BD, Tome LIX, Guerre de 1870 mise en défense de département de la Loire, pages 145 à 160, La Diana, 2000.
GUERRE DE 1870 MISE EN DÉFENSE DU DÉPARTEMENT DE LA LOIRE
Présentation par M. Noël Gardon
__________
La guerre franco-prussienne commencée en 1870 fut une des plus douloureuses pour la France. Dans notre région, comme dans beaucoup d’autres contrées du pays, depuis longtemps la guerre, si elle prenait des hommes, ne touchait pas le territoire. 1814, 1815 n’étaient pas oubliées, mais la prospérité apportée par les règnes de Louis-Philippe et de Napoléon III, et les nombreuses conquêtes coloniales, faisaient croire à une France puissante avec une armée invincible. La guerre n’était pas redoutée, et beaucoup de français souhaitaient une revanche pour faire oublier Waterloo. Ainsi Emile Zola a pu écrire, chez nous : “..Si Napoléon III jeta la France dans cette guerre par un intérêt dynastique, il faut ajouter que la nation entière répondit à son appel… Paris eût éprouvé une déception si la paix avait été maintenue..” (1). Les revers dès le début des hostilités étonnèrent, puis il fallut s’organiser dans la défaite. L’Empereur prisonnier, un gouvernement auto-proclamé, sans base juridique, sectaire désorganisa l’administration de la France, et celle de son armée. Chacun fut livré à lui-même, sans directive, sans coordination.
Gabriel Hanoteaux n’hésite pas à écrire : “ A l’hôtel de ville le 4 septembre on constitue moins le gouvernement de la France qu’un grand conseil local chargé de disputer aux Prussiens les murs de Paris” …. “ ces députés, ces publicistes, ces hommes de parti ne savaient rien de la direction des affaires publiques” … “le Gouvernement plaçait à sa tête un général qui n’avait pas foi en la victoire. Il confiait sa diplomatie à un admirable orateur qui, le lendemain même de son entrée en fonction inquiétait l’Europe en proclamant le principe révolution-naire et fermant la porte à toute négociation pratique” etc. (2)
Le commandant Rousset renchérit : “ Quand la révolution si imprudemment accomplie à Paris par quelques députés de l’opposition appuyés d’un millier de braillards eut désorganisé tous les services en France, il fallut renouveler tout le personnel gouvernemental et administratif…” (3)
Il en résulte une quasi anarchie où chacun fait ce qu’il pense, et défend des intérêts souvent particuliers. C’est notre compatriote Jules Garnier qui écrit : “… Combien longue serait la liste que je pourrais faire de tous les cas où l’intérêt personnel ou local prenant parfois le masque du sentiment s’opposa a des mesu-res qui avaient des chances pour être funestes à l’ennemi…” (4)
C’est ainsi que sans directives générales, sans concer-tations avec les départements voisins, sans coordinations avec les armées évoluant plus au nord, le département de la Loire créa une commission chargé d’étudier et de proposer les moyens propres à défendre son seul territoire, et aussi, sans doute, la manufacture d’armes de Saint-Etienne.
Cette commission créa en son sein une section du génie militaire avec mission d’étudier les moyens à mettre en oeuvre dans la perspective d’une avancée ennemi sur le territoire du département. Cette section émit un rapport. Un exemplaire de ce rapport existe aux archives de l’armée, à Vincennes, sous la référence LQ2. Il est accompagné de deux mémoires militaires sur le même sujet, rédigés par M. Cavaroz, chef de bataillon, commandant le génie dans la place de Saint-Etienne. Un croquis de la région de Saint-Christo-en-Jarez, figure également dans ce dossier. Ce sont ces documents que nous présentons ici.
_______________
1 – Emile Zola : « les trois Guerres », Supplément au Journal de Montbrison, 4 août 1895.
2 – Gabriel Hanotaux : Histoire de la France contemporaine, Paris s.d. (1903), t.1, p. 15, 16.
3 – Commandant Rousset : Histoire générale de la guerre Franco-Allemande, 1870-1871, Paris, s.d. (1895), t. 6 p.328.
4 – Jules Garnier : Campagne de 1870-1871 – Les Volontaires du Génie dans l’Est, Paris, 1872, p. 298.
_______________
COMMISSION MILITAIRE DE DÉFENSE DU DÉPARTEMENT DE LA LOIRE.
Rapport de la section du génie militaire sur les défenses naturelles et factices à creuser et fortifier sur différents points du département.
Après avoir visité les parties du département situées au nord-ouest, nord, nord-est et à l’est de Roanne, jusques aux limites de l’Allier, de Saône-et-Loire et du Rhône et avons fait le même voyage aux environs de Feurs, de Saint-Galmier et de Saint-Etienne sur toute la limite du département du Rhône nous allons rendre compte de notre appréciation sur la défense possible du département au cas où l’armée ennemie nous envahirait.
Pour exposer clairement notre pensée nous allons donner en formule générale les travaux à faire et qui dans tous les cas d’envahissement sont de première nécessité.
1 – Couper les routes que doivent ou peuvent suivre les colonnes ennemies lorsque le mouvement général se prononce.
2 – Eviter autant que possible de faire sauter les ponts ordinaires sur les petites rivières et ruisseaux pour la raison que l’on peut rétablir promptement soit un pont soit se frayer un passage sur les rives peu escarpées.
3 – Sacrifier les ponts au moment d’urgence et dans les cas où les abords de la rivière sont escarpés et où le pont était établi dans le seul passage praticable.
4 – Enfin faire des abattis d’arbres et tous les ouvrages dont nous donnerons une nomenclature spéciale pour servir de guide aux chefs de chantier chargés de l’exécution.
5 – Les mêmes travaux seront à faire sur les chemins vicinaux et communaux suivant le mouvement des troupes ennemies.
Topographie des parties du département qui paraissent devoir être envahies par l’ennemi venant des directions suivantes.
1 – L’ennemi venant du Nord-Ouest envahissant le département par la route nationale N° 7 de Paris à Lyon et Marseille en venant de La Palisse (Allier) sur La Pacaudière. En même temps des colonnes de troupes pourraient venir en remontant la Loire de Marcigny-sur-Loire et l’armée entière ayant pour objectif Roanne viendrait par de grandes routes et de grands chemins vicinaux se rassembler en avant de Roanne pour investir et s’emparer de la ville.
Toutes les montagnes et collines qui entourent le bassin de la Loire à l’ouest, Nord-ouest et Nord-est du département depuis les environs de Roanne à droite et à gauche de la Loire jusqu’aux confins ou limites de l’Allier, de Saône-et-Loire et Rhône sont tellement déboisées et coupées et sillonnées de chemins de petites et grandes communications sans compter les chemins de desserte et privés que les cavaliers ennemis et l’artillerie légère peuvent parcourir les crêtes sans diffficultés réelles et entourer la place d’une ligne de feu si on ne pratique sur une grande échelle les coupures, les abattis, barricades, redoutes etc… Le tout défendu par des colonnes mobiles fortement établies et reliées entre elles par un service de coursiers et d’officiers d’ordonnance pouvant porter les ordres et l’activité sur une étendue ouverte et considérable et encore ouverte à l’ennemi.
Les collines s’accentuent davantage aux environs de Montagny et Regny mais la multitude de chemins de toutes natures rend la défense plus laborieuse. Néanmoins ces crêts sont mieux disposés pour disputer le passage aux éclaireurs et courses ennemies.
L’aspect de la carte indique la quantité considérable de routes et chemins qui sillonnent en tous sens cette partie de l’arrondissement de Roanne. Les vallées desservies par le chemin de fer de Roanne à Lyon par Tarare sont bien disposées pour la défense à la condition que les travaux faits pour entraver la marche de l’ennemi soient bien défendus car les obstacles une fois tournés deviendraient nuisibles à toutes opérations de retraite.
En résumé pour la place de Roanne les petites montagnes et collines sont arrondies, d’un accès facile même à la cavalerie et artillerie et ne peuvent être défendues que par des corps nombreux répartis sur les deux rives de la Loire.
2 – L’ennemi venant du côté de Lyon, du Mâconnais, du Beaujolais et envahissant le département par les grandes routes venant de ces contrées dans la Loire en trois colonnes la première sur Néronde et Saint-Symphorien-de-Lay avec Balbigny comme objectif. La seconde venant de l’Arbresle, sur Saint-Laurent-de Chamousset, Sainte-Foy, Saint-Martin-l’Estrat et pour objectif Feurs.
La troisième venant des environs de Lyon par Vaugneray, Duerne, Grézieux-le-Marché, Chazelles-sur-Lyon, Saint-Symphorien-le-Château, Viricelle, Bellegarde et pour objectif Montrond et Saint-Galmier. Les montagnes qui séparent le Rhône de la Loire sont très élevées depuis Belmont, Thizy, Amplepuis, Tarare, Chambost et Saint-Symphorien-le-Château et jusqu’au dessus de Saint-Chamond près Saint-Christo-en-Jarez et Fontanès. Les passages de cette frontière des deux départements peuvent être très efficacement défendus par des troupes aguerries et à l’aide d’ouvrages spéciaux dans les parties du département qui offrent une topographie ayant le plus de ressources pour empêcher l’envahissement. Les environs de Saint-Galmier et de Saint-Héand peuvent servir d’appuis à l’armée pour anéantir une armée ennemie même nombreuse, mais il faut une grande énergie et d’énormes travaux.
Il a été créé depuis vingt années tant de chemins et de routes de toute nature que la défense doit occuper de grands espaces. La topographie du pays qui offrait il y a trente ans de grandes réserves pour la défense a complètement changé aujourd’hui, de nombreux déboisement et défrichements, un réseau complet et serré dans ses mailles de routes, chemins et sentiers permettrait aux éclaireurs ennemis de franchir tous les cols et parcourir les crêtes sans difficultés sérieuses si la défense n’est pas énergique.
3 – De Givors à Saint-Etienne par la vallée du Gier et ses adjacents la défense est relativement facile. La topographie du pays devient plus accentuée; les ravins sont plus profonds et les coupures des versants de la chaine du Pilat seraient des obstacles insurmontables si on oppose une résistance égale à l’attaque.
4 – Nous n’avons point supposé que l’ennemi puissse tourner Saint-Etienne par les derrières du Pilat vers le Rhône et Annonay. Les cols au dessus de Pélussin, ceux du haut de la République et vers la Haute-Loire sont faciles à rendre impraticables et d’ailleurs l’aile de l’ennemi se dessinera d’une façon certaine aux environs de Lyon.
Notre conclusion est que le département de la Loire peut être mis en état de défense sérieuse en formant de suite un camp sur la ligne de l’Oise entre Cuzieu et Saint-Galmier d’une part, et entre Saint-Héand et Fontanès d’une autre. Aux environs de Roanne et de Feurs avec quartier général à Saint-Symphorien-de-Lay.
La Commission militaire donne sur ces questions cet avis comme utile et pratique :
Dans le cas d’urgence et lors d’un mouvement prouvé de l’ennemi il serait utile de créer de suite vingt sections de Génie et terrassiers pour attaquer les travaux.
Les membres de la commission militaire mettraient les sections de sapeurs du Génie et les ouvriers requis à l’oeuvre suivant les indications du colonel du génie de Rivière directeur des travaux de fortifications de Lyon.
Les réquisitions régulières de l’action des forces actives des trois départements intéressés seront faites par les soins du génie militaire.
MÉMOIRE MILITAIRE SUR LA DÉFENSE DU DÉPARTEMENT DE LA LOIRE
Le département de la Loire est traversé du Nord au Sud par le fleuve de ce nom qui coule entre deux chaînes de montagne: les monts du Forez sur la rive gauche, et ceux du Lyonnais, du Beaujolais et du Charolais sur la rive droite.
Ces montagnes formées de terrains primitifs granits, porphyres, micachistes etc… ont leurs crêtes et leurs contreforts arrondis et ne peuvent, en général, présenter que de faibles obstacles à la marche d’une armée.
D’ailleurs toute la surface du département est couverte de bonnes chaussées bien entretenues et la Loire est traversée de distance en distance par onze ponts : quatre en pierre et sept en bois.
Sur la rive gauche du fleuve la vallée est découverte et peu accidentée entre Saint-Rambert et la rivière d’Aix d’une part, et entre Roanne et la limite nord du département d’autre part. Elle est coupée transversalement entre ces limites par plusieurs ravins qui peuvent servir de lignes de défense à condition d’augmenter les difficultés naturelles que présente leur passage par des travaux accessoires. Entre ces deux plaines et de Balbigny à Roanne se trouve un pays très tourmenté qui peut être facilement défendu.
Sur la rive droite on rencontre à peu près les mêmes accidents de terrain que sur la rive gauche si ce n’est qu’au nord de Roanne, au hameau de L’Hôpital, entre la rivière du Rhins et de la Loire et en arrière jusqu’à Balbigny la montagne s’avance jusqu’au fleuve qui se trouve, sur ce parcours fortement encaissé. Elle présente là une disposition très favorable à une défense énergique surtout avec de l’artillerie. Il serait aisé d’y organiser en peu de temps des positions excellentes qui seraient vivement disputées même par des gardes nationaux si on pouvait disposer de quelques bouches à feu pour occuper les hauteurs.
En arrière de Balbigny et jusqu’à Saint-Just la plaine est sensiblement la même que sur la rive gauche et le passage des ravins peuvent seuls servir efficacement d’appui à la défense.
Au sud du département, entre la Loire et le Gier, se dressent les crêtes du Pilat qui sont traversées par des routes bien entretenues et par lesquelles ont passe de la vallée de la Loire à celle du Rhône.
De ce qui précède, on peut conclure que les obstacles naturels que présentent à l’invasion le sol du département sont relativement très faibles et qu’il importe de les augmenter par des travaux de défense si l’on veut opposer à l’ennemi une résistance efficace.
Mais quels sont ces travaux ? et dans quels lieux doivent ils s’entreprendre ? Voilà ce qu’il convient d’examiner.
D’après la situation actuelle de l’armée allemande le département de la Loire peut être envahi de trois côtés.
1 – Par la rive gauche de la Loire si l’ennemi remonte le fleuve après avoir dispersé l’armée qui manoeuvre autour d’Orléans.
2 – Par la rive droite si l’ennemi passe de la vallée de la Saône dans celle de la Loire, comme en 1815, en profitant de l’échancrure qui existe entre les monts du Charolais et ceux de la Côte-d’Or.
3 – Par les vallées de la Brévenne et de l’Iseron, si l’ennemi se présente avec une armée devant la place de Lyon pour en faire le siège auquel cas ses colonnes mobiles viendraient dans le bassin de la Loire pour se ravitailler.
Rive gauche de la Loire
Sur toute la rive gauche de la Loire depuis la limite nord du département jusqu’à Saint-Rambert la défense peut surtout s’appuyer aux ravins qui traversent la plaine, elle doit se borner à couper les routes et construire des abattis pour embarasser la marche de l’envahisseur. On peut en quelques heures rendre très difficiles aux voitures les passages des ravins en barrant les points de franchissement avec des abattis, en coupant à pic les berges partout où elles sont assez élevées pour être un obstacle sérieux, en construisant des postes d’embuscades à portée des points faibles et des passages obligés, enfin en tendant (sic) des inondations partielles partout où cela est possible.
Rive droite de la Loire
L’ennemi abordera la rive droite de la Loire soit en venant de Moulins et en passant le fleuve à Roanne, soit en venant de Chalons-sur-Saône.
Nous avons dit ce qu’il y aurait à faire au sud de Roanne dans le 1er cas. Dans le second cas c’est le Charollais qui serait attaqué. Ce pays est en état de faire une vigoureuse résistance si après avoir coupé les routes il sait se créer de nombreuses embuscades derrière les haies vives qui entourent un grand nombre de propriétés.
La ligne du Sornin depuis son embouchure jusqu’à La Clayette peut être défendue. La rivière encaissée en beaucoup d’endroits est couverte par des bois et des terrains tourmentés se prêtent bien à une guerre défensive.
En arrière du Sornin et jusqu’à Saint-Just on trouve la position de l’Hôpital dont on a déjà parlé, le ravin de l’Oise (sic) à la hauteur de Feurs et celui de la Coise à Saint-Galmier. Ces deux ruisseaux peuvent être organisés comme on l’a dit plus haut pour ceux de la rive gauche.
Tous les ponts suspendus doivent être démontés sur 20 à 30 mètres de longueur et les ponts en pierre interceptés par des coupures larges et profondes pratiquées en avant des culées.
Attaque par les vallées de la Brévenne et de l’Iseron.
Si l’ennemi enteprend le siège de Lyon il est certain que l’armée d’investissement poussera dans la montagne du Lyonnais des reconnaissances qui viendront jusque dans la vallée de la Loire et du Gier pour piller et faire des vivres. Il ne faut que jeter les yeux sur une carte pour se convaincre que, de tous les moyens d’arriver à ses fins, le plus simple et le plus fertile en résultats, sera pour l’ennemi, de s’emparer des crêtes de la montagne en avant de Saint-Christo-en-Jarret (sic) et jusqu’à Saint-Héand.
De ce point culminant, en effet il peut descendre à volonté et avec une poignée d’hommes soit sur Saint-Etienne soit sur Saint-Chamond, soit sur Rive-de-Gier ce qui équivaut à dire qu’il a en son pouvoir toutes les richesses du bassin houiller de Saint-Etienne. Il y a donc un intérêt de premier ordre à occuper fortement cette crête si peu sérieuses que puissent paraître d’ailleurs les chances d’une attaque puisqu’en le défendant on soustrait, autant que faire se peut, à la convoitise de l’ennemi la meilleure part de la frontière du département.
Aussi le commandant du génie n’hésite-t-il pas à demander que non seulement les ouvrages qui sont commencés sur ce point soient achevés et pourvus de toutes leurs défenses accessoires, fraise, chausse trappes, abattis, enchevêtrements de fils de fer, embuscades pour les tirailleurs, mais il insiste aussi pour que ce même système de défense soit continué sur toute la hauteur qui butte(sic) à bonne portée l’éperon sur lequel est bâti le village de Fontanès et prolongé ensuite au moins jusqu’à Saint-Héand.
Le système consiste :
1 – En une suite de redoutes organisées à la fois pour l’infanterie et pour l’artillerie croisant leurs feux dans leurs intervalles et placées le long de la crête de la montagne sur tous les points culminants.
2 – D’un certain nombre de redans jetés en avant pour battre les pentes qui échappent aux vues des redoutes et servir de points de ralliement aux tirailleurs.
3 – D’une ligne d’embuscade placée en avant des ouvrages qu’elle enveloppe de manière à prévenir les surprises.
Une notable partie de cette ligne de retranchement se trouve précédée de bois de pins semés sur les pentes des ravins. Ces bois sont en partie surveillés par les ouvrages ils seront d’un grand secours pour cacher les manoeuvres des troupes aux vues de l’ennemi et leurs abords pourront être très efficacement protégés par des lignes de fil de fer enchevêtré aux arbres et aux broussailles.
A partir de ces lignes de fils de fer des tirailleurs pourront se tenir cachés derrière les arbres et tirer à coups surs sur les assaillants.
En avant de toutes ces défenses et jusqu’à Duerne, Chazelles et Saint-Galmier, le terrain devra être disputé pied à pied ce qui pourra se faire avec avantage grâce à sa disposition tourmentée.
Celui qui s’étend sur la droite de Saint-Christo en regardant la montagne se prête aussi à une défense énergique sans qu’il soit besoin d’autres précautions que le bien reconnaître afin de profiter de toutes ses propriétés défensives.
Il est à désirer que les portions entre Saint-Héand et Saint-Just-sur-Loire soient organisées pour la défense afin de fermer à l’ennemi l’accès de Saint-Etienne par la vallée du Furan.
Quant à la vallée du Gier elle est assez bien pourvue d’obstacles naturels pour que des retranchements n’ajoutent presque rien à la valeur défensive. Il est d’ailleurs peu probable que l’ennemi se présente par ce côté qui est de beaucoup le plus désavantageux.
Fourneaux de mine dans les tunnels.
Deux systèmes de fourneaux de mine sont établis l’un dans le tunnel de Saint-Martin-d’Estréaux au nord de Roanne, l’autre à Trève-Burel dans la vallée du Gier. Ils ont tous deux pour but de couper la voie ferrée sur laquelle ils sont placés.
Un troisième système existe entre Tarare et l’Arbresle dans le département du Rhône.
De ces trois systèmes de fourneaux deux (Saint-Martin et Tarare) sont prêts, les poudres sont à pied d’oeuvre ainsi que la matière nécesssaire au bourrage. Le troisième, celui de Trève-Burel sera prêt dans quelques jours.
Aux termes de la circulaire ministérielle du 26 novembre 1870 les fourneaux de mine doivent jouer que sur ordre émané de l’autorité militaire le plus tard possible et s’il se peut sous le pied de l’ennemi.
M. le garde du génie Bernard qui va être chargé du service du génie à Saint-Etienne aura entre les mains les instructions nécessaires pour présider dès qu’il en recevra l’ordre au bourrage et au jeu des fourneaux.
Saint-Etienne le 30 décembre 1870
Le chef de Bataillon, commandant du génie
signé Cavaroz.
GÉNIE, PLACE DE SAINT-ETIENNE
Note sur le retranchement de Saint-Christo-en-Jarret.
L’ennemi parti de Lyon pour diriger un coup de main sur Saint-Etienne et la vallée du Gier, gagnera, selon toute probablité, la crête des montagnes du Lyonnais par les routes de la Brévenne et de l’Izeron ; il occupera Sainte-Foy-l’Argentière, puis Duerne et suivra la ligne de faîte pour venir camper entre Saint-Christo et Saint-Héand et dominer à courte distance Saint-Etienne, Saint-Chamond et Rive-de-Gier.
Entre Duerne et Saint-Héand les crêts de la montagne sont faciles à parcourir même avec de l’artillerie, aussi pour arrêter celle de l’ennemi le seul moyen efficace est-il de creuser des coupures en haut de ces crêtes sur les points les plus ressérés et de se tenir prêt à les défendre à outrance. Plus ces coupures seront multipliées et mieux cela vaudra, car il ne faut pas perdre de vue que défendre ces positions c’est défendre Saint-Etienne et toute la vallée du Gier.
Coupure n° 1
On a déjà entrepris une de ces coupures en avant du Grand-Trousseau et au travers du chemin n° 23, elle porte le N° 1 des ouvrages projetés. La partie de droite en venant de Saint-Christo ne porte point de parapet, elle est suffisamment battue par les embuscades placées sur la pente en arrière et par le retranchement n° 2, de plus elle se prolonge jusqu’au ravin de Valfleurie (sic) ce qui la rend très difficile à contourner.
La partie de gauche, au contraire porte un parapet destiné à couvrir de feux le terrain qui la sépare du plateau de l’Hôpital. Elle s’appuie à un petit bois de pins dans lequel on pourra faire une embuscade, et dont les abords devraient être garnis en lignes de fil de fer.
Cette position du Grand-Trousseau est appelée à être vivement disputée on ne saurait trop l’étudier afin d’en bien connaître toutes les ressources. Elle forme avec le mont Manissol un champ de bataille extrêmement avantageux et qui peut défier longtemps les efforts de l’ennemi et peut-être le faire échouer. S’il cherche à tourner les ouvrages 1 et 2 par leur droite on devra s’y opposer en se portant en avant dans le bois par le secours de la bayonnette pendant que les feux des ouvrages et surtout des embuscades le décimeront.
Retranchement N° 2
Il a pour but de battre le plateau de l’Hôpital et de surveiller la coupure N° 1. Il contourne le Grand-Trousseau et couvre de feux l’espace compris entre les crêtes et la ligne d’embuscades, la petite redoute placée à son extrême gauche empêche de le tourner.
Redan 3
Cet ouvrage en partie dissimulé par le bois de pins auquel il s’appuie croise ses feux avec les deux redoutes voisines. Le bois de pins est très bien placé pour recevoir les réserves et surveiller les mouvements de l’attaque tant sur la droite que sur la gauche.
Redoute 10 et redan 11
En même temps qu’il attaquera la position du Grand- Trousseau l’ennemi poura tenter l’escalade du mont Manissol. Le mont se rattache au fond de la vallée par des pentes assez prononcées et qui sont en partie couvertes de bois. L’ennemi pour aborder ce terrain est obligé de descendre des crêtes dans une gouttière profonde, par des pentes découvertes. C’est pendant ce trajet qu’il conviendra de lui faire essuyer un feu bien nourri, après quoi on l’attaquera à la bayonnette pendant qu’il occupera le point le plus bas dans la vallée.
Si malgré les avantages du terrain la défense est obligée de battre en retraite, les ouvrages 10 et 11 joints à plusieurs embuscades permettront de l’exécuter en bon ordre et de se recoller (sic).
Redoute 4 – 5 – 6 – 7 – 8 – 9 – 12, retranchement 7
Ces différents ouvrages occupent les points culminants des crêtes, ils sont assez rapprochés les uns des autres pour être facilement défendus par les mousquetons. Dans quelques uns surtout les plus spacieux et qui dominent au loin le terrain de l’attaque, on devra construire des barbettes pour l’artillerie. Le rôle de ces ouvrages est de soutenir les troupes engagées en avant autant que de leur offrir un point de ralliement sous la protection de leurs feux afin de reprendre l’offensive et de défendre la crête jusqu’au dernier homme.
Les ouvrages tracés et à tracer de Manissol à Saint-Héand.
Les autres ouvrages répartis entre le Grand-Trousseau et le hameau de Laurisse remplissent tous plus ou moins parfaitement le même tout. Ils ont été tracés sous l’impression de cette idée que le terrain qu’ils occupent deviendra si l’ennemi tente de venir à Saint-Etienne le véritable champ de bataille où toutes les forces vives du département trouveront leur application la plus efficace. Aussi conviendra-t-il d’en garnir toute la crête jusqu’au delà de Saint-Héand afin de pouvoir défendre énergi-quement tous les points de cette montagne qui dominent la ville et forment un véritable front d’attaque.
Les positions à occuper par des travaux de défense sont d’ailleurs faciles à reconnaître en parcourant à pied la crête des monts, ils ont été relevés par M. Piquart sur la carte d’Etat-Major.
Du Grand-Trousseau à Laurisse tous les ouvrages indiqués sur le croquis ci joint sont en cours d’exécution, aucun d’eux n’est achevé et quelques uns sont à peine commencés on a déjà dépensé en chiffres ronds pour leur exécution une somme de 39.000 francs. Il faudra très probablement la doubler avant de les voir tous terminés et pourvus de défenses accessoires. Ce travail d’achèvement a été décidé par la commission militaire de défense, c’est elle aussi qui jugera en temps et lieu si la ligne entre Laurisse et Saint-Héand devra être entreprise, dans tous les cas il conviendra de faire surveiller de très près les chemins qui conduisent de Fontanès à la Guichardière et à la Pérolière. Ces chemins menant tout droit à Saint-Héand et permettant à l’ennemi de tourner les ouvrages entrepris par leur gauche. L’examen des lieux fera mieux qu’un discours saisir la nécessité de les surveiller dans le cas où l’ennemi s’y retrancherait pour attaquer Saint-Héand sans attaquer le Grand-Trousseau.
Saint-Etienne le 31 Xbre 1870
Cavaroz
Epilogue
Dans les procès verbaux des délibérations du Conseil Général de la Loire, session de 1871, ces travaux de défense donnèrent lieu à une discussion parce qu’ils avaient été ordonnés par la commission militaire instituée par le gouvernement et avaient dû être payés à l’aide d’un emprunt. Cette opération financière n’ayant pas pu être ratifiée par le gouvernement celui-ci s’en est déchargé sur le département. M. de Saint-Genest, membre du Conseil général, fait remarquer que, pas plus que le gouvernement, le département a voté cette dépense, la décision a été prise par le seul comité de défense nationale. Néanmoins le budget de 1871 décrété par le préfet avait pris en compte ces dépenses qui, en conséquence, sont considérées comme approuvées. Cependant, un voeu est émis afin que le coût des travaux effectués à Saint-Christo soit remboursé par l’Etat.
Les compagnies de chemin de fer auprès desquelles plusieurs réquisitions avaient été effectuées pendant la guerre au nom de la défense nationale, demandent le paiement de ces réquisitions. Beaucoup ordonnées par la municipalité de Saint-Etienne, ou le Conseil général, sont reconnues sans discussion, mais plusieurs, effectuées par des particuliers sans mandat officiellement enregistré, furent obligés d’assumer les frais de leur action. Parmi eux on note, entre autres, un délégué du département envoyé à Marseille auprès de la Ligue du Midi, ainsi que deux ingénieurs, inventeurs d’une mitrailleuse etc.
Au cours de cette même session fut décidée la mise en vente par le département de douze tonneaux de zinc qui avaient servis d’enveloppe à des barils de poudre, pour la défense nationale, aux tunnels des Plagnes et de Saint-Martin-d’Estréaux. Ce matériel avait coûté 151, 05 F, il fut adjugé pour 27, 25 F.
Le coût total de la mise en défense du département avait été estimé à 62467, 55 F. Seule une somme de 2312, 20 F dépensée par le sieur Carné, chargé d’accomplir les travaux de défense de St Christo-en-Jarez, fit l’objet de discussion. Un emprunt de 660 000 F pour couvrir l’ensemble des frais occasionnés par la guerre avait été vôté. Il fut réduit à 107 000 F après la signature de la paix.