, peu à peu décollé, se détache par fragments. La peinture s’écaille sur ses boiseries en noyer, qui, sournoisement attaquées par la vermine, deviennent poussière. De son côté, la toile peinte, craquelée, ternie par un épais voile de crasse est rongée par les moisissures. Abandonné dans son recoin, ce vénérable mobilier chargé d’ans et de mystères survit misérablement, n’attirant plus guère le regard. L’église Saint-Pierre-Saint-Pancrace, édifiée à l’échelle du village rural d’hier, s’avère aujourd’hui trop étroite pour contenir les fidèles d’une paroisse urbaine. Une dernière rangée de bancs latéraux est adossée au retable.
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23 – Œuvre de l’orfèvre lyonnais Jehan Fenoyl, ce bras reliquaire qui fut exposé à Paris parmi les Trésors des églises de France, en 1963, a été dérobé par effraction en 1976.
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L’actuel curé de la paroisse de Veauche, l’abbé Jean-Matthieu Barbier, est déterminé à entreprendre la restauration d’un sanctuaire qui, assurément, mériterait d’être classé“monument historique”. Cette action salvatrice concerne la communauté veauchoise tout entière. Tout un chacun, quelles que soient ses convictions métaphysiques se doit d’assumer la gestion d’un héritage établissant l’identité de sa ville, ses racines. Pour amorcer cette dynamique d’intérêt patrimonial, le conseil paroissial a décidé, sur les propositions des experts, que serait, dès cette année, remis en état le tableau de l’Assomption.
L’auteur exprime sa gratitude, pour son aimable collaboration, à madame Anne CARCEL, Conservateur des Antiquités et Objets d’Arts de la Loire.
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LE RETABLE BAROQUE DE L’ASSOMPTION EN L’EGLISE DU BOURG DE VEAUCHE
Communication de M. Roger BRIAND
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Découvrir le retable baroque de l’assomption en l’église du Bourg de Veauche nécessite un effort de curiosité. Il faut franchir le porche millénaire de l’église du bourg de Veauche (1) encadré de deux colonnes salomoniques coiffées de chapiteaux oblongs à entrelacs (2) aux fûts galbés et bossués. Dès l’entrée, l’ attention est captivée par la simplicité des arcatures aveugles latérales et l’ésotérisme naïf de leurs corbeilles pré-romanes, savamment tressées, grossièrement historiées. Mais il faut avancer dans l’allée centrale, s’approcher de la première des trois marches qui, rituellement, montent vers le chœur gothique des premières décennies du XVIe siècle. Il est sur la gauche, plaqué contre le mur d’un renforcement formant chapelle, incertain dans le pinceau de lumière multicolore abaissé d’un vitrail latéral. Il faut prendre le temps pour le contempler et l’admirer. C’est un imposant retable, sculpté et peint, œuvre d’art composite âgé de quatre cents ans (3).
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1 – C’est là son appellation coutumière ! Cette église, initialement placée sous le vocable de saint Pierre par la suite conjointement consacrée à saint Pierre et saint Pancrace n’a actuellement conservé que le seul patronage de saint Pancrace.
2 – BRIAND, R.: « Saint-Pierre de Veauche – Chronique d’un millénaire dépassé », Bulletin de la Diana, LIV, n° 6, p. 401-412 (année l995).
3 – Le mot « retable » provient de la francisation du provencal « reiletaulo »: arrière-table d’autel.
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Le Retable de l’Eglise du Bourg de Veauche
De son aspect architectural :
Le retable baroque (4) de Veauche, classé « monument historique » depuis le 30 décembre 1982, se présente dans sa tel un portique aux proportions harmonieuses (5) encadrant un vaste tableau religieux (6). Les deux colonnes (7) élevant ses montants
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4 – Le style “baroque” (du portugais « barroco », perle irrégulière) se voudra être, par ses caprices et ses extravaganccs, une altération, sinon une réaction prolifique à la normalisation académique.
5 – Hauteur: 3,85 mètres, largeur: 2,85 mètres.
6 – Hauteur: 2,15 mètres, largeur: 1,78 mètre.
7 – Hauteur: 2,50 mètres.
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soutiennent un linteau dont l’arcature semi-circulaire ceint l’espace du fronton. Le tabernacle proéminent de la prédelle repose sur un autel étroit de sobre facture. L’ensemble, en bois peint stuqué, est finement et richement sculpté. Sur chacune des colonnes torses, tronconniques et élancées (8), grimpent les vigoureux sarments aoûtés de pampres fournis. Leurs fines feuilles dentelées vert bleu, leurs petites grappes violacées se détachent en ronde-bosse sur un fond ivoirin. Le pied de chaque fût est enfoui dans une corolle de feuilles d’acanthe du même ton verdâtre que les autres feuillages. Le sommet s’épanouit dans la corbeille chargée d’un chapiteau composite. L’embase des colonnes est cerclée de tores, filets et scoties. Les enroulements sarmenteux sont ornés de figurines dispropor-tionnées : enfants à la nudité rose, à l’abondante chevelure blonde et bouclée, oiseaux au plumage noir et bec jaune, identifiables à des merles. A mi-hauteur de la colonne de gauche se détachent deux bambins asexués. L’un, en façade, bras étendus à l’ho-rizontale, présente son profil gauche, mutilé de la jambe opposée.
L’autre, vers l’extérieur, est en posture assise, sans siège. A l’avant de cette même colonne, deux merles, l’un au-dessus des enfants, l’autre au-dessous, déploient leurs ailes. Dans l’axe de la colonne de droite, surmontant un merle criard, un bambin est représenté debout, les bras en croix. Sur le côté extérieur, un escargot de Bourgogne grimpe le long d’un sarment. Ces petits personnages sont plaisants à découvrir. Ils composent une animation buccolique dont l’intrigue scénique est facile à dénouer : gamins espiègles, merles siffleurs et gastéropode friand maraudent les grappes de raisin.
Derrière chaque colonne, un pilastre corinthien laisse place, à sa partie inférieure, à des rameaux de lauriers. L’étonnante finition de cette superbe décoration masquée, œlle en particulier du chapiteau anormalement recouvert, montre que œ mobilier résulte d’un réaménagement esthétique. Sur un retable antérieur réalisé selon un concept architectural dépouillé dans le goût du clacissisme de la Renaissance italienne, à l’aube du XVIIe siècle, ont été apposées, dans les années 1680, les deux colonnes baroques. Une investigation technique plus poussée, effectuée à l’occasion d’un démontage, permettrait de préciser ce constat de réemploi.
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8 – Diamètre maximal à la base: 0,35 mètre. Les actuelles couleurs décrites ne sont sans doute pas les teintes d’origine.
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Par ailleurs, il suffit d’examiner les parties écaillées pour constater que les boiseries ont été repeintes, sans doute à plusieurs reprises, sans respecter les teintes originelles.
Les imposantes avancées latérales du fronton, posées sur l’abaque des chapiteaux, composent un somptueux entablement. Elles s’ornent, sur un fond de cuirs découpés et ourlés, d’armoiries rebondies surmontées d’une couronne de comte. A gauche, sont figurées les armes des Gadagne de la Baume-d’Hostun: De gueules à la croix dentelée d’or. A droite, l’écu partagé est celui d’une épouse: Parti au 1: De gueules à la croix dentelée d ‘or, parti au 2 : De gueules (ou d’azur) au lion d’or (ou d’argent), au chef cousu d’azur, chargé de trois roses d’argent. Nous reviendrons plus loin sur leur signification héraldique. Une fine corniche à denticules agrémente l’entablement du linteau dont le centre est orné de la tête proéminente, rose et joufflue, d’un angelot à la chevelure bouclée, aux courtes ailes largement déployées. De part et d’autre, des cornes d’abondance, étagées, longues et cannelées, dispersent vers l’extérieur leur trop plein symbolique de fruits et de rinceaux.
Coiffée d’une forte corniche à modillons, l’arcature du tympan domine un fronton lisse et dégagé figurant l’espace céleste. Dans l’axe de symétrie, deux anges, assis sur un nuage, regardent le spectateur en soutenant à bout de bras un parchemin repoussé. Celui-ci, découpé de multiples échancrures, aux bords enroulés, présente un blason ovale marqué du trigramme IHS (Iesus, hominum salvator : Jésus, sauveur des hommes). La petite croix posée sur la branche transversale du “H” traduit l’influence des jésuites. Ce fronton, par le style de sa corniche, semble appartenir au retable primitif, mais il pourrait avoir été remanié lors de la “modernisation” du retable.
Un large tabernacle parallélipipédique (9), en bois doré, couronné d’une fine corniche moulurée occupe le centre de la prédelle. Sa facade est également divisée en trois panneaux. La porte centrale, fermant à clé, est sculptée d’un calice surmonté de l’hostie, lisse et brillante comme un miroir. En deçà d’un bulbe finement cannelé le pied du vase sacré s’élargit et s’enfonce dans les mèches, bouclées et emmêlées, évoquant un nuage ou
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9 – Longueur: 0,64 mètre, hauteur: 0,36 mètre, profondeur: 0,30 mètre.
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une mer agitée. L’ensemble s’inscrit dans un ovale saillant dans l’épaisseur du bois. Sur les panneaux latéraux, en posture d’adoration l’un vis-à-vis de l’autre, deux anges aux joues roses sont agenouillés, ailes déployées et repliées vers l’arrière. L’ange de gauche est en prière, les mains plaquées l’une contre l’autre. Celui de droite est en posture d’adoration, les bras croisés sur la poitrine, la paume des mains posée à hauteur des épaules. De part et d’autre du tabernacle, dont l’intérieur est encore revêtu de satin blanc, un simple coffre de bois bordé d’une mince corniche assure la continuité de la prédelle. Ses extrémités butent sur un socle prismatique grossièrement habillé de panneaux moulurés supportant l’embase des colonnes. L’étroite avancée de la table d’autel recouvre un large placard, à double battant, dont la trop grande sobriété contraste avec la richesse du retable. Ces boiseries d’époque incertaine sont peintes de marbrures dans les tons bruns et verdâtres. Dans les années 1920, comme le montre une ancienne plaque photographique, deux statuettes étaient posées sur chacune des avancées latérales du tympan formant consoles, à gauche saint Jacques, à droite saint Roch. Elles n’y figurent plus. L’effigie de saint Jacques a été récemment dérobée.Celle de saint Roch, montrant ostensiblement la plaie de sa cuisse, est actuellement posée sur une console de pierre fichée dans le mur opposé. Ces deux statues ont vraisemblablement été repeintes en même temps que le mobilier du retable dans une harmonie de teintes vert-bleu. Leur différence de style et de taille, cette dernière étant compensée par l’ajout d’un socle surélevant le saint pélerin, indiquent à l’évidence que cette affectation haut perchée n’a relevé que de l’arbitraire d’une décoration ultérieure. Par une autre audace décorative, une grande statue de saint Joseph était alors posée sur la tablette du tabernacle masquant une partie du tableau.
A l’image de l’édifice qui l’abrite où un heureux hasard a laissé juxtaposés des styles architecturaux contrastés, préroman et gothique, le retable de l’église du bourg de Veauche superpose agréablement le clacissisme de la Renaissance et la fantaisie du baroque.
De sa composition artistique.
Le retable est agencé autour d’une représentation, peinte sur toile, de l’Assomption de la Vierge. Depuis le haut Moyen Age, l’iconographie de l’Assomption sera exprimée par maintes représentations sculpturales et picturales. La peinture allégorique de la Renaissance fera un grand usage de la gloire mariale.
L’Assomption figurée sur le vaste tableau ornant le retable de l’église du bourg de Veauche, est conforme à la description qu’en a donnée au VIe siècle Grégoire de Tours : Le Seigneur, ayant reçu le corps de sa Mère, ordonne qu’il soit transporté dans une gloire au Paradis. Aux yeux d’un auguste aréopage, la Vierge ressuscitée est élevée dans sa splendeur, escortée par les serviteurs ailés de Dieu. La toile, œuvre mineure quoique de bonne facture, apparemment non signée, est vraisemblablement l’œuvre d’un artiste local. Respectant une stricte symbolique académique, le dessin est équilibré verticalement selon une égale partition à mi-hauteur, ciel et terre. Au centre de l’espace figurant le ciel, la Vierge d’allure jeune, amplement voilée, la tête légèrement inclinée sur le côté droit, regarde vers le haut, c’est-à-dire vers Dieu, symbolisé sur le tympan du fronton (10). Elle paraît comme allongée dans une large et lourde draperie soutenue par quatre anges, deux sur un plan arrière à la hauteur de ses mains jointes, deux vers l’avant au niveau de ses pieds enroulés dans les plis du tissu. Au premier plan droit, un ange, de sa main gauche, lâche des fleurs, peut-être s’agit-il ici de la rose mystique, une rose sans épine, l’Anastica qui en ancien grec signifie « résurrection” (11). Les rameaux de cette plante se dessèchent mais reprennent vie à la moindre humidité. Des nuées environnantes émergent six chérubins. Un rien de strabisme dans le regard de l’un d’eux, sur la droite, doit relever de la fantaisie ou de la maladresse de l’artiste. Au-dessous, une quinzaine de personnages font cercle, assis sur des banquettes recouvertes de tissu. Tous sont barbus et vêtus de tuniques, sinon couverts d’amples manteaux. L’un d’eux, au second plan, dans l’axe du tableau, est représenté de face. Quoique non gratifié d’un nimbe crucifère, sa position centrale, son apparence, son geste de bénédiction l’identifient à Jésus. Le Christ revenu sur terre, avec ses douze disciples, non auréolés, préside à l’Assomption de sa Mère. A gauche, au premier plan, l’un des assistants, représenté
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10 – Ce qui tendrait a montrer que l’ajout baroque du retable a respecté l’allégorie de l’Assomption, surmontée d’un tympan approprié préexistants.
11 – La rose était l’un des “ingrédients” du baume de Judée, le chrême destiné à l’onction du baptisé.
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de profil, tient une rose entre ses mains. Comme les autres témoins il regarde la Vierge élevée au Ciel. Son vis-à-vis fait exception à l’attention générale. Cet homme chauve, à la barbe fournie, couvert d’une riche houppelande, détourne son regard vers le spectateur. Cet assistant distrait est néanmoins dépositaire de fleurs répandues par les anges. Ainsi distingué dans la composition picturale, ce personnage pourrait être le commanditaire de l’œuvre, son donateur. Il est a remarquer que les fleurs répandues sont peu communes dans les représentations allégoriques de l’Assomption.
Le caractère pictural d’ensemble est classique, sans maniérisme, normalement rigoureux. Dans sa composition l’œuvre, adroitement équilibrée autour des deux axes de symétrie du panneau, longitudinal et transversal, l’est aussi, symboliquement, selon une triangulation isocèle quasi équilatérale. Les sommets-visages sont celui de la Vierge, en haut, ceux des deux personnages représentés assis, face à face, à l’avant des quadrants inférieurs. Une luminosité diffuse, ocrée, comme ensoleillée évoque le halo surnaturel de la gloire céleste. Cette clarté irradiante interdit les contrastes d’ombres. L’absence d’un paysage d’arrière-plan restreint la dimension spatiale. De la perspective n’émane que le mouvement d’élévation.
Le dessin est succinct. Les différents visages, notamment les yeux dont le rôle est ici prépondérant, ne bénéficient pas d’un soin fouillé. Si le trait est quasi absent, les coloris sont chauds et harmonieux. De fait, l’œuvre vise plutôt l’aspect décoratif global, l’effet mystique par un éclairage de type clair-obscur. Observée à quelque distance, elle vise la méditation globale, l’émotion heuristique, plutôt que l’attention du détail.
A en juger par sa manière, ses règles de composition, son modelé, certaines formes de représentations dans le drapé des vêtements ou le détail anatomique des mains, cette peinture remonterait à la fin du XVIe ou au début du XVIIe siècle (12). Elle appartenait donc au retable primitif.
De ses origines.
Les armoiries placardées sur le galbe des deux avancées supérieures attestent, héraldiquernent, d’une union conjugale distinguée. A gauche, De gueules à la croix dentelée d’or, sont les armes entières des Gadagne de la Baume-d’Hostun, l’époux. A droite, Parti au 1: De gueules à la croix dentelée d’or, parti au 2 : De gueules (ou d’azur) au lion d’or (ou d’argent), au chef cousu d’azur, chargé de trois roses d’argent, sont les armes partagées de l’épouse Catherine, née de Bonne-d’Auriac.
Roger Gadagne de la Baume-d’Hostun est né à Montbrison, en 1623, de Balthazar Gadagne de la Baume-d’Hostun (1590-1640) et de Françoise de Tournon (1602-1665) dont il est le deuxième enfant. Le 27 octobre 1640, par la volonté testamentaire de son père, contrairement à l’usage il hérite du patrimoine nobiliaire familial au lieu et place de son frère aîné, Louis (13). Celui-ci, s’estimant lésé, en appelle aussitôt à la justice royale. Au terme d’une longue procédure devant le Parlement de Paris, Louis finira par récupérer la part de l’héritage provenant des Gadagne par sa grand-mère Diane (l4); Roger conservant les titres et biens apportés par la maison paternelle de la Baume-d’Hostun. Ce dernier sera donc titré marquis de la Baume-d’Hostun, baron d’Arlenc, de Veauche et de Charmes, seigneur engagiste de Saint Bonnet-le-Château. Roger Gadagne de la Baume-d’Hostun devient sénéchal de Lyon, en suppléance
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12 – Tel est aussi l’avis de Madame Sabine de PARISOT, expert en restauration de peintures, à Lyon.
13 – Nous devons à notre collègue dianiste, le professeur Edouard LEJEUNE, éminent spécialiste de la maison Gadagne ces intéressantes précisions, car cette succession anormale paraît quelque peu embrouillée (La saga lyonnaise des Gadagne, Bulletin de la Société historique, archéologique et littéraire de Lyon, année 1993, t. XXIII, Lyon, Archives municipales, p. 87-104). Dans les faits, Louis sera “Comte de Verdun, baron de Bouthéon et de Miribel, seigneur de Meys et de Périgneux” et Roger de la Baume d’Hostun « Marquis de la Baume d’Hostun, baron d’Arlenc, de Veauche et de Charmes, Sénéchal de Lyon » (POIDEBARD: “Armorial des Bibliophiles du Lyonnais, Forez, Beaujolais et Dombes” ). Le retable veauchois a fait l’objet d’une fiche d’inventaire (Ministère des Affaires Culturelles – Inventaire général des monuments et des richesses de la France) dont un exemplaire est déposé aux Archives départementale (Fonds d’inventaire Louis Bernard, 42 72 654). A la suite d’une confusion de filiation, ce document est erroné puisqu’il identifie les armes des Pons d’Hostun et mentionne : Le donateur fut probablement Louise de Gadagne, veuve du marquis de la Baume, seigneur de Veauche et de Bouthéon, tué à Hochtaed en 1704 et remariée à Renaud Constant, comte de Pons d’Hostun. Le retable est daté « vers 1705 » ?
14 – Diane était la fille cadette de Guillaume I de Gadagne. Après la mort prématurée de ses fils, Guillaume I fait de Balthazar d’Hostun, le fils aîné de Diane, son héritier à la condition qu’il accepte de porter son nom et ses armes.
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de son père, par lettres patentes du 26 janvier 1641. “Commandant pour le roi en l’absence des gouverneurs, dans les provinces du Lyonnais, Forez, Beaujolais, il est aussi maréchal de camp de ses armées” (15). Après avoir testé dès le 26 février 1692, parce que, peut être, gravement malade, il meurt vingt ans plus tard, en 1712. Roger Gadagne de la Baume d’Hostun a épousé, par contrat du 17 mai 1648, Catherine de Bonne-d’Auriac. Elle est la fille unique d’Alexandre de Bonne, seigneur d’Auriac et de la Rochette, vicomte de Tallart, maréchal de camp, lieutenant du roi au gouvernement du Lyonnais depuis 1631, marié à Marie de Neuville-Villeroy. A Lyon, en 1652, Catherine donne naissance à un fils, Camille, futur maréchal de France au temps de la guerre de succession d’Espagne, sous le long règne de Louis XIV. Par héritage dans l’indivision de son beau-père, Roger Gadagne d’Hostun a acquis, pour la somme de 250 000 livres, les terres et comté de Tallart et de Fontaine-Sallée. Le Roi-Soleil honorera son maréchal en élevant le marquisat de la Baume d’Hostun en duché sous le seul nom d’Hostun.
Le 13 mars 1658, l’église paroissiale de Veauche fait l’objet d’une inspection canonique par un envoyé de l’évêque de Lyon, Monseigneur Camille de Neuville (on écrit alors Neufville). L’état des lieux fait donc l’objet d’un rapport descrip-tif détaillé, lequel pourtant ne mentionne pas l’existence d’un quelconque retable. Par contre, il y est écrit, textuellement (16).
Nous avons avons trouvé dans l’esglize de lad(ite) paroisse bastie soulz le vocable de St Pancrasse un tabernacle de bois peint et doré, et dans iceluy un ciboire où repose le St Sacrement décement et dévotement tenu, ensemble un soleil (l’ostensoir ?) et une bouete pour porter le viatique aux malades, le tout d ‘argent.
Cette description comparée à celle, précédemment donnée, de l’actuel tabernacle ornant la prédelle du retable, l’ajustement disparate de ce dernier dans le soubassement, établissent le constat d’un réemploi. Le tabernacle en place est celui mentionné lors de la visite épiscopale de 1658. Cette insertion de circonstance est-elle due à l’architecte-sculpteur ayant réalisé le réaménagement du retable primitif ou résulte-t-elle d’une adaptation plus récente ?
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15 – ANSELME, P.: Histoire généalogique et chronologique de la maison royale de France, tome V, 1730, bibliothèque de la Diana. Il prête son serment de sénéchal le 15 février 1641.
16 – D’après la copie des comptes-rendus de la visite pastorale de Monseigneur de Neuville réalisée par l’abbé Merle et déposée à la bibliothèque de la Diana.
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Date et auteur du retable.
Une opportunité récente nous a permis d’identifier, de façon quasi certaine, l’architecte sculpteur de l’ajout baroque. L’an dernier, la municipalité de Saint-André-le-Puy entreprenait de restaurer le somptueux retable ornant le maître autel de son église. Avec le concours de l’expert désigné par le service culturel des Antiquités et Objets d’Art de la Loire (17), bien des analogies, tant dans l’architecture d’ensemble que dans le détail sculptural sont apparues entre les deux mobiliers. Outre la rythmique ornementale, la similitude imagière des colonnes torses latérales est flagrante. On y retrouve, perdus dans les enroulements sarmenteux, les mêmes “sujets”, de même facture : bambins, merles, escargot. Or, le maître sculpteur du retable de l’église de Saint-André-le-Puy est nommé dans des documents d’époque conservés. Il s’agit de François Combe.
Cet artisan, établi à Saint-Galmier, nous est peu connu. Tout au plus, dans un vertigineux raccourci de sa vie comme de son œuvre, nous savons qu’il a trépassé dans cette cité le 21 juin 1693 et qu’il fut sans doute inhumé au cimetière jouxtant l’église. Dans sa propre ville il a réalisé le retable de la chapelle de l’ancien hôpital. Outre les mobiliers évoqués de Saint-André-le-Puy, il aurait travaillé au Puy-en-Velay, en Haute-Loire (18).
Le 22 octobre 1685, messire Tamisier, curé de Saint-André-le-Puy, commande à François Combe un retable pour la chapelle de son église qui est du coté du vent, joignant à la montée du clocher. Ledit mobilier, dûment décrit par le prêtre et d’ailleurs toujours en place, coûtera 90 livres payables le tiers à la commande, un tiers à mi-travail, un tiers à la livraison. Il devra être achevé pour les fêtes de Noël de la même année, la paroisse prenant en charge les frais de transport. De fait, Francois Combe sera payé en un seul versement tardif, le 29 mai 1686, grâce à la générosité de madame veuve Tamisier. La mère du curé a “avancé” la somme aux recteurs de la luminaire, Claude Gonin et Jacques Gourgaud. Assurément, messire Tamisier doit être satisfait du travail de François Combe (et celui-ci est-il assuré d’être payé !) puisqu’il lui confie, le 5 mai 1686, l’exécution d’un autre retable, beaucoup plus important, destiné au maître-autel de son église. Ce mobilier, aujourd’hui en cours de restauration, est évalué à 147 livres. Ledit montant sera acquitté par tiers comme pour l’ouvrage précédent. Il devra être terminé à la prochaine Saint Jean-Baptiste, soit le 24 juin de la même année. Un délai aussi bref laisse supposer que l’artisan baldomérien employait une main-d’œuvre appropriée, en quantité comme en qualité. Une particularité intéressante de ce retable est qu’il présente, à son fronton, un blason bi-parti identifié, celui de Marthe de Gadagne d’Hostun, veuve de l’ex maître des lieux Claude-Charles de Bron-Rougemont, seigneur de la Liègue et de Bellegarde. Ce dernier étant décédé en 1673, la comtesse douairière, sans descendance, cédera ses biens, le 16 mars 1696, aux Vinols.
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17 – Il s’agit de M. Guillaume BALAY.
18 – BÉNÉZIT, É.: Dictionnaire des peintres, sculpteurs, dessinateurs et graveurs, tome 3, Librairie Grund, Paris, 1976. LAMI: Les sculpteurs sous le règne de Louis XIV. Il est à souhaiter que quelque chercheur se lance sur les traces de la vie et de l’œuvre complète de François Combe.
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C’est à elle que sera dédié, pour son aspect profane, ce somptueux mobilier religieux.
Marthe de Gadagne de la Baume-d’Hostun, fille d’Antoine et de Diane de Gadagne est la grand-tante de Roger Gadagne de la Baume-d’Hostun. Dans un sens ou dans l’autre, cette parenté peut laisser supposer une émulation familiale et la recommandation d’un artiste.
Le rapprochement artistique du retable de l’église du bourg de Veauche de celui de Saint André-le-Puy dont on connait le maître-d’œuvre permet et d’identifier et de dater approximativement l’ajout baroque du premier. Il s’agit bien de maistre Françoys Combe, l’artisan de Saint-Galmier. Restent inconnus le donateur ou maître d’ouvrage du mobilier veauchois, de même que son financement.
Roger Gadagne de la Baume-d’Hostun n’a hérité de la seigneurie de Veauche qu’à la fin de l’année 1640. Marié en 1648, il est mort en 1712. Ainsi, dans les faits chronologiques, ce retable remanié, marqué à ses armes ne peut avoir été édifié qu’entre 1648 et 1712. S’il est l’œuvre de l’atelier de Francois Combe, ce dernier étant mort en 1696, il a donc été réalisé avant cette dernière date. Sans doute, compte tenu de l’appréciation d’échange précédente, peut-on situer cette installation à la même époque que celle du retable de Saint-André-le-Puy (avant ? après ?), soit la période quadriennale 1684-1688.
Détails du retable de Veauche.
A Veauche, l’imposante structure baroque a été rapportée sur un retable plus ancien, de provenance inconnue. En effet, l’état des lieux, pourtant précis, établi lors de la visite pastorale de 1658, ne mentionne pas l’existence d’un quelconque meuble ornemental de ce type. Le retable primitif proviendrait d’un autre lieu de culte, non identifié. Ainsi le retable baroque de l’église Saint-Pierre Saint-Pancrace du bourg de Veauche serait la double conséquence du don ou de l’achat d’un retable primitif, désaffecté et du don ou de la commande d’une adjonction baroque. Il se peut aussi que le maître d’œuvre Francois Combe après une récupération opportune sur un chantier ait directement proposé le montage en place pour un moindre coût.
Les donateurs.
Qui a commandé et financé le retable veauchois ? Est-ce la paroisse, sous l’égide du curé Claude Genébrier ou de son oncle Jean Genébrier qui l’a précédé jusqu’en 1684 avec son conseil de fabrique, le couple des seigneurs précités, l’une des confréries en place, ou encore un simple particulier, notable, pieux bourgeois aisé, telle madame veuve Tamisier à Saint André-le-Puy, sinon un ensemble de ces différents donateurs potentiels ?
A se référer à la visite pastorale de 1658, la gestion de l’église de Veauche des années 1680 semble plutôt satisfaisante puisque les « luminiers » détournent le surplus de leurs ressources à paier des ménestriers qu’ils font venir le jour de la feste votive du lieu . Deux confréries, l’une du Saint Sacrement, l’autre de Saint Pancrace, contribuent au dynamisme laïc de la petite paroisse de quatre cens communiantz (19). A cette époque, le pélerinage de saint Pancrace est localement très suivi et sans doute rémunérateur. De nombreuses paysannes viennent, surtout des hauteurs de Saint-Héand, en “remiage” à Veauche, notamment pour implorer le jeune martyr gallo-romain d’épargner leurs volailles du tournis de la “crampe » fatale. Par ailleurs, le même rapport d’inspection épiscopale signale l’existence d’une prébende de trente livres faicte par la famille des Chenevier, une autre de cinq livres fondée par le Sr du Bouchet. Cette dynamique budgétaire est-elle suffisante pour permettre un investissement
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19 – La paroisse d’alors confond les actuelles communes de Veauche et de Veauchette. Veauche, à elle seule, compte moins de cinq cents habitants.
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estimé de cent à cent trente tivres ? Au fil des documents connus, les gestionnaires de l’église de Veauche se plaindront souvent d’un manque de ressources.
Aux deux confréries précitées s’ajoutait une confrérie de Saint-Jacques, chargée de préparer les pélerins veauchois au long pélerinage espagnol de Compostelle et d’accueillir les « jacquaires » de passage. Cette association, en l’absence de traces écrites, a laissé une croix monumentale du XVIe siècle dont le fût porte l’effigie du saint en habits de pélerin, une statuette du XVIIe siècle de même présentation, hélas dérobée, ainsi que, fort discrète, cette curieuse coquille sculptée en ronde-bosse sur la voûte, à l’entrée de la chapelle abritant le retable. Doit-on à ces confréries, à l’une d’elle ou à plusieurs simultanément, d’avoir contribué, en totalité ou en partie, à l’érection du retable veauchois ?
Un éventuel généreux bienfaiteur privé aura été suffisamment discret pour effacer toute trace de sa donation.
Reste le don seigneurial. Certes, Roger Gadagne de la Baume-d’Hostun et sa noble épouse pouvaient distraire de leur fortune personnelle de quoi offrir pareille dotation, leur possible munificence envers la petite église de leur fief énoncant un geste de bienfaisance programmé ou l’expression d’un vœu. La vie du seigneur de Veauche et autres lieux, gentilhomme de son temps à la carrière militaire et civile banale, nous est très peu connue. Les occasions d’un “investissement de réconfort spirituel” ne lui manquaient pas au travers d’évènements marquant la société de son temps ou le cercle familial. On sait que la brillante carrière militaire de leur fils Camille, futur maréchal de France, est jalonnée de dates remarquables. En 1688, il est nommémaréchal de camp (20).
L’opportunité de la « commande » serait-elle due à la présence de plusieurs comètes sillonnant le ciel des années 1680 ?
Celle de Halley, en 1682, est flamboyante. Trois autres se manifestent, du 30 juin au 1er septembre 1684, du 17 août au 22 septembre 1686 et du 9 au 27 septembre 1689 avec moins d’éclat. La représentation d’un « astre chevelu » figure dans un recoin du retable de Saint-André-le-Puy.
A supposer que le personnage chauve et amplement
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20 – Camille d’Hostun, duc de Tallard (1652-1728) est né à Lyon. Maréchal de camp équivaut à général de brigade. Plus tard, il sera ambassadeur du roi Louis XIV en Angleterre, vaincra à Spire mais sera vaincu à Hochstædt.
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barbu de la toile peinte, parce qu’il est inattentif au miracle de l’Assomption de la Vierge, soit le « donateur », il ne le serait que pour la partie primitive du retable, tableau et panneau arrière. En ce cas il parait bien hasardeux de prétendre l’identifier, sauf à supposer que le retable initial étant, d’ores et déjà, la propriété de la famille Gadagne de la Baume d’Hostun ce soit Antoine de la Baume d’Hostun (1558-1630) qui, en 1612, acquiert la seigneurie de Veauche (21).
De son emplacement:
Le retable veauchois est plaqué contre le mur nord de l’emprise latérale, carrée, du clocher construit dans la première moitié du XVIe siècle selon le plan d’extension de l’église romane primitive. La dernière colonne octogonale de la nef, sur la gauche, qui supporte en partie le poids de l’édifice, s’en trouve nettement renforcée.
Le 13 mars 1658, quand il inspecte l’église de Veauche, le délégué épiscopal de Monseigneur Camille de Neuville consigne l’existence d’une chappelle size du costé de l’épitre, dicte de Notre-Dame et, côté Évangile, d’une autre chappelle, dicte de Sainte-Barbe à laquelle est attachée une commission demesses à dire deux par mois fondée par le Sr (Sieur ,?) du Bouchet où il y a cinq livres de rentes à prendre sur deux préz. Par la suite, la sainte patronne des mineurs, alors surtout invoquée contre les méfaits de la foudre et la “male mort”, s’effacera devant d’autres consécrations. Récemment, jusque dans les années 1960, cet autel était voué au Sacré-Cœur de Jésus (22).
Le monumental retable de l’Assomption vient donc, à une date indéterminée, comprise dans la décennie 1680 1690, trouver place dans l’exiguité d’une chapelle latérale consacrée à sainte Barbe. Qu’on l’ait installé à cet endroit peut d’autant plus surprendre que la chapelle du bas-côté opposé est, selon le rapport épiscopal, déjà consacrée au culte marial. La « chapelle de sainte Barbe » laissait aussi place à la dévotion de saint Pancrace, notamment lors de pélerinages très suivis. Ainsi trouve-t-on encore à cet endroit sa statue dorée, datée du XVIIIe siècle, surmontée d’un vitrail plus tardif, fin XIXe siècle, illustrant
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21 – Auparavant, la seigneurie de Veauche appartenait à la maison d’Apchon.
22 – La facade de la table de cet autel, en marbre blanc de Carrare, constitue la face arrière de l’actuel maitre autel.
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l’instant tragique de la décapitation du jeune martyr gallo-romain. Fichée dans le mur, une petite console métallique supportait le bras reliquaire argenté, daté du XVIe siècle, volé en 1976, où les reliques de saint Pancrace côtoyaient celles de saint Pierre et de saint Clair (23). Cela étant, force est de constater que l’imposant retable ne trouverait place à nul autre endroit dans cette église aux dimensions modestes.
De l’urgence et de l’intérêt de sa restauration:
En l’église du bourg de Veauche, le retable de l’Assomption accuse les outrages du temps. Un fort taux d’humidité ambiante ajoute à l’inévitable altération des matériaux.
Le stuc, peu à peu décollé, se détache par fragments. La peinture s’écaille sur ses boiseries en noyer, qui, sournoisement attaquées par la vermine, deviennent poussière. De son côté, la toile peinte, craquelée, ternie par un épais voile de crasse est rongée par les moisissures. Abandonné dans son recoin, ce vénérable mobilier chargé d’ans et de mystères survit misérablement, n’attirant plus guère le regard. L’église Saint-Pierre-Saint-Pancrace, édifiée à l’échelle du village rural d’hier, s’avère aujourd’hui trop étroite pour contenir les fidèles d’une paroisse urbaine. Une dernière rangée de bancs latéraux est adossée au retable.
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23 – Œuvre de l’orfèvre lyonnais Jehan Fenoyl, ce bras reliquaire qui fut exposé à Paris parmi les Trésors des églises de France, en 1963, a été dérobé par effraction en 1976.
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Nota
L’actuel curé de la paroisse de Veauche, l’abbé Jean-Matthieu Barbier, est déterminé à entreprendre la restauration d’un sanctuaire qui, assurément, mériterait d’être classé “monument historique”. Cette action salvatrice concerne la communauté veauchoise tout entière. Tout un chacun, quelles que soient ses convictions métaphysiques se doit d’assumer la gestion d’un héritage établissant l’identité de sa ville, ses racines. Pour amorcer cette dynamique d’intérêt patrimonial, le conseil paroissial a décidé, sur les propositions des experts, que serait, dès cette année, remis en état le tableau de l’Assomption.
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L’auteur exprime sa gratitude, pour son aimable collaboration, à madame Anne CARCEL, Conservateur des Antiquités et Objets d’Arts de la Loire.
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