BD, Tome 63, LA VIGNE ET LE VIN A SAIL-SOUS-COUZAN AU XVIIIe SIECLE, Compte rendu par M. Philippe Pouzols-Napoléon, pages 297 à 315, La Diana, 2004.

 

LA VIGNE ET LE VIN A SAIL-SOUS-COUZAN AU XVIIIe SIECLE

Communication de M. Stéphane Prajalas

Compte rendu par M Philippe Pouzols-Napoléon

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Dans une précédente étude 1 , nous avions constaté la part importante 2 que représentait la population vivant du travail de la

1 Prajalas Stéphane : Pratiques matrimoniales des vignerons à Sail-sous-Couzan sous le règne de Louis XVI. Bulletin de La Diana Tome LXI n° 4, 4° trimestre 2002.

2 Rappelons que 41,07 % des futurs époux originaires de la paroisse sont qualifiés de vignerons durant la période 1775-1791.

vigne durant le dernier quart du XVIIIe siècle dans la paroisse de Sail-sous-Couzan. Nous avions alors dégagé les spécificités des pratiques matrimoniales des vignerons sous le règne de Louis XVI.

Cependant, nous n’avions pas abordé les techniques de culture de la vigne et les phases de vinification dans cette localité. C’est ce à quoi nous allons tenter de pallier par la présente recherche.

Afin de mieux connaître les techniques viticoles et vinicoles en usage à Sail-sous-Couzan au XVIIIe siècle, nous appuierons notre travail sur l’étude de divers actes notariés de la période 1704-1783 qui concernent cette paroisse située aux pieds des monts du Forez.

 

I/ Aires viticoles à Sail-sous-Couzan au XVIIIe siècle :

La paroisse de Sail-sous-Couzan était au XVIIIe siècle composée de deux ensembles géographiques distincts.

On note, en premier lieu, des zones de collinaires 3 (Couzan, Miolin, Marencey…). Celles-ci s’étagent entre 400 mètres et 691 mètres d’altitude (au Grand Moulin). Leur sol est de nature granitique, rocailleux, avec une faible couche de terre arable.

En second lieu, on trouve des zones planes, en fonds de vallées, où le terrain est alluvial sur une épaisseur d’environ un mètre, au dessous se trouvent des galets. Dans ces fonds de vallées passent deux cours d’eau : le Lignon 4 (qui descend des monts du Forez via les territoires de Chalmazel et de Saint-

3 Cf. annexe A : carte de localisation.

4 Le Lignon est un affluent du fleuve Loire. Cette rivière rejoint le plus long fleuve de France sur le territoire de l’actuelle commune de Feurs après une course d’environ 59 kilomètres à travers les monts et la plaine du Forez. La source de cette rivière est indéterminée, plusieurs communes revendiquent sa présence sur leur territoire.

Georges-en-Couzan) et le Chagnon 5 (descendant de Saint-Just-en-Bas). Ces deux cours d’eau se rejoignent dans le bourg de Sail-sous-Couzan 6 .

Les zones de collines étaient, les plus propices à la culture de la vigne. A titre d’exemple on peut mentionner que : en 1704, Imbert de Luzy 7 acquit, entre autre, des vignes à Cremières 8 , en 1737, Baltazard de Luzy affermait une vigne qu’il possédait au chastelard près le village de marencé 9 , et en 1783, parmi les biens dépendant du prieuré bénédictin 10 de Sail-sous-Couzan répertoriés dans une sommaire-prisée 11 , on trouve mention d’une vigne sittué au vignoble de couzant.

Les coteaux, quelle que soit leur orientation, semblent être privilégiés en ce qui concerne la culture de la vigne, sans doute pour la nature de leur sol et leur ensoleillement. Les meilleures terres viticoles étant caillouteuses avec une fraction argileuse.

Il est, en revanche, plus surprenant de trouver mention de terrains plantés de ceps au cœur des vallées encaissées. Tel est cependant le cas de vignes présentes dans la vallée du Lignon. En 1711, Jean Baptiste Mathon 12 , officier chez le roy , demeurant

5 Ce modeste cours d’eau, qui naît sur le territoire de la commune de Saint-Just-en-Bas, joint ses eaux à celles du Lignon à Sail-sous-Couzan après une course d’environ 10 kilomètres .

6 Il semble qu’au XVIIIe siècle, une portion du Lignon servait de frontière naturelle entre les territoires des paroisses de Sail-sous-Couzan et de Trelins. En effet, en 1766, on trouve mention de Jean Froment cordonnier du village de la Beaume paroisse de Trelin (cf. infra). La rive droite du Lignon aux abords de la grotte des Fées semble alors appartenir à la paroisse de Trelins.

7 Imbert de Luzy fut seigneur de Couzan.

8 Archives de La Diana. Fonds de Chalain 1 E 4/ 642.

9 Fonds des notaires de La Diana. Maître Franchet.

10 Prajalas Stéphane : Autour du prieuré bénédictin de Sail-sous-Couzan . Numéro spécial de Village de Forez. Octobre 2003.

11 Archives privées.

12 Jean Baptiste Mathon était issue d’une famille de notables sauvagnards. Son père, André Mathon était procureur d’office de la seigneurie de Montherboux (cf. Prajalas Stéphane : La seigneurie de Montherboux . Village de Forez. Octobre 2004). Lui-même fut juge de Sauvain, avocat en parlement et officier chez le roi. Son fils, Claude, est qualifié dans les actes de bourgeois de Montbrison et son petit fils, Antoine Mathon, devait acheter, en 1772, le château de Sauvain à Louis de Luzy. Plusieurs membres de cette famille furent également curés de la paroisse de Sauvain.

à Sauvain, achetait à Jeanne Thevenon vesve de Jean Thevenon Bruchade 13 vivant vigneront du bourg du Sail soubz couzant , une vigne scitué au tenement de Coignat . Cette vigne était située aux tréfonds de la vallée puisqu’elle était bordée de matin (à l’est) par la rivière de lignon. On peut dès lors, s’interroger sur la qualité du raisin, et donc du vin, issu de telles zones encaissées où les gelées sont fréquentes et tardives, où les brouillards s’attardent et où l’ensoleillement quotidien printanier et automnal est réduit du fait de la proximité de hautes collines (côté Trelins ou Couzan) 14 . C’est d’ailleurs au printemps, en particulier au moment des saints de glace (fin avril début mai), alors qu’elle bourgeonne, que la vigne est la plus fragile. Durant l’hiver, l’appareil végétatif du vignoble, réduit au pied et à quelques sarments dépourvus de feuilles, peut résister à des températures allant jusqu’à – 15° C. Jean Baptiste Mathon achetait cependant cette vigne en toute connaissance de cause puisqu’il en possédait déjà une autre voisine de sa nouvelle acquisition. Celle-ci bordait la vigne achetée à la veuve Thévenon de bise (nord) et soir (ouest). Les vignes étaient alors

13 En 1679, on trouve mention d’un Jean Thevenon dit Brouchada gendre a jean Boucon du bourg du sail dans une affaire judiciaire liée à des actes de violence dans la paroisse de Saint-Just-en-Bas (Cf. Prajalas Stéphane : Un exemple de violence à Saint-Just-en-Bas sous le règne de Louis XIV . Village de Forez n° 95-96. Octobre 2003).

14 En 1765, Alléon Dulac dans son ouvrage Mémoires pour servir à l’histoire des provinces du Lyonnois, Forez et Beaujolois (p. 307-308) écrivait à propos des vins du Forez : Les vins de la province de Forez, à l’exception de ceux de Renaison, qui ont du corps et de la délicatesse, et qui sont transportés à Paris par la Loire , sont généralement reconnus pour être de très mauvaise qualité. Ceux…du côté de Montbrison, sont les pires de tous ; les autres productions de la terre dédommagent amplement cette Province de la mauvaise qualité de ses vins.

courantes dans ce secteur, la vigne achetée était limitée par d’autres terrains à vocation viticole : une d’elles appartenait à Monsieur Méchin et une autre à Jean Perrin de la chana 15 à Saint-Georges-en-Couzan 16 . Par cette acquisition, ce bourgeois sauvagnard augmentait, sans doute, la production de son propre vin, ce qui conférait, vraisemblablement, un certain prestige à sa table et à sa maison. La consommation de vin était aussi alors, souvenons-nous en, un moyen d’éviter les dangers de la consommation d’une eau pouvant être souillée (diarrhées, choléra…). Le vin était alors reconnu pour ses vertus 17 .

Bien que la présence de vigne soit attestée dans des paroisses voisines (Saint-Georges-en-Couzan 18 ou Saint-Just-en-Bas), où l’on cherchait d’ailleurs parfois le savoir-faire des vignerons de Sail-sous-Couzan 19 , la paroisse objet de notre étude, semble bien avoir été, au XVIIIe siècle, la plus importante productrice de vin de la haute vallée du Lignon.

 

II/ La culture de la vigne :

 

L’unité de mesure agraire de la vigne en Forez sous l’Ancien régime était la journalée. Elle correspondait, à Sail-sous-Couzan, à environ 0, 0712 hectare .

La superficie des vignes à Sail-sous-Couzan au XVIIIe siècle, était fort variée : celle acquise par Jean Baptiste Mathon

15 Aujourd’hui La Chanal , commune de Saint-Georges-en-Couzan.

16 Ces paysans de la « montagne », pour exploiter leurs vignes, relativement éloignée de leur paroisse d’origine, devaient, vraisemblablement, posséder un habitat temporaire à Sail-sous-Couzan, connu sous l’appellation de « loge de vigne ». Celles-ci pouvaient être des constructions de pisé ou de bois.

17 En 1600, déjà, Olivier de Serre dans son Théâtre d’agriculture , écrivait : Après le pain, vient le vin, second aliment donné par le créateur à l’entretien de cette vie, et le premier célébré par son excellence… Le vin a été de tout tems (sic) en grande réputation.

18 Prajalas Stéphane : Le domaine du Poyet à Saint Georges en Couzan en 1762. Village de Forez n° 97-98. (Avril 2004).

19 Ibidem.

en 1711 était d’environ une journalée, celle du prieuré bénédictin, située sur la colline Couzan en 1783 mesurait environ deux journalées et demie, celle affermée par Baltazard de Luzy en 1737 était d’environ six journalées. La plus grande, à notre connaissance, était celle du domaine de Cremières qui, en 1704, s’étendait sur environ huit journalées. Comme nous pouvons le constater, les surfaces cultivées étaient modestes. Sous l’Ancien régime la culture de la vigne était un des meilleurs revenus financiers de l’agriculture en France 20 . Cette bonne « rentabilité », ajouté au fait que la viticulture occupait le paysan la majeure partie de l’année (une dizaine de façons viticoles d’extérieur plus les opérations de vinification constituaient le quotidien du vigneron), était un facteur favorable à l’expansion de la petite propriété. L’excellent rapport de la vigne faisait écrire à Edmond Pognon : Aux XVIIe et XVIIIe siècle, le plus pauvre des habitant des campagnes s’acharna à cultiver un lopin de vigne pour se parer du titre enviable de vigneron, bien plus estimé que celui de laboureur 21 . On constate qu’à Sail-sous-Couzan, les termes de propriétaires et d’ exploitants existaient. Bien que la petite propriété devait être développée, un certain nombre de vignerons devaient prendre des vignes en location afin d’exercer leur art. Le statut de vigneron n’était d’ailleurs pas celui de cultivateur ordinaire. Leur production ne pouvait pas nourrir directement les vignerons, ils devaient vendre une partie de leur production pour pouvoir, à leur tour, acheter les biens de consommation courante nécessaire à leur vie.

20 On constate, à travers l’inventaire des biens d’Antoine Rigaud en 1710 (document aimablement communiqué par Monsieur Antoine Cuisinier), qu’à Sail-sous-Couzan, le patrimoine d’un vigneron du début du XVIIIe siècle était relativement modeste (cf : annexe B). La maison d’habitation de celui-ci ne comportait d’ailleurs qu’une cuisine et une chambre au-dessus.

21 Pognon Edmond : Histoire du peuple français (de Jeanne d’Arc à Louis XIV(1380-1715) . Librairie Gründ 1952. p. 252.

Nous pouvons tenter d’estimer le nombre de ceps par hectare. Pour cela, nous utiliserons les renseignements fournis par la sommaire-prisée du prieuré bénédictin de Sail-sous-Couzan datant de 1783. La vigne mentionnée avait une superficie de deux journalées et demie (soit environ 1800 m² ). Celle-ci était plantée de 259 ceps (à savoir 110 ceps manquant et 149 provins vieux). Après calcul, ces données nous permettent d’estimer une densité de 1438 pieds par hectare 22 .

La vigne est un arbrisseau de la famille des ampélidacées et du genre vitis , à longues tiges souples et tortues, les sarments, qui donne des raisins. La vigne est une liane. De toutes les espèces, seule la vitis vinifera , la vigne européenne, donne des raisins qui ont un intérêt pour la table et pour la cuve, c’est elle qui était présente à Sail-sous-Couzan au XVIIIe siècle (les vignes américaines n’ont servi qu’à donner des hybrides plus résistants à la fin du XIXe siècle).

A la différence de nombreuses autres cultures, la vigne, qui n’est pas une plante annuelle, n’était pas inscrite dans le système d’assolement et de rotation des cultures alors en vigueur. Ce qui peut permettre de comprendre la longue durée (allant jusqu’à vingt neuf années et autant de prise de fruits ) de certains baux de location 23 . La culture de la vigne s’inscrit durablement dans le paysage rural de la France du XVIIIe siècle, et plus particulièrement dans l’environnement écologique et paysager de Sail-sous-Couzan.

Lors de l’établissement des baux de location, les bailleurs spécifiaient que les locataires devaient bien et duement fassoner 24 les vignes qui leur étaient louées.

22 Ce chiffre semble bien peu élevé par rapport aux autres densités de l’époque qui nous sont connues et qui oscillent entre 8000 et 10 000 pieds par hectares (Renseignements de Monsieur Antoine Cuisinier).

23 Bail Baltazard de Luzy/ Antoine Siveton. 22/12/1737. Archives de Maître Franchet. La Diana.

24 Bail Luzy/Siveton.

L’année du vigneron 25 était marquée par la date du 22 janvier, jour de la saint Vincent, patron des vignerons.

Les travaux débutaient par la taille. Cette tâche permettait de contrôler les rendements de la vigne. Elle s’effectuait à l’aide d’une serpe et nécessitait le savoir-faire de l’exploitant. C’est, sans doute, la maîtrise de l’art de la taille qui valait au paysan son titre de « vigneron».

C’est aussi en début d’année que l’on renouvelait les ceps manquants. A Sail-sous-Couzan au XVIIIe siècle, les vignes étaient fréquemment en mauvais état. En 1704, celles du domaine de Cremières sont claires en sorte qu’il y manque un tiers [des ceps] pour la garnir . Tel est aussi le cas de la vigne achetée en 1711 par Jean Baptiste Mathon qui est réputée estre en tres mauvais estat ny ayant que la moitié des sepes . Peut être, doit on voir ici un mauvais état des vignes consécutif au « grand hiver 1709 ». Il convient, en effet, de se souvenir que le long hiver 1708-1709 fut destructeur tant pour les hommes que pour les cultures. Emmanuel Le Roy Ladurie 26 note que la vague de froid qui sévit en janvier 1709 fit mourir de froid pas mal d’êtres humains […] puis nombre de vignes ce qui conduisit à la destruction d’une assez grande masse de vignoble . Les vignes de Sail-sous-Couzan furent, sans doute, elles aussi touchées par ce phénomène. Enfin, en 1783, dans la vigne du prieuré bénédictin, il manquait plus de cent dix de ceps (soit un peu moins de la moitié des 259 ceps que comptait alors cette vigne).

Le plus souvent, les vignes n’étaient pas replantées dans leur ensemble, mais seuls les ceps manquant étaient remplacés. Ceci se faisait par la technique du provignage 27 . Cette technique

25 Cf. annexe C.

26 Le Roy Ladurie Emmanuel : Histoire humaine et comparée du climat . Fayard. 2004. p. 515-516.

27 La technique du provignage était répandue dans d’autres régions viticoles françaises comme par exemple dans le val de Loire (Maillard Brigitte : Les campagnes de Touraine au XVIIIe siècle . Presses Universitaires de Rennes. 1998. p. 200 à 209), ou en Bourgogne du nord (Saint Jacob Pierre de : Les paysans de la Bourgogne du nord au dernier siècle de l’Ancien régime . Association d’Histoire des Sociétés Rurales. 1995. p. 284 à 291).

est attestée à Sail-sous-Couzan par plusieurs documents. En 1737, Baltazard de Luzy précise pour sa vigne de Marencey, parmi les cultures necessaires et accoutumée , qu’il conviendra de proviner la parcelle de vigne en question. Pour ce type de travail, les preneurs de bail devaient faire les fosses ou creux 28 des provins et les fumer en tems dû et ordinnaire 29 . La fumure des vignes était discutée au XVIIIe siècle. Toutes les régions viticoles n’étaient pas ferventes de cette pratique. Si le Beaujolais et la Bourgogne y étaient favorables, en région parisienne, on préférait éviter cet amendement que l’on suspectait de nuire au goût du vin et où l’on réservait la fumure pour d’autres cultures. Le fumier le plus recherché était la colombine , issue des pigeons. Nous savons, par exemple, qu’en 1783, le prieuré bénédictin de Sail-sous-Couzan, possédait un pigeonnier, à cette date en fort mauvais état 30 . On peut loisiblement penser que les excréments des pigeons de ce bâtiment pouvaient être utilisés pour la fumure des vignes du prieuré en question. Le provignage consistait en l’action de multiplier en place des plants de vigne par couchage en terre de la souche entière. Les pieds de vigne étaient couchés dans une fosse d’une quarantaine de centimètres de profondeur, on laissait sortir deux ou trois sarments qui remplaçaient la souche sacrifiée et la renouvelaient. Les provins (ceps qui naissaient ainsi) n’étaient jamais détachés du pied-mère, au contraire de la

28 Dans le val de Loire on identifiait cette pratique sous l’expression fosseyer (Maillard Brigitte : Vivre en Touraine au XVIIIe siècle . Presses Universitaires de Rennes. 2003. p. 127).

29 Souvenons-nous que la fumure des terres était un des soucis constants des ruraux du XVIIIe siècle. Pour la fumure, de cette vigne, Baltazard de Luzy, s’engageait à fournir annuellement aux preneurs, un char de paille, qu’il devait faire transporter jusqu’au village d’Assieu paroisse de Trelins. Les preneurs du bail devaient se charger du transport de la paille d’Assieu à Sail-sous-Couzan.

30 Prajalas Stéphane : Autour du prieuré… op. cit.

technique du marcottage. Depuis l’invasion phylloxérique et la reconstitution du vignoble sur plants américains résistants et greffés, cette technique par couchage n’est plus utilisée puisque l’on multiplierait des pieds-mères n’ayant aucun intérêt pour la viticulture. Cette technique permettait le renouvellement graduel de la vigne, ce qui permit, sans doute, entre 1731 et 1759, de contourner les termes d’un édit promulgué en 1731 sous l’influence du ministre Orry 31 . En effet, un édit royal du 5 juin 1731 étendit à l’ensemble du royaume des mesures prises depuis 1722 dans différentes provinces françaises. Le préambule de cet édit mentionnait la trop grande abondance des vignes et l’occupation par cette culture de terres qui auraient pu être occupées par des céréales ou des pâturages. Dès lors, il était défendu de planter de nouvelles vignes même sur des terres où il y en aurait eu autrefois (en pratiquant le provignage, on ne plantait pas de nouvelles vignes puisque l’on multipliait les ceps toujours en place. Le provignage permettait donc de contourner les clauses de l’édit de 1731). Très vite, cet édit entraîna des réclamations dans de nombreuses provinces du royaume, tant et si bien, qu’en 1737, le Contrôleur Général des Finances autorisa les intendants des provinces à octroyer des dérogations à l’édit de 1731 pour planter des vignes. Après 1750, les entorses à l’édit de 1731 s’accélérèrent. En 1759, le Conseil Royal déclara que les propriétaires des fonds ne devoient point être gênés sur la destination et l’emploi de leurs terrains . Et Roger Dion de préciser : L’arrêt du 5 juin 1731 devenait ainsi lettre morte, sans qu’un acte royal fût intervenu pour l’abolir expressément .

31 Philibert Orry (1689-1747) : contrôleur général des finances de Louis XV de 1730 à 1745. Il rétablit les finances au moyen d’économies sévères, encouragea les manufactures et le commerce par une politique protectionniste, fit construire des routes, des canaux. Mais son administration rigoureuse lui valut beaucoup d’ennemis, et Mme de Pompadour, à laquelle il avait refusé une grâce le fit renvoyer.

Dion Roger : Histoire de la vigne et du vin en France. Flammarion. 1959. p. 600.

Dans des cas extrêmes, on pouvait aller jusqu’à arracher les vignes en totalité. En 1766, une transaction eut lieu entre Jean Froment cordonnier de la beaume paroisse de Trellin et André Chaptud meunier demeurant au moulin du pont paroisse de Sail sous Couzant . Jean Froment reprochait, entre autre, à André Chaptud de navoir donné ni fait donner aucunes façons ni cultures a la vigne appelle chantegret dépendant de la ferme du moulin du pont, passée en 1763. En trois ans, le manque d’entretien de cette vigne, avait entraîné le fait que celle-ci avait été totalement détruite , l’acte notarié en question précisait que Jean Froment se proposait de l’arracher. On ne pratiquait pas, ici, le provignage (nous sommes là après l’abrogation de l’édit de 1731) puisque le document précisait que les preneurs devaient regarnir et repeupler de bon plan cette vigne.

Le printemps arrivé, le vigneron devait deschausser , en dégageant, à la houe, le pied des ceps, rompre et biner sa vigne pour désherber et ameublir le sol.

Des échalas (pouvant être en châtaigner, même si aucun document ne nous renseigne sur ce point à Sail-sous-Couzan), servant de tuteurs à la vigne, étaient plantés.

C’est plus tard dans la saison, quand les sarments avaient poussé, que la vigne était attachée, ébourgeonnée et rognée pour limiter la végétation et ne pas surcharger les pieds de vigne.

 

III/ De la vigne au vin :

 

Les vendanges ne pouvaient commencer que lorsque le seigneur avait proclamé le ban, ouverture officielle de la période de récolte des raisins (par ce moyen, le seigneur se réservait le droit de vendanger ses vignes en premier). On ne pouvait

Transaction Jean Froment/André Chaptud. Notaire Hodin 19/04/1766. Archives privées.

Bail Luzy / Siveton.

Ibidem.

déroger à cette formalité sous peine d’amende. Aucun document ne nous a permis de déterminer cette date à Sail-sous-Couzan. Sans doute, celle-ci était-elle située aux environs de la mi-septembre, comme dans la plupart des vignobles de la France moderne.

L’automne et l’époque des vendanges arrivant, les vignes allaient connaître une activité intense, rythmée par les cris et les chants des vendangeurs, cette activité revêtant un aspect festif .

Les petits vignerons, ce qui semble avoir été le cas de la majorité des exploitants à Sail-sous-Couzan, utilisaient la main d’œuvre familiale lors des vendanges. Seuls les grands domaines employaient une main d’œuvre saisonnière, ceci n’était sans doute pas le cas à Sail-sous-Couzan, hormis, peut être, pour les vignes des seigneurs de Couzan ou celles du prieuré.

Les grappes de raisin, après avoir été coupées, étaient déposées dans des bennes chargées sur des chars. Ces bennes pouvaient être fabriquées par les vignerons eux-mêmes ou par des artisans locaux . Lors de l’inventaire des biens d’Antoine Rigaud, vigneron de Culvé, en 1710, celui-ci possédait six bennes ( une grande et une petite sous un chappit dont la petite appartenait à sa femme, Catherine Bedoin, et quatre autres dans la cave). Les chars quittaient la vigne et transportaient la vendange jusqu’au cuvage. Les raisins destinés à être transformés en vin rouge étaient mis à fermenter dans des cuves de bois (en 1783, le prieuré bénédictin de Sail-sous-Couzan possédait six cuves ). La cuvaison pouvait durer quelques jours ou quelques semaines (plus celle-ci était longue, plus le vin était coloré). Au travers de la ferme de vigne passée par le seigneur de Couzan à Antoine Siveton et Pierre Gonnard vignerons de Sail-sous-Couzan en 1737, et des opérations successives

L’aspect évènementiel des vendanges a perduré jusque dans la seconde moitié du XXe siècle.

Jusqu’au milieu du XXe siècle, à Sail-sous-Couzan, le surnom de certains habitants était le beneire , c’est à dire le fabriquant de bennes.

Prajalas Stéphane : Autour du prieuré…op. cit.

mentionnées, il semble bien que la production de vin en question était de vin rouge. A travers cet acte, on suit la production de vin depuis la vigne jusqu’à la mise en fût. Il est, en effet précisé que les tenanciers devaient faire ramasser les raisins de la vendange, la voiturer, faire cuver, tirer les vins et pressurer, les plasser dans les tonneaux.

A Sail-sous-Couzan, au XVIIIe siècle, le recours obligatoire à un pressoir banal ne semble pas avoir été de mise. De nombreux pressoirs semblent avoir appartenu à diverses catégories de la Société.

De simples ruraux possédaient en propre leur pressoir. Tel était le cas de Jean Doytrand laboureur de Cremière qui, en 1704, possédait dans son domaine acheté par Imbert de Luzy un pressoir, ou encore Antoine Rigaud, vigneron de Culvé, dont le patrimoine mobilier comprenait, en 1710, un pressoir monté et tout garny.

Des notables locaux possédaient, eux aussi, des pressoirs pour la transformation de leur vendange. C’était le cas de Pierre Cart praticien du lieu de sail (homme de loi), en 1722, qui se voyait reconnaître, par François de Luzy, prieur de Sail sous Couzan, qui agissait au nom de son neveu, Just de Luzy, la permission et faculté de se servir d’un pressoir a pressurer vendanges que ledit s [ieu] r Cart avoit cy devant ediffier dans sa maison audit lieu du sail quartier de la fonfort pour le bon plaisir de deffunt m [essi] re Imbert de Luzy pour par ledit s [ieu] r Cart pressurer la vendange de ses vignes seullement et daucuns autre.

En 1720, Baltazard de Luzy, clerc tonsuré du diocèse de Lyon, cédait au prieuré bénédictin de Sail-sous-Couzan, dont il entendait devenir le prieur, succédant ainsi à son oncle François de Luzy, un bastiment a luy apartenant situé aud [it] lieu du sail sous lequel sont un pressoir et cuvages . Un document de 1721 , nous informe que le pressoir et cuvage dont se servent les

Fonds de Chalain 1 E 4/ 770.

prieurs apartient aussi en propre audit suppilant que sans quoy on ne pouroit ameublir la récolte dudit bénéfice . Le pressoir donné en 1720, par Baltazard de Luzy, semble avoir encore été en place en 1783, mais il était alors en bien mauvais état puisque il est précisé que la trape du pressoir composée de cinq planches est entièrement usée et percée en deux endroits que lasne portant la table du coté de midy est hors de service que larbre a presser piece essentiel dud pressoir est de vieux bois et fendu jusqu’au milieu de sa grandeur… le vis et son ecrou ne peuvent subsister longtemps a cause de leur vielesse.

Deux types de pressoirs semblent avoir cohabités à Sail-sous-Couzan au XVIIIe siècle. En 1704, la sommaire prisée du domaine de cremière nous apprend que l’on trouvait dans cette exploitation un pressoir à poutre . Ce type de pressoir aurait été inventé, selon, Pline l’Ancien, vers 25 avant notre ère. L’arbre pouvait atteindre une longueur de près de dix mètres. Il était abaissé grâce à une vis dont la partie inférieure était fixée à une masse de pierre de plusieurs tonnes, qui faisait contrepoids. Cette pierre était contenue dans une fosse .

Malgré tout, le type de pressoir le plus répandu à Sail-sous-Couzan paraît avoir été celui des pressoirs à vis . Ce modèle a, sans doute, été mis au point au XVIe siècle. C’était un pressoir à vis centrale, entraînée par un étiquet (bâton) qu’on engageait dans la tête de la vis, et qu’on changeait de place à chaque quart de tour puisque la tête de vis possédait quatre encoches.

On notera que fréquemment les pressoirs à Sail-sous-Couzan, n’étaient pas dans des bâtiments (hormis dans le cas de

Baltazard de Luzy.

Lachiver Marcel : Dictionnaire du monde rural. Fayard. 1997. p. 1371-1372

Sur les différents types de pressoirs, on se reportera à l’étude de Guyot Bernard et Bouiller Robert : Recherches sur les presses et pressoirs du département de la Loire . C. R. E. M. A. T. 1992.

celui cédé au prieuré bénédictin par Baltazard de Luzy en 1720), mais se trouvaient sous des chapits (auvents).

Une fois tiré, le vin était mis en tonneaux. En 1710, Antoine Rigaud avait dans sa maison quatre tonneaux teneur de seize asnées avec leur fond , un poinson plaint de petit vin et un autre tonneau au trois quard de bon vin (ce dernier était, cependant, mentionné comme appartenant à sa femme). En 1783, le prieuré bénédictin de Sail-sous-Couzan, abritait trente quatre tonneaux, ce qui représentait une capacité de stockage d’environ 160 asnées de vin . Une partie de ce vin ne devait sans doute pas provenir des vignes même du prieuré mais devait correspondre à une contribution en nature des dîmes prélevées par les prieurs de Sail-sous-Couzan.

 

Nous le constatons, la vigne et le vin étaient omniprésents dans le paysage de la paroisse de Sail-sous-Couzan au XVIIIe siècle. Ceci est confirmé dans la description de cette paroisse dans l’ Almanach du Lyonnais, Forez, Beaujolais de l’année 1760 qui précise que dans cette paroisse on y cueille du vin . Cette prépondérance avait des conséquences sur la vie sociale et économique de la paroisse. Grâce à l’étude des actes notariés nous arrivons un peu mieux à connaître les techniques viticoles et vinicoles qui avaient alors cours dans cette paroisse des coteaux du Forez au XVIIIe siècle.

 

Une asnée valait environ 100 litres .

Ces tonneaux étaient donc pleins. Ils contenaient donc environ 1 600 litres de vin.

D’après Marcel Lachiver ( op. cit. ) un poinçon, était un tonneau d’une capacité d’environ 200 litres .

Le petit vin était une boisson, plus ou moins colorée, obtenue soit en remettant le marc pressuré dans la cuve, en l’émiettant et en jetant dessus une certaine quantité d’eau, soit en ajoutant de l’eau sur le marc égoutté mais non pressuré. (Cf. Marcel Lachiver op. cit. )

Soit environ 16 000 litres de vin.

 

Annexe A : Carte de situation :

 

Annexe B : Inventaire des biens d’Antoine Rigaud , vigneron de Culvé en 1710 :

 

Dans la cuisine :

Un coffre ou arche fermant à clef contenant des papiers et quelques corps et menus linge (appartenant à Catherine Bedoin femme d’Antoine Rigaud)  ; une cremaliere fer ; une ecumoir fer ; une marmitte de fonte tenant quinze ecuellées ; un buffet servant de dressoir a quatre porte avec ferrure ; une pattiere bois sapin avec son couvert en bois peuplier ; une table avec ses deux banqs ; un lict de plume garny de sa coutre et un chevet, d’un drapt toille menage, une couverte blanche de sarge ; les rideaux et pentes du lit toille teinte (appartenant à Catherine Bedoin), les pilliers du lit de noyer ; une chaudiere ; une autre arche bois sappin fermant a clef au devant du lict ; un garde robbe bois chaine et noyer fermant a clef (appartenant

Acte du 14/05/1710 passé devant Souchon greffier en chef de la baronnie de Couzan (document aimablement signalé par M. Antoine Cuisinier).

à Annet Egroizard fils de Marie Rigaud qui était alors à la scie) ; une autre garde robbe (appartenant à Catherine Rigaud) ; une petitte casse cuivre jaune .

Dans la chambre au-dessus de la cuisine :

Un bois de lict sappin ; une perche ; un drapt toille menage ; cinq chemises presque uzées ; un just’aucorps de droguet ; trois meschantes paires de culottes dont une de toille ; une chemisette rouge .

Dans la cour sous le chappit :

Un pressoir monté et tout garny ; un massot avec ses garnitures et roues ; deux araires avec leur regles ; un joug garny de ses juilles cuir ; deux perches ; un pict ; un pallard et robes  ; un vollant ; deux bennes une grande et une petitte (la petite appartenant à Catherine Bedoin)

Dans la grange :

Quatre tonneau teneur de seize asnées avec leur fond ; trois masottées de foing.

Dans la cave :

Quatre bennes ; un tonneau de troict asnées défoncé ; un poinson plaint de petit vin ; un autre tonneau au trois quard de bon vin (appartenant à Catherine Bedoin).

Dans l’écurie :

Une vache poil bland.

 

Annexe C : Calendrier de la vigne :

 

Mois

Période végétale

Travaux

Janvier-Février

Sommeil

Taille

Mars

Sommeil

Débuttage

Avril

Débourrement

Bêchage

Mai

 

Binage

Juin

Feuillaison, Floraison

 

Juillet

Formation des grappes

 

Août

Véraison (coloration des grains)

Eclaircissement des grappes

Sorte de brancard pour transporter la terre, le fumier…

Mot inconnu.

Septembre-Octobre

Maturation

Vendanges

Novembre

Défoliation

 

Décembre

Sommeil

Minage, buttage