BD, Tome LXIV, JOURNAL DE VOYAGE D’UN PRÊTRE RÉFRACTAIRE ÉMIGRÉ EN ITALIE (1792-1797), L’ABBÉ SOUZY, CURÉ DE SAINT-GENIS-TERRENOIRE (GÉNILAC), Compte rendu par M. Philippe Pouzols-Napoléon, pages 74 à 100, La Diana, 2005.
JOURNAL DE VOYAGE D’UN PRÊTRE RÉFRACTAIRE ÉMIGRÉ EN ITALIE (1792-1797), L’ABBÉ SOUZY, CURÉ DE
SAINT-GENIS-TERRENOIRE (GÉNILAC)
Communication de M. Gilbert Gardes 1
Compte rendu par M. Philippe Pouzols-Napoléon
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C’est avec le feu aux trousses et la mort dans l’âme que le 13 décembre 1792 Jean Claude Souzy, un vicaire encore jeune et qui n’avait rien vu, abandonne son village du Rhône pour se réfugier en Italie, de compagnie avec un groupe d’émigrés. Lyon, Chambéry, Aoste, Ivrea, dans la neige et le froid, la peur et la faim, il traverse les Alpes redoutables. Casale, Piacenza, il descend le Pô. Parme, Reggio, Modène, Bologne, Forli, Pesaro et gagne la Marche où dans le bourg de Monte Rubiano, il séjourne cinq ans et cinq mois.
1797, l ‘appel du retour. Franchissant l’Apennin, il arrive à Rome où il reste seize jours, puis, à petites étapes, il remonte : Sienne, Florence, Pise, Livourne où il s’embarque pour Marseille. Par la vallée du Rhône, il regagne Lyon le 24 juillet 1797.
Accueils et congés, bons ou mauvais, descriptions hâtives de villes, ce périple d’un prêtre émigré constitue un document inattendu et singulier.
1 L’auteur remercie particulièrement pour leur aide : M. le Conservateur des Archives municipales d’Aix en Provence, M. le Directeur des Archives départementales des Bouches-du-Rhône, Antoine Pouilloux, Alexandra Gardes et Hyéja Gardes-Song.
Le Voyageur et son journal
Jean Claude Souzy-Thomas naît le 28 avril 1760 à Saint-Clément-sous-Valsonne (69170) 2 , près de Tarare dans le Rhône, et meurt le 5 juin 1853 à Saint-Genis-Terrenoire (Génilac, 42800) 3 , près de Rive-de-Gier dans la Loire , où il est enterré dans le cimetière paroissial .
Fils de marchand aisé, il a au moins un frère vivant, Jean, né le 8 avril 1758, et un frère mort à trois mois, né le 12 juin 1759. Il est depuis sept ans vicaire de la paroisse de Saint-Loup
2 Mairie de Saint-Clément-sous-Valsonne. actes paroissiaux, 1760 t° 237 B Acte de naissance : Jean Claude Souzy Thomas fils légitime de Sr Maurice Souzy Thomas et de Marthe Baronat marchant habitant de la paroisse de St Clément est né et a été baptisé ce jourd’hui par moi soussigné vicaire dudit lieu le vingt huit d’avril de l’an mille sept cent soixante dans l’église dudit lieu. Son parrain a été Jean Claude Souzy Thomas aussi dudit lieu, la marraine Claire Coquart…
3 Mairie de Génilac, actes paroissiaux, décès, 1853 n° 41 : Cejourd’hui cinq juin mil huit cent cinquante trois, à cinq heures du Soir, devant nous Maire, Officier d’Etat civil de la commune de St Genis Terrenoire, sont comparus Jean Louis Tardy, âgé de trente ans, vicaire, et Jean-Claude Néel, âgé de vingt-huit ans, Instituteur, domicilié à St Genis Terrenoire, qui nous ont dit que Jean Claude Thomas Souzy, âgé de quatre vingt treize ans, curé, domicilié en cette commune depuis cinquante ans, natif de St Clément sous Valsonne (Rhône), voisin des déclarants, est décédé le jour présent, à quatre heures du matin dans le domicile de son habitation.
Après nous être assuré du décès ci-dessus déclaré, nous avons rédigé le présent acte dont nous avons donné lecture aux comparans, et que nous avons signé avec eux. L. Tardy, Néel, Chavanne, maire
Tombe des prêtres. L’inscription, refaite, porte une date fausse : M. JEAN –CLAUDE THOMAS SOUZY DECEDE LE 5 JUIN 1855 AGE DE 93 ANS.
(69490) où il a été nommé à l’âge de 25 ans lorsque interviennent les décrets d’expulsion des prêtres réfractaires 4 .
Contraint de quitter le pays, il se réfugie en Italie. De retour en 1797, il est arrêté une première fois à Aix-en-Provence 5 , puis à Lyon le 25 mai 1800 pour avoir refusé de prêter serment et libéré sous caution.
En 1803 (?) il est nommé curé de Saint-Genis-Terrenoire et le reste pendant un demi siècle. Selon Vachet, il a laissé un souvenir impérissable dans la paroisse par ses saillies, sa force herculéenne, son zèle impétueux, ses tendances fortement jansénistes ; avec cela bon prêtre et bon coeur… 6 Il est aussi celui qui, en 1836, fait donner une mission qui eut un merveilleux succès et l’actif bâtisseur de la nouvelle église (1843) et du couvent de religieuses 7 .
Le curé Jean-Claude , comme il s’appelait lui-même, était physiquement le type rude et vigoureux d’un autre âge mais aussi une personnalité venue à point nommé sous la Restauration et dont l’esprit avait été ouvert en frottant sa cervelle à celle des autres, comme dit Montaigne, lors de sa pérégrination involontaire en Italie.
De son périple en Savoie et en Italie il a laissé un journal original (manuscrit I), non retrouvé à ce jour, mais connu par une copie conservée à la cure de Génilac. A la relation du voyage (3 septembre 1792 – 5 juillet 1800) manque [?] le récit du séjour à Monte Rubiano.
4 Rapport du Ministre de l’Intérieur, cahier de Gerville lu à la séance de l’Assemblée du 18 février 1792 et discours de François (de Nantes) à la séance du 5 mai suivant.
5 Les archives municipales d’Aix-en-Provence (LL, 278 ; LL 293) ignorent Souzy de même que les Archives départementales des Bouches-du-Rhône (L, 3021, 3030, 3035, 3143, 3361, 3365).
6 Vachet (A.), Les paroisses du diocèse de Lyon, Lérins , 1899, page 627.
7 Sur Génilac voir Grande encyclopédie du Forez… sous la direction de Gilbert Gardes, Volume V. Sur l’église : Antoine Pouilloux, L’église de Saint Genis in Aujourd’hui Génilac, n° 13, 1986, page 4.
Ce manuscrit II se compose de 19 pages de format 29.7 x 21 cm . dactylographiées à interligne simple, titrées : L’exil et le journal du pèlerinage de l’abbé Souzy, prêtre français, 1792 . L ‘histoire, semble-t-il, est redevable de la conservation de ce document à Monseigneur Etienne Faugier (1859-1928), natif de Saint-Genis-Terrenoire, second évêque à résider à Saint-Etienne, qui montrait pour l’histoire régionale une passion qui lui valut en 1923 1a présidence d’honneur de La Diana 8 .
Il est ici publié pour la première fois.
Le Périple
Le périple de Souzy (voir carte) s’effectue en trois temps : septembre-décembre 1792, aller jusqu’à Monte Rubiano, bourg de La Marche , face à l’Adriatique, en traversant les Alpes ; décembre 1792 – avril 1797, séjour de 4 ans et 5 mois chez les Cordeliers ; avril-juillet 1797, retour par le sud en utilisant au maximum les voies navigables.
La Relation
Gagner l’Italie ne semble pas le but initial de Souzy qui pense s’arrêter en Savoie mais qui fuit par peur des troupes françaises. Il voyage de compagnie avec d’autres prêtres, des connaissances de son village mais aussi des nobles, une femme enceinte, des enfants. Tous vont à pied sauf à louer une voiture en Italie lorsque certains sont épuisés. Ils se
8 Initialement collection Jean Gerin ; voir: Pouilloux Antoine, Etienne-Irénée Faugier (1858-1982), Aujourd’hui Génilac, n°43, avril 1994. Gilbert Gardes, avec la collaboration de Anne-Marie Masson, Antoine Pouilloux pour la recherche et Hyéja Song pour les dessins, Rive-de-Gier ou La Cité industrielle … , à paraître, contient la biographie de E. Faugier.
retrouvent aux étapes parfois avec d’autres exilés, couchant jusqu’à 80 sur les carreaux d’un petit appartement . Les vêtements, les chaussures s’usent, l’argent manque. La prudence lors de la traversée des Alpes les invite à prendre les sentiers de montagne, à remonter le lit de certains torrents pour éviter les agglomérations. Les étapes journalières vont jusqu’à douze heures de marche.
Si l’accueil est en général convenable – le clergé surtout manifeste sa solidarité – il est parfois mauvais : il est interdit à ces émigrés de rester dans le Piémont, de passer dans le Milanais, d’entrer dans Valence. A Modène on entre si l’on est à cheval, à pied non. Certains hôteliers en profitent pour écorcher ces touristes d’un nouveau genre. Force est de se contenter de peu dans la montagne : pain, lait, pommes sauvages, riz non cuit ; de coucher dans des greniers à foin ou à plusieurs dans un mauvais lit. En plus de la pluie, de la boue, du froid et de la neige la peur guette les voyageurs qui font l’objet de brimades de la part des patriotes, des soldats, des jacobins etc. Des prêtres jureurs les insultent, des habitants les injurient. Précipices, torrents, chemins suspendus, l’Alpes est redoutable. Un optimisme mesuré ne revient qu’en Italie.
Que remarque Souzy au cours du voyage ? 9 Certains usages l’étonnent comme les femmes qui servent à l’auberge ou qui renversent leur jupe sur leur tête pour entrer dans les
9 Sur le thème du prêtre voyageur par goût ou par obligation voir les deux exemples cités par Babeau A., Les voyageurs en France depuis la Renaissance jusqu’à la Révolution , Paris, 1885, Genève, 1970, page 281 ; et Cholvy Gérard Du plateau virarois aux Cévennes. Jean-Baptiste Pialat, réfractaire (1790-1801) LVIIIe Congrès de la Fédération historique du Languedoc méditerranéen et du Roussillon, Aubenas-Vogüe 6-8 juin 1986, tome II : Communauté d’Oc et Révolution,française, Montpellier, 1987, Voir aussi Journal d’un curé de Campagne au XVIIe siècle, Paris, 1965. Plusieurs exemples dans Gardes G., Le Voyage de Lyon, Lyon, 1995.
ou qui renversent leur jupe sur leur tête pour entrer dans les églises. Homme de la campagne il s’intéresse aux moissons, aux chiens. Dans les villes trop hâtivement traversées et décrites : riches ou pauvres , bien ou mal situées, régulièrement ou irrégulièrement bâties (sa définition de la belle ville est celle de l’Encyclopédie) il visite les tombeaux de saints, les églises, les lieux de pèlerinage et porte sur les oeuvres des jugements insignifiants pour l’art, mais significatifs socialement. Il est parfois témoin d’événements politiques : à Rome les principales œuvres d’art viennent d’être enlevées par Bonaparte et transportées en France ; à Gênes, il assiste à la Révolution.
Dans l’ensemble la relation reste succincte sur le plan de l’art et de la narration. C’est un journal où les faits sont notés au jour le jour. Rien à voir avec le Voy age d’Italie… de l’abbé Coyer, mais des similitudes avec Mes souvenirs, que publie en 1878 N. Z. Simonnot. Mais ce texte vaut par son caractère de rareté, de document humain et psychologique et constitue finalement une version forcée du Grand Tour démocratisé malgré lui, étape de la transformation du voyageur en touriste.
« L’exil et le journal du pèlerinage de l’Abbé Souzy, prêtre français 1792. » 10
[Voyage d’aller]
Je partis de St Loup, où j’avais été vicaire sept ans, le 13 septembre, habillé en paysan, n’ayant que deux jours auparavant le décret de déportation et vivement affligé d’abandonner les catholiques qui pleuraient sur mon sort.
Je passai à St Clément où je laissai mes parents inconsolables de me voir partir. Après avoir confessé jusqu’à onze heures du soir, je partis pour Lyon à minuit.
10 L’orthographe est celle du manuscrit. (note de l’auteur).
À Lyon je fus dans une grande inquiétude en apprenant que l’on maltraitait les prêtres émigrants. Cependant M. Simonet, de Tarare, me détermina à partir le lendemain à cinq heures du soir, après avoir compté à Madame Rurand une quarantaine de Louis d’or.
Au faubourg de la Guillotière , je crus être perdu parce que le peuple nous prit pour des prêtres en voyant l’abbé Chermette faire le signe de la croix et lever son chapeau devant une croix.
Après avoir traversé St Denis de Bron, St Laurent de Mure, la Verpilière , nous nous arrêtâmes à St Alban pour faire une espèce de souper dans l’auberge. Un patriote nous insulta beaucoup et nous força de lui donner une de nos cocardes.
À Bourgoin un notable de la Municipalité qui nous accompagnait depuis Lyon éveilla la garde nationale pour faire viser nos passe-ports. Après Ruys nous trouvâmes Cessieu où était une partie du camp.
À la Tour du Pin il y avait deux régiments qui commençaient à nous menacer, mais les officiers nous en délivrèrent en leur faisant faire l’exercice. Nous fûmes encore bien exposés aux Abrets en traversant l’autre partie du camp qui y était.
Le 16 à 10 heures du matin nous arrivâmes au pont de Beauvoisin. Je me chargeais de faire visiter les porte-manteaux de mes confrères. Les soldats nimois et marseillais m’accablèrent d’injures et de menaces parce qu’ils voyaient partout des signes de prêtrise. Les commis de la douane nous dépouillèrent tous pour voir si nous emportions de l’argent. En sortant de la municipalité je reçus deux ou trois coups de poing et les Jacobins nous coururent jusque sur le point sépare la Fiance de la Savoie.
J’allai coucher aux Echelles après avoir été bien accueilli des Savoyards. À quelque distance des Echelles l’on voit une cascade de 150 pieds de hauteur au moins et un chemin merveilleux ayant été creusé dans un roc d’une hauteur et largeur très considérable.
Le 17 j’arrivai à Chambéry, capitale de la Savoie ville assez ; grande et bien peuplée ; les environs sont fertiles et agréables. Nous louâmes le château de M. Dardel sur la route d’Aix pour 25 prêtres et dépensâmes 25 louis en grosse provisions pour y passer l’hiver.
Le 22 Poncet, curé de Pouilly, nous apprit la prise de Montmeillan par les patriotes. Tout étourdis nous mangeâmes ensemble un peu de riz qui n’était pas cuit et je partis avec la pluie et dix-sept sols dans ma bourse, laissant ma malle pleine de beau linge.
En passant à Aix, petite ville assez bien bâtie nous rencontrâmes des prêtres qui nous insultaient. I1 y avait un superbe cours qui conduit au lac du Bourget. Les eaux minérales d’Aix sont remarquables par leur chaleur et leur abondance.
J’arrivai par un chemin difficile à la Bâtie , village situé sur les montagnes, où, après avoir soupé chez un patriote avec du pain et du lait, je fus me coucher dans un grenier à foin ouvert de toutes parts.
Le 23 je laissai les Messieurs Proton, Gourdiat Vermare et autres pour aller joindre, avec Ferrand, messieurs Crozier et Maillaguet.
Après avoir marché longtemps dans la boue, j’arrivai au Chatelard, petite et laide ville. Mon inquiétude y fut grande, soit parce que l’on me disait que les français allaient arriver, soit parce que je n’y trouvais pas mes confrères qui devaient y être arrivés les premiers. J’en sortis bien vite avec la pluie et par de mauvais chemins pour aller au village de l’école où après bien de peine, je trouvai une pauvre vieille qui nous fit souper avec de l’eau bouillie et du pain noir. II fallut coucher à la fénière où le vent et la pluie entraient de compagnie. Je fis raccommoder mes souliers : le cordonnier me demanda 18 sols et je n’en avais que 17, ce qui nous fït beaucoup rire.
Le 24, nous arrivâmes au point du jour à Bellevan. C’est une abbaye de bénédictins, resserrés de toutes parts par de hautes montagnes. Les religieux, épuisés par la multitude des passants ne purent nous donner qu’un peu de pain et de vin, secours sans lequel Maillaguet, l’aîné, n’aurait pu grimper au col de Tamier. C’est une suite de montagnes affreuses où il n’y a pour chemin qu’un fort mauvais sentier et quelquefois point du tout. II fallait se tenir des pieds et des mains pour ne pas tomber dans des précipices que l’on ne peut voir sans frémir. De temps en temps, les hommes et les chevaux s’écrasaient dans ces abîmes profonds ; l’on entendait les cris des soldats, des femmes et des enfants réduits à l’extrémité par la faim, la maladie et la difficulté du chemin. Je portai assez longtemps un enfant qui avait la fièvre et que je laissai à demi-mort n’en pouvant plus moi-même. La neige qui couvrait la terre nous empêchait d’assurer nos pas et celle qui tombait des arbres nous accablait dans sa chute. J’étais cependant bien aise d’en manger pour diminuer l’ardeur de la soif et de la faim, ce qui me fit fendre les lèvres.
Arrivé au col de Tamier, Maillaguet le cadet se disait pour rire 77 fois 7 fois au-dessus de la lune. Nous y atteignîmes la marquise de la Palud , jeune femme enceinte dont nous admirâmes le courage et la patience. La descente fut plus horrible que la montée : l’on tombait à tout moment à cause de sa rapidité et de la fonte des neiges. Je trouvais les pommes sauvages délicieuses. J’en portai une 50 lieues sans qu’elle en devint plus tendre. Enfin après 12 heures de marche très pénible j’arrivai à Conflans, petite ville assez bien située sur l’Isère. II y a des salines entretenues par un canal d’eau salée qui vient de six lieues. Les piémontais y avaient formé un camp pour favoriser la retraite des soldats dispersés. J’étais si fatigué que je me couchai dans un mauvais lit sans réciter mon office.
Le 25, la pluie et la boue rendaient les chemins presque impraticables. Nous dînâmes dans un village dont les habitants avaient si peur des jacobins qu’ils avaient caché jusqu’aux cuillers et fourchettes d’étain. Après avoir traversé Aigues-Blanches qui me plut beaucoup, nous arrivâmes à Moutiers, capitale de la Tarentaise. Cette ville est entourée de hautes montagnes et je fus surpris de la voir si petite et si laide. Il y a de superbes salines. L’église cathédrale ne peut pas être. plus pauvre et plus irrégulière. L’union de l’Arche avec l’Isère forme un contraste singulier : les eaux de la première étant blanches et celles de l’Isère noirâtres. Ne craignant plus les patriotes je fus encore tranquillisé par l’assurance que me donnèrent les Messieurs Maillaguet de fournir aux dépenses de mon voyage. Heureusement on ne vouloir pas suivre mon avis qui était de ne pas aller plus loin.
Le 26 passant par Villette nous vînmes coucher à Aime. Nous rîmes beaucoup d’un plat énorme par sa grandeur dans lequel on servit une petite soupe. La mauvaise odeur m’empêcha de dormir: les commodités étant auprès du lit.
Le 27, nous traversâmes un torrent horrible que l’on ne peut ni regarder ni sentir parce que les eaux en sont noires et puantes. C’est dans la Tarentaise que commence l’usage de ne rien manger sans fromage. L’ardoise y est commune et communique le goitre aux hommes et aux femmes qui sont petits et difformes ; les animaux mêmes qui sont tous ronches 11 sont abâtardis et se ressentent de la misère du pays qui est fort montueux. On leur attache une sonnette au col, ce qui fait un bruit effroyable dans les collines. Nous dînâmes à St Maurice, autrefois ville très considérable et aujourd’hui presque détruite par les torrents des Alpes. L’Isère prend sa source à quelques lieues de là. Je n’ai jamais vu personnes plus monstrueuses que celles qui servaient l’auberge. Nous achetâmes du pain à chez qui est au pied du mont St Bernard. Il fallut grimper pendant six heures pour arriver à la cime. Le commencement de la montée est désespérant. St germain est appliqué à la montagne comme la balle aux épaules du mercier. Nous ne pûmes pas même y trouver un verre d’eau. La route est indiquée par des piquets élevés de temps en temps ; mais alors la glace, la neige et l’eau la rendaient bien périlleuses. En approchant de l’hospice, le froid nous glaçait. Sans arbres, sans animaux, des rochers énormes une chaîne de montagnes couvertes de neiges et de glace, un bruit sourd qui règne dans les vallons, voilà ce qui rend cette solitude vraiment sauvage et affreuse. L’hospice n’est pas bien grand, mais solidement bâti. Ii y a des chiens d’une grosseur extraordinaire qui aboient sans cesse pour servir de signe aux voyageurs ; les religieux firent bon feu pour nous
11 Ronches : terme de dialecte signifiant enroué.
sécher et nous donnèrent pour souper du riz bouilli dans l’eau et un peu de pain à cause de la multitude des passants. Ferrand, Crozier et moi couchâmes dans un lit fort étroit. Le froid m’empêcha de dormir. Un prêtre qui ne me connaissait pas m’offrit de partager avec lui 3 louis qu’il avait.
Le 28, je fus étonné de voir un petit étang à quelque distance de l’hospice. II fallut marcher à travers de la glace, de la neige et des pierres jusqu’à la Tuile où nous ne pouvons rien trouver pour manger. Un soldat touché de notre sort nous acheta du curé un peu de pain et de vin qui nous servit pour déjeuner au milieu du chemin. L’on passe sur un pont de bois un précipice épouvantable par sa profondeur. La Doire prend sa source dans les montagnes voisines. Je fus surpris de voir les semailles bien levées et la moisson qui n’était pas encore finie. L’on traverse des vallons horribles pour arriver à St Didier où je vis les eaux minérales chaudes. Nous ne pûmes pas y dîner à cause des soldats. Avant d’arriver à Morget l’on trouve un beau pont de pierre sur la Doire. Nous couchâmes à la Salla où les messieurs Proton et compagnie m’atteignirent. Nous eûmes bien de peine pour souper et allâmes ensuite dormir dans une fénière ouverte de toutes parts.
Le 29, passant par Arviers, Villeneuve et le château de Sarre, petite forteresse, nous arrivâmes à Aoste. Depuis St Bernard et encore dans la Tarentaise notre unique ressource était de voler des raisins ; les habitants n’y trouvaient pas à redire voyant nos grands besoins.
Aoste est une assez belle ville avec évêché et gouvernement. Mon embarras fut extrême lorsqu’on nous ordonna de sortir des États du Piémont. II y a à quelques pas de la ville un arc de triomphe d’Auguste assez bien conservé.
Le 1er octobre la pluie était abondante. Nous passâmes par Valgrisanche et couchâmes à la Chambarve dans un mauvais lit. Ici l’on commence à ne plus parler français mais un langage barbare. Le 2, j’admirai à Châtillon un pont remarquable par son élévation. Nous couchâmes à St Vincent.
Le 3, nous passâmes à Verrex, à fort de Card où il y a une quantité de pont-levis et une garnison d’invalides dans une forteresse bien défendue par la nature, à Donnas où le chemin a été pratiqué dans un rocher énorme par sa hauteur, à St Martin où finit le val d’Aoste et à Montestrutto où nous couchâmes. Presque toute cette route est creusée dans le roc.
Le 4, après avoir passé à Montault, j’arrivai à Ivrée ville assez considérable sur la Doire avec évêché et un château fort. Le séminaire est très beau. Les ecclésiastiques y accueillaient les Français. Ici l’on divise la route par milles. La pluie qui nous assaillit à MONTRESTRUTTO jusqu’à Ivrée avait tellement gâté les chemins que nous craignions d’y périr.
Le 7, après avoir séjourné 3 jours nous allâmes dîner dans un village dont j’ai oublié le nom. L’on trouve sur la route de Turin, St Germain, très jolie ville. Nous couchâmes dans un village dont j’ignore aussi le nom. Depuis Ivrée les chemins sont agréables et le pays ordinairement en plaine. Le 8, nous arrivâmes à Verceil, ville assez bien bâtie et sur le confluent de la Sessia. La cathédrale et St André méritent d’être vus. St Christophe est brillant par ses peintures. L’on y voit les tombeaux de St Eusèbe, de St Emilien et du C. Amédée. Le Vicaire général du cardinal se moquait de nous parce que nous n’avions pas prêté serment. Depuis Aoste les hommes ont l’air sauvage et sont d’une dureté incroyable ? Nous attendîmes jusqu’au 12 messieurs Crozier et Rouchon qui étaient allés à Turin pour obtenir la permission d’entrer dans le Milanais. A leur arrivée ils mirent le comble à notre inquiétude en nous certifiant que nous ne pouvions ni rester dans le Piémont ni passer dans le Milanais et même qu’il n’était pas sûr que nous fussions reçus dans les États du pape.
Le 15, nous passâmes Carsano, où le comte Ferra nous envoya du vin et des pommes ; de là à Villeneuve, village situé dans les Marais. Après avoir traversé le Pô sur la traille 12 , nous entrâmes dans Casal, capitale du Montferrat, bien située et bien fortifiée. C’était nuit. Le gouverneur nous ordonna de partir le lendemain. Nous priâmes les prêtres de la Mission de nous loger, ce qu’ils firent avec toute la bonté possible et nous procurèrent les moyens de nous embarquer le lendemain.
Le 14, nous nous embarquâmes sur le Pô, fleuve considérable, rapide dans son cours, dont les eaux sont troubles et dont les rivages bordés de marais et de mauvais arbres présentent au voyageur une triste image. Arrivés sous les murs de Valence le gouverneur ne voulut pas nous y laisser entrer, pour prendre ce dont nous avions besoin. Nous couchâmes à Cervesine, mauvais village où, après avoir longtemps cherché, Ferrand et moi trouvâmes un bourgeois qui nous reçut très bien.
Le 15, le peuple nous accompagna jusqu’au fleuve en s’attendrissant sur notre sort. II devait sans doute cet acte de religion à son curé qui était un brave homme.
Nous fîmes à Minuto le débarquement le plus dangereux à cause de la boue dont on ne pouvait sortir. C’est un mauvais bourg presque ruiné par les débordements du Pô, surtout par le dernier qui était le plus considérable qu’on eût jamais vu. Après avoir traversé beaucoup de dangers et essuyé bien des peines nous arrivâmes à une mauvaise auberge dont les eaux étaient à peine écoulées et nous couchâmes plus de 80 personnes sur les carreaux d’un petit appartement. Mademoiselle Sielve
12 Sorte de bac qui se déplace par la force du courant le long d’un câble tendu d’une rive à l’autre.
donna à ma prière une paire de bas et 6 frs à un curé pauvre et malade. Ferrand avait déjà laissé tomber son parasol dans le Pô et moi en riant j’y jetai un liard pour imiter disais-je, son désintéressement.
Le 16 en sortant, un lièvre que je vis dans le chemin me fit bien courir inutilement. Nous arrivâmes la matinée à Plaisance où pour déjeuner l’on nous écorcha. La monnaie y est d’un taux très faible et ennuyeux. La ville est agréablement située sur les bords du Pô, très vaste, ornée de superbes palais, mais dépeuplée. L’on voit deux statues équestres qui n’ont rien de beau ; 1’une est d’Alexandre Farnèse. La cathédrale, avec une église souterraine soutenue par des colonnes de marbre mérite d’être vue. Aux théâtins il y a une croix à la fresque, saillante d’une manière merveilleuse de sorte qu’on croit qu’elle va tomber de quelque côté qu’on la regarde. Le couvent des Chanoines Réguliers de St Augustin est très vaste, leur église est d’une richesse et d’une architecture inconcevables ; à la sacristie il y a un chef d’oeuvre de sculpture qui en trois pièces de bois représente tous les mystères de la vie de J.-C. Le réfectoire est trop beau et trop riche.
Nous fûmes dîner et coucher chez les prêtres de la Mission , appelés en France Lazaristes. Leur maison est un palais superbe, immense, fondé par le Cardinal Albéroni dont le tombeau est dans l’église qui est très belle. L’on y entretient gratis 50 jeunes clercs. Ces messieurs nous comblèrent de toutes sortes d’honnêtetés et nous donnèrent pour le voyage et provisions et argent.
Le 17, nous passâmes par Pontemura, Cassadio, Fiarenzota et couchâmes à Borgo San Domino, petite ville épiscopale où nous payâmes très cher et fûmes très mal.
Le 18, nous passâmes à Castelgnelfo, Palazzo. Fraore et Parme, ville bâtie sur la rivière du même nom. Il y a un beau pont ; les rues sont droites. L’on y admire le palais et les jardins du duc. Un ancien baptistaire de marbre est remarquable. Le peuple paraissait touché de notre sort. À St liaire on passe la Lence sur un pont qui sépare le Parmesan d’avec le Modenais. Nous couchâmes à Cello.
Le 19, en entrant à Reggio, ville charmante, nous reçûmes toutes sortes de politesses. Les citoyens sont les plus humains que j’aie rencontrée dans le voyage et les environs de la ville les plus agréables. L’on y voit le tombeau de St Prosper. À la Rubière , l’on admire un pont de 9 arcades fait de briques sur la Medola. À la porte de Modène l’on nous apprit le singulier édit qui permettait aux français à cheval de s’arrêter dans la ville et le refusait à ceux qui étaient à pieds. I1 fallait donc nous contenter de la traverser. C’est une ville considérable située dans la plaine et bien fortifiée, Le duc fit payer nos dépenses dans une auberge hors des murs. La noblesse qui nous y vint voir nous fit mille honnêtetés.
Le 20, j’admirai le superbe pont que le duc faisait bâtir sur le Panaro qui divise son duché de l’état ecclésiastique. Depuis Plaisance le peuple est doux, les chemins bien faits, le terrain fertile et ordinairement en plaine. Les vignes comme dans le reste de l’Italie sont élevées sur les arbres.
Nous passâmes auprès des murs de Fort-Urbain à Castelfranco, nous fûmes édifiés de la dévotion du peuple qui priait pour la France dans l’église de St Nicolas. Nous dînâmes à Samogia où l’on nous traita mal et nous fit payer fort cher.
Avant d’arriver à Bologne nous rencontrâmes trois Jésuites qui nous réjouirent beaucoup en nous apprenant que le Pape nous recevrait et nous donnèrent en pleurant sur notre sort quelques pièces de monnaie. Nous logeâmes à l’auberge fort mal et fort cher. Les deux Messieurs Maillaguet qui, ne pouvant plus marcher avaient pris une voiture à Reggio, arrivèrent le soir. Le lundi ils furent placés avec Crozier chez M. Zanoni et Ferrand et moi à l’hospice de St Blaize où nous avons demeuré un mois mal logés et assez mal nourris aux dépens du Cardinal Archevêque Camaldule.
Bologne est une ville fort grande et bien peuplée, bâtie dans la plaine au bas des montagnes, commode par ses portiques et remarquable par le nombre et la beauté des palais dont cependant les portes sont grossières. Les rues sont irrégulières excepté celle du Cours. Il n’y a qu’une place devant le palais public et encore elle est fort petite : le Neptune en bronze qui est au milieu est digne d’être vu quoiqu’indécent. Les deux tours qui sont auprès de la statue en marbre de St Pétrone sont admirables l’une par sa hauteur, l’autre par son inclinaison de deux côtés. L’église de St Pétrone est un chef-d’oeuvre d’architecture, mais elle n’est pas ornée ; celle de la Mission est magnifique, surtout par ses tableaux ; celle des Dominicains où l’on voit le tombeau de St Dominique est vaste et riche. La Cathédrale est belle mais mal située.
La Ste Vierge de St Luc sur la montagne de la garde, à une lieue de la ville est une merveille l’on y voit toujours à couvert sous un portique qui a 636 arcs. J’ai été enchanté des beautés de l’Institut en tout genre. L’installation du gonfalonier n’est pas moins curieuse et rappelle les usages des anciens rois auxquels on portait en nature tout ce qui leur était nécessaire. Les femmes ne peuvent sortir que voilées. Les seigneurs et les dames venaient à l’hospice pour nous servir à table et nous apportaient le café et des liqueurs. J’ai été deux fois dîner chez la princesse Latour-Tanis et une fois chez M. Kourigher, capitaine suisse. Les Jésuites, comme tous ceux que nous avons rencontrés dans le voyage, nous ont fait tout le bien qui dépendaient d’eux.
Le 17 novembre, ayant reçu notre destination pour Femno, nous fûmes forcés de partir et de laisser Rouchon malade à l’hôpital. Nous primes une petite et mauvaise voiture où nous devions entrer tour à tour. Je n’eus pas marché une demi heure que j’eus les pieds tout écorchés, ce qui m’a fait souffrir pendant plusieurs semaines des douleurs incroyables. Nous couchâmes à Immola, ville petite mais charmante par sa situation.
Le 18, nous passâmes à Fayence, ville petite mais aussi agréablement située. Je dis la Messe à liorli, ville assez grande et bien bâtie. Il y a au milieu une belle place. Nous ne fîmes que traverser Cesene, ville qui me parut bien irrégulière. C’est la patrie de Pie VI dont on voit une statue en bronze adossée au palais de son neveu. Nous couchâmes à Saviniano bourg considérable. Des femmes servaient dans l’auberge, contre l’usage de l’Italie.
Le 19 nous passâmes par St Arehangeto Rimini et Pezaro ; ces deux villes sont situées sur les bords de la mer Adriatique ; la première est vaste et irrégulière : elle est fameuse par le faux concile qui s’y tint du temps des Ariens. La seconde est agréablement située sur des collines. Les rues sont belles ; il y a dans une place un superbe jet-d’eau en forme de calice. Avant d’arriver à Pezaro nous dînâmes à la Catholica , petit bourg ainsi nommé parce que quelques prêtres du Concile de Rimini s’y arrêtèrent pour protester contre la violence. Nous vînmes coucher à Fano où je faillis à me tuer par une rude chute que je fis en descendant de carrosse. La ville est considérable, mais malsaine par rapport aux eaux croupissantes.
Le 20, nous dînâmes à Senegaille, belle ville qui s’agrandit tous les jours. Elle a un port et est célèbre à cause de la foire de Juillet. Le cardinal Honorati jadis Nonce en France nous accueillit bien ? Nous vînmes coucher à Ancône, ville assez grande, bien peuplée et adossée à une haute montagne. Les maisons sont assez belles, mais les rues sont étroites et irrégulières. La porte de Pie VI et sa statue de marbre blanc méritent d’être vues. Le port qui est assez grand est ce qu’il y a de plus remarquable avec l’arc de Trajan.
Le 21, après avoir dîné à Camerano, gros bourg sur le mont d’Ancône, nous arrivâmes à Lorette. C’est une très petite ville située sur une petite montagne et ayant un faubourg très joli : elle est assez bien fortifiée et est fameuse par la maison de la Ste Vierge que l’on dit y avoir été apportée par les Anges. La basilique n’a rien de surprenant dans son architecture ; l’on y voit plusieurs beaux tableaux, comme ceux de St François et de la Visitation ; la Ste Vierge peinte par Raphaël d’Urbin est admirable ; la Sainte Maison est au milieu de l’église ; elle est fort petite et bâtie de briques ; elle est revêtue au-dehors de marbre blanc sur lequel on voit les statues de la sculpture la plus parfaite, celle de Jérémie, par exemple. L’or et l’argent sont ce qu’il y a de moins précieux dans le trésor qui est sans contredit le plus riche et le plus respectable du monde catholique le baptistaire, la statue de Sixte-Quint et les trois portes de la cathédrale, le tout en bronze, sont des chefs-d’oeuvre, surtout les portes qui représentent en superbe bas-relief, les principaux traits de l’histoire ancienne de 1’Eglise. Les pèlerins sont logés et nourris par la Santa Casa qui est éminemment riche. Le pénitencier français nous fit jouir de cet avantage.
Le 22, nous partîmes à une heure après minuit. Nous ne nous arrêtâmes pas au port de Fermo qui est bien peuplé et dont les rues sont larges et droites. Nous montâmes tout de suite à la ville de Fermo où nous arrivâmes heureusement deux heures avant quatre Auvergnats qui furent par conséquent plus mal placés que nous. La ville de Fermo est adossée à deux côtés d’une montagne à la cîme de laquelle est la cathédrale nouvellement bâtie et assez belle. Sa population est médiocre ; il y a quelques beaux palais, mais son ensemble est affreux. Le même jour nous fûmes envoyés, Ferrand et Rébier à Montefiore et Crozier et moi à Monte Rubiano. Il était autrefois considérable et bien fortifié, mais aujourd’hui il est réduit à 3 ou 4 mille âmes. J’ai été placé chez les Pères Cordeliers qui me traitaient fort bien. L’air y est vif à cause de l’élévation et du voisinage de la mer ; le pain, le vin, le poisson et l’eau y sont délicieux. L’horizon est des plus vastes : au levant la mer et au couchant les Apennins ; au midi l’Abruzze dans le royaume de Naples et au nord toute la Marche d’Ancône. Le peuple est pauvre et ne se nourrit jamais que de mauvais grains ; les hommes sont paresseux et sans industrie ; les femmes sont grossièrement habillées et ont beaucoup de la peine. L’on n’a d’autre commerce que de vendre le vin et le froment qui y sont assez abondants, cependant beaucoup moins que dans l’autre partie de la Marche qui est très fertile.
Le 10 de décembre au soir l’on est ravi d’admiration de voir cette province très grande tout illuminée en l’honneur de la Ste maison de l’Annonciation que l’on croit y être arrivée à cette époque.
La capitale de la marche est Macerata, petite ville située agréablement sur une élévation, bien peuplée et assez bien bâtie. À quelques lieues de Macerata l’on trouve Reccanatti, petite ville mal située. La plus jolie ville de la Marche est Ascoli ; elle confine avec la royaume de Naples ; elle est vaste, en plaine, bâtie en pierre, tandis que partout ailleurs on bâtit avec des briques qui coûtent beaucoup ; l’on y voit de superbes ponts sur le Tronte ; sa situation cependant n’est pas des plus avantageuses à cause des montagnes qui l’entourent. Je m’y trouvai à la fête de St Philippe de Néri. La musique fut très bonne et la tapisserie et l’illumination formèrent un spectacle ravissant. Je ne parle pas de la Ripe parce que c’est une ville petite mal bâtie et horriblement située […. ?]
[Voyage de retour]
Je suis parti de Monte Rubiano le 24 avril 1797 pour aller à Rome et de là en France avec Messieurs Ferrand et Crozier. Nous avons pris la route Flaminie. J’ai vu Tolentin petite ville fameuse seulement par le tombeau de St Nicolas et surtout par la paix récemment conclue entre le Pape et la République française, par les plénipotentiaires, le Cardinal Mattei le duc Braschi, etc… d’une part ; et de l’autre, le général Bonaparte et M. Cacaud.
L’on traverse les Apennins dans un chemin bien tracé à la cime des montagnes, l’on trouve une vaste, belle et riche plaine ; à coté il s’y trouve un étang.
Foligne est une ville médiocre en tout, mais située dans une charmante plaine et très fertile. Spolète, petite ville, mais fameuse pour avoir arrêté l’armée d’Annibal qui voulait traverser les Apennins, est adossée à une montagne. Il y a quelques beaux palais ; mais ce qu’il y a de bien digne d’être vu est un pont extrêmement élevé et long qui unit deux montagnes et conduit dans la ville suffisamment de l’eau pour ses besoins après avoir fait aller deux moulins. L’on y voit le fameux hermitage de N.D. de Grâces. Cerni est petite et mal bâtie. Marni est monteuse et irrégulière ; l’on y voit une superbe fontaine dans une ridicule place. Depuis Foligne l’on trouve des forêts d’oliviers. Les montagnes sont couvertes de bois, surtout de chênes verts. Après avoir passé la montagne Di somma on descend par des collines bien cultivées, les Apennins qui durent depuis Tolentin. Au-dessous d’Autrieole s’unissent le Tibre et la Noire rivière considérable qui forme à quelque distance de Terni une cascade renommée dans tout le monde. L’on passe le Tibre sur un très beau pont de pierre de Sixte-Quint, avant et après l’on traverse des pays déserts et marécageux. Civita Castellane l’ancienne Veres et que les Romains ne purent jamais prendre que par famine est petite ; elle est défendue par une forteresse et entourée d’un fossé naturel très profond. Ses environs sont d’agréables collines, mais presque stériles et dépeuplées. A quelque distance l’on voit le mont Socrate où s’était caché St Sylvestre quand Constantin l’envoya chercher pour être guéri de 1a lèpre. Il s’y trouve un couvent de Camaldules et des hermitages ; il est très élevé et absolument nu. Jusqu’à Rome l’on trouve les campagnes incultes et dépeuplées ; les femmes renversent leur jupon pour entrer à l’église.
J’arrivai à Rome le premier mai 1797. Ses environs sont presque abandonnés. L’on passe le Tibre sur le pont Molle, ouvrage de Mylvins et puis réparé par Nicolas 5 jusqu’à la porte du peuple qui est la plus belle de Rome. L’on trouve un chemin droit et commode ; l’on voit un superbe obélisque d’Egypte au milieu d’une place ; là commencent trois belles rues à droite Ripete qui conduit à un petit pont sur la Tibre ; à gauche St jacques et au milieu celle du cours très longue, large et où l’on voit les plus beaux palais. Près de cette porte la ville Borghèsie offre au voyageur tout de que la nature et l’art peuvent faire de beau en tableaux, en statues, en bas-relief en promenades, jets-d’eau, jardins, etc… Le palais Colonne dans la ville n’est pas moins beau ni riche. L’ancien Capitole n’est plus reconnaissable : la façade du palais et celle des deux petits palais collatéraux sont belles. Au milieu se trouve la statue équestre de Marc-Aurèle, le cheval paraît être animé ; l’on ignore où se trouvait la fameuse roche Tarpéienne. Dans le champ Vachin l’on voit quelques colonnes du temple de la Concorde , la colonne des Comices, l’arc de Septime-Sévère, l’église de St Pierre aux Liens où il fut emprisonné avec St Paul ; la Rotonde est l’ancien panthéon d’Agrippa. Il y a des autels en beau marbre tout autour : le haut de la voûte est ouvert; les colonnes du portique sont hautes, grosses et de granit ; l’église de St Louis des Français est brillante par son marbre, ses tableaux et la dorure de la voûte ; celle de St Charles au cours ne lui est pas inférieure ; celle du Jésus est admirable, surtout la chapelle de St Ignace où le porphyre, le vert antique, le bronze, l’agate, l’or, les pierres précieuses s’y trouvent abondamment. L’on ne peut se lasser d’admirer la Religion en marbre blanc qui foudroie le schisme et l’hérésie. Un peu plus loin l’on voit les trois derniers arcs d’un temple de la paix fini par Vespasien et l’arc de Tite où l’on voit en bas-reliefs les ornements du temple de Jérusalem qu’il avait enlevés. À quelques pas l’on voit l’arc de Constantin le Grand que lui érigea le peuple romain en mémoire de sa victoire sur Maxence. Ces quartiers étaient autrefois les plus peuplés ; aujourd’hui ils sont presque déserts et beaucoup plus élevés par les débris successifs. Le Colysée ou amphithéâtre de Tite et Vespasien est le plus beau monument de l’antiquité. La colonne de Trajan près du Capitole et celle d’Antoine à la place Colonne m’ont étonné par leur hauteur et la beauté des sculptures qui les couvrent entièrement.
Le Mausolée d’Octavien Auguste, quoique presque ruiné, mérite d’être vu à cause de sa grandeur. Aujourd’hui on y bâtit un superbe amphithéâtre. Le château St Ange autrefois le tombeau d’Adrien est une assez bonne forteresse : le pont sur le Tibre qui porte son nom et qui y conduit est très beau ; l’on y voit douze statues de marbre blanc.
Hors de la ville sur la route Appienne, l’on voit la basilique de St Sébastien, et le cimetière de St Calixte autrement Catacombes où les Chrétiens se cachaient pendant les persécutions ; ce sont des souterrains qui ont plus de quatorze lieues. Dans les environs j’ai vu avec plaisir la fontaine de la nymphe Egérïe dont Numa se disait l’interprète, le tombeau de Cécile Metelle femme de Crassus ; c’est une large et haute tour bien conservée ; le cirque de Caracalla ; l’église de St Paul très vaste et bien remarquable par ses nombreuses et grosses colonnes de porphire et de granit ; c’est là où fut martyrisé et enterré St Paul. À la porte de Caüs Sextus ; c’est une pyramide carrée très haute et couverte de marbre blanc.
L’église de St André-La-Valle est vaste et toute décorée de peintures des meilleurs maîtres. Sa coupole passe pour une des meilleures de Rome.
Aux quatre fontaines l’on découvre 4 rues larges et longues : l’une conduit au mont Cavallo, autrefois mont Quirinal, c’est là qu’habite le Pape dans l’été ; les palais y sont magnifiques ; le jardin est immense, bien distribué, orné de belles statues et de jets-d’eau de tous les côtes ; l’on y voit une fontaine admirable
à force d’être champêtre ; les fleurs, les orangers et autres fruits y abondent ; l’air y est excellent parce que c’est un lieu qui domine la ville; au milieu de la place il y a un bel obélisque et à côté des statues colossales et deux cheveux de marbre blanc que l’on ne peut trop regarder.
L’autre rue descend aux minimes français ; l’église a de beaux tableaux ; il y a devant l’église un obélisque, l’escalier qui va à la place d’Espagne, ouvrage de Louis XV, est magnifique.
La troisième conduit à St Marie Majeure, grande église, soutenue par 36 colonnes de marbre blanc et 4 de granit ; les tableaux, les peintures, le pavé en mosaïque sont très beaux.
Enfin la quatrième conduit à la porte Pie. Avant d’y arriver l’on trouve la fontaine de Termini, de Sixte-Quint, remarquable par la quantité d’eau qui sort de trois ouvertures. Dans la niche du milieu, Moise, statue colossale, commande au rocher. Dans les deux autres, en bas-reliefs, Aaron fait boire le peuple et Gédéon choisit ses soldats. Les colonnes sont de granit ; les bassins de marbre blanc ; deux lions de porphyre et deux autres de basalte. La fontaine à St Pierre Montorio st la plus abondante de Rome : ce sont trois torrents qui tombent dans un vaste bassin de marbre blanc ; l’on y voit six belles colonnes de granit. C’est Paul V qui fit réparer les aqueducs d’Auguste qui viennent de plus de 14 lieues.
La fabrique de mosaïques est une chose merveilleuses ; l’on forme les plus beaux tableaux avec des pierres. La bibliothèque de la Minerve est assez belle et nombreuse ; il y a au milieu de la place un petit obélisque sur le dos d’un éléphant. La place Navone est une des plus belles de Rome; au milieu est une grande fontaine en forme de rocher, dans le bas l’on voit un lion et un cheval, et aux quatre côtés quatre figures colossales représentant les 4 fleuves du monde ; à la cime du rocher s’élève un obélisque ; aux deux extrémités de la place sont encore deux belles fontaines. Le palais Doria fait une façade au milieu de laquelle s’élève l’église de Ste Agnès, admirable par ses bas-reliefs et surtout par sa statue en marbre blanc qui la représente dans les anciens lupanares lorsque Sympronius voulait la séduire.
La fontaine de Trévi est la plus belle de Rome soit par l’abondance de l’eau, soit par sa salubrité, soit par le bassin où elle tombe, soit par les statues, les tritons, les chevaux et les bas-reliefs, le tout en marbre, qui l’ornent, soit enfin par l’art employé pour former un rocher naturel d’où l’eau sort de toutes parts. C’est un spectacle ravissant.
La fontaine de la place d’Espagne en forme de barque et celles de la place Fornèse qui sont deux jetsd’eau qui retombent dans de superbes bassins de granit sont dignes des curieux. En général Rome est admirable par la quantité et la beauté de ses fontaines ; à chaque pas l’on trouve l’eau de source.
La colonne qui est devant la belle façade et sur laquelle est la Ste Vierge en bronze est haute et bien conservée.
St Jean de Latran est la première église du monde ; la façade est de Travertin et bien majestueuse ; elle a 5 nefs ; le pavé est de mosaïque ; l’on y voit les statues colossales en marbre blanc des 13 Apôtres dans autant de niches soutenues par deux colonnes de vert antique ; la voûte est dorée ; la chapelle Corsini est superbe. C’est Constantin le Grand qui a fait bâtir cette église réparée et augmentée depuis par plusieurs Papes ; le baptistaire qu’il fit construire est de figure ronde et à deux étages ; le 1er est soutenu par huit colonne de porphyre et le second par huit de marbre blanc. Le palais papal est vaste et beau. Â côté l’on voit l’échelle que J.C. monta lorsqu’il fut conduit chez Pilate. La basilique de Ste Croix de Jérusalem n’a rien de beau que huit colonnes de granit égyptien et un gros morceau de la vraie Croix trouvée par Ste Hélène dont la chapelle est souterraine. La Chartreuse est sur les bains de Dioclétien dont on voit les ruines. La régularité de la croix grecque, les tableaux des meilleurs peintres, le pavé en marbre symétrisé font regarder l’église comme une des plus belles de Rome.
L’église de St ignace est bien brillante ; les chapelles de l’Annonciation et de St Louis de Conzague sont très riches par leur-, bas-reliefs, leurs colonnes de porphyre ; l’urne de Lapis Lazulli de St Louis de Conzague, etc…
La place de St Pierre au Vatican a dans sa totalité 1274 pieds ; son portique a deux ailes est formé de 284 grosses colonnes de travertin et 88 pilastres faisant trois galeries. Au milieu de la place s’élève un obélisque qui a en tout 124 pieds . Aux deux côtés il y a deux fontaines qui jettent une grande quantité d’eau dans deux vastes bassins de granit oriental. Sur la balustrade du portique il y – a 192 statues colossales. L’escalier pour arriver à l’église ne pouvait être plus doux et plus élégant. Cette basilique fut bâtie par Constantin le Grand sur le cirque de Néron ; mais différents pontifes l’ont entièrement changée. La façade à la cime de laquelle sont les douze Apôtres et J.C. en statues colossales surprend par la beauté de son architecture. On entre par cinq portes dans le portique doré large de 39 pieds et long de 448. Au deux extrémités l’on voit les statues équestres en marbre blanc de Constantin et de Charlemagne.
À ces cinq portes répondent les cinq portes de l’église ; celle du milieu est de bronze et ornée de basreliefs. La longueur de cette église est de 569 pieds ; la largeur de 85 et la hauteur de 140. La voûte est richement dorée: elle a trois nefs formant une croix grecque ; le baldaquin de la Confession de St Pierre et les quatre colonnes qui le soutiennent sont de bronze doré ; sous l’autel est enterré St Pierre ; il y a 112 lampes allumées ; il faut à peu près demi-heure pour monter à la coupole qui contient 14 hommes. Les statues colossales, les bas-reliefs, les tableaux, les peintures, les mausolées, les marbres, le bronze, l’or et l’argent, en un mot ce que la nature et l’art ont de plus précieux se réunit dans ce magnifique temple qu’on ne peut se lasser d’admirer.
Le Vatican que l’on dit commencé par Constantin le Grand, mais beaucoup augmenté et embelli par différents Papes est un palais immense et magnifique. La bibliothèque est admirable dans ses peintures et son architecture, mais bien riche par les originaux et manuscrits des meilleurs et des plus anciens ouvrages. L’on y voit avec autant de respect que de plaisir les différents instruments dont on se servait pour exécuter les chrétiens et ceux dont se servaient les chrétiens dans leurs cérémonies. Le musée est merveilleux parce qu’il renferme dans un ordre qui enchante les beautés et les richesses antiques et modernes en matière de beaux-arts ; quand je l’ai vu, ainsi que la bibliothèque, la République française en avait enlevé les objets les plus précieux.
L’hôpital du St Esprit quoique vaste est trop bas et les malades y sont indécemment et malproprement. L’air de Rome est mauvais parce qu’elle est bâtie sur des débris et traversée par le Tibre dont l’eau est toujours trouble ; ses murs ont à peu près 6 lieues de circonférence ; il y en a une grande partie sans maisons et où il y en a la population ne répond pas à leur étendue. Rome a à peu près 15000 habitants. Le Cours est brillant les dimanches etc… Une chose digne d’être vue est le tombeau des Capucins.
Je suis parti de Rome le 17 Mai 1797 pour aller à Florence. Jusqu’à la Monte Rosi village agréablement situé sur une colline et éloigné de Rome de presque 9 lieues, on ne trouve que des campagnes autrefois très florissantes qui sont aujourd’hui entièrement dépeuplées. À côté il y a un petit lac.
Loncillon est une petite ville : après avoir monté et descendu une assez haute montagne, on trouve Viterbe ville assez grande ; il y a dans une petite place une fontaine à plusieurs jets. J’ai vu avec autant de plaisir que de vénération Ste Rose dont on conserve le corps tout entier dans l’église des Dominicaines. À quelque distance l’on voit un petit étang dont l’eau bout toujours. Monte Fïaseone est renommé par son bon vin elle est située sur une haute montagne. Botsène est un gros bourg sur le lac qui porte son nom. Ce lac est assez grand. Aqua pendente est une longue et pauvre ville. À Ponte Centino finit l’état du Souverain-Pontifs. Les frontières de la Toscan sont montueuses et arides ; les routes quoique bien entretenues sont mal tracées ; la première douane est à Redicofani, montagne très élevée autrefois bonne forteresse et qui n’est aujourd’hui qu’un mauvais village.
À mesure que l’on approche de Sienne, les vallons deviennent beaux et fertiles. Sienne est une ville longuement étendue sur une charmante colline: sa population ne répond pas à sa grandeur. L’on y admire les marbres noir et blanc dont est bâtie la cathédrale, et une haute tour dans une grande place. Son pavé partie en mosaïque, partie en marbre sur lequel on a gravé des sibylles, des combats, etc… Les environs sont délicieux le caractère des habitants est très doux, leur langage est le plus pur de toute l’Italie ; le pain, le vin, l’eau, l’air y sont excellents.
Jusqu’à Florence l’on trouve très souvent de beaux villages ; les campagnes sont riantes et bien cultivées. Cette ville est située dans une plaine traversée par l’Arno sur lequel on a bâti quatre ponts et entourée de charmantes collines qui sont couvertes de belles maisons de campagne. Elle est grande très peuplée et très commerçante ; les habitants sont doux et honnêtes mais ils ont une mauvaise prononciation. La Cathédrale est revêtue de marbre de toutes sortes de couleurs, comme aussi une tour carrée et très élevée qui est à côté. L’intérieur de l’église à trois nefs, est pas orné ; devant la façade l’on voit le baptistaire octogone tout de marbre blanc et noir, les statues des douze Apôtres en marbre et la coupole peinte en mosaïques. À St Laurent la chapelle des Médicis quoique pas encore achevée vous présente le spectacle le plus magnifique soit par la délicatesse de l’ouvrage. La galerie publique n’est pas moins admirable dans ses bustes, statues, tableaux et surtout ravi d’y voit les portraits de tous les peintres faits par eux-mêmes. Les rues sont larges, longues, droites et toutes pavées de pierres plates. Dans la grande place il y a la statue équestre de Cosme Médicis en bronze et celle de Ferdinand 1er dans une autre place. J’ai vu avec grand plaisir travailler le marbre et l’albâtre. Le cabinet de physique est ce qu’on peut voir de plus complet et de plus riche en trois genres. Le palais Pitti où habite le grand duc surprend par sa forme extérieure, par la richesse des appartements, ses peintures, etc. Son jardin qu’on appelle Boboli renferme des prairies, des vignes, des vergers, des labyrinthes, des île pleines d’orangers, des volières, des fleurs, des jets-d’eau, des plantes étrangères, des allées très longues en chêne-vert, des bustes, des statues, des pavillons. C’est un ensemble merveilleux. L’on voit toutes les belles choses à Florence sans rien dépenser, tandis qu’à Rome l’on ne peut satisfaire la plus petite curiosité si l’on ne donne trois pôles, c’est-à-dire 33 sols. Toutes les paysannes portent des chapeaux comme les hommes mais élégamment ornés de rubans. L’autel de la chapelle du grand duc est riche en marbre de toutes les qualités. Le Cours de Boulogne et celui de Rome ne sont rien en comparaison de ce que j’ai vu à Florence le jour de l’Ascension, la multitude, la richesse et l’élégance des carrosses ; j’y ai vu le grand duc, la duchesse et ses enfants.
Je partis le 27 de Florence et m’embarquai sur l’Arno jusqu’à Pise qui en est traversée. Ses bords sont délicieux et bien cultivés. Pise est assez grande mais dépeuplée il y a trois ponts sur 1″Arno dont l’un est de marbre. La Cathédrale a cinq nefs et est revêtue en dehors de marbre. Les portes en sont de bronze ; d’un côté l’on admire le baptistaire, de l’autre la tour assez élevée et inclinée. L’un et l’autre sont ornés de colonnes ; le champ saint est admirable par son architecture. Les palais et les rues le long de l’Arno forment un beau spectacle. L’on fait venir l’eau par un joli canal. Je partis de Pise le premier jour sur le beau canal qui conduit à Livourne ; cette ville n’est pas bien grande ; mais sa population est immense ; il y a une belle place au milieu de laquelle passe une rue large et très commode. L’on fait venir les vaisseaux dans la ville par le moyen d’un canal qui entoure les remparts. Dans la place qui conduit au port l’on admire une statue de Cosme Médicis en marbre blanc qui enchaîne quatre Maures en bronze. Ut multitude de vaisseaux fait du port une forêt et de la ville le centre du commerce de l’Italie. Les environs sont ornés d’un très grand nombre de superbes maisons qui forment des gros bourgs. La ville est très bien bâtie. Le champ saint, c’est-à-dire le cimetière, est un grand carré en portiques superbes, aux angles duquel il y a quatre coupoles et quatre églises. Le caractère des Livournais est doux et honnête.
Je m’embarquai le 11 pour Marseille sur un vaisseau gênois ; le 12 nous nous arrêtâmes au port de Venus qui est au commencement du golfe de la Spezia ; ce golfe est très vaste et serait le meilleur port de toute la Méditerranée s’il était entretenu ; le 13 le vent contraire nous obligea de relâcher à Gênes. Depuis Port Venus jusqu’à Gênes le rivage de la mer est couvert de superbes villages et d’oliviers. Gênes est situé au pied des montagnes assez élevées et dont la cime est aride. La ville est grande et forme un amphithéâtre ; les palais sont magnifiques ; mais les rues sont généralement étroites, irrégulières et obscures à cause de la grande élévation des maisons. L’église de l’Annonciation à trois nefs est belle et riche à raison de ses colonnes de marbre ; le pont de Carignan est remarquable par sa hauteur extraordinaire et la hardiesse de la voûte. L’église de Carignan à trois nefs est belle ; l’orgue et quelques tableaux méritent d’être vues. Le port est très vaste et forme un demi-cercle mais peu à l’abri des ventes ; les deux môles qui en rétrécissent l’entrée forment un beau spectacle ; le nombre des vaisseaux qui y sont est innombrable. Les environs de la ville sont ornés de palais à amphithéâtre ; ceux de la ville sont magnifiques à cause de marbre et des peintures qui les embellissent. Je fus témoin de la Révolution de Gênes ; le 14 le doge fut obligé de donner sa démission ; l’on brûla le livre d’or ; le lendemain an planta plusieurs arbres de liberté ; on renversa les armoiries des nobles ; il y eut des festins publics ; de toutes parts on criait » EVIVA « , le caractère des Génois paraît dur ; en général ont mauvaise mine. La Cathédrale est très riche en marbre ; elle a trois nefs ; l’église des Jésuites à trois nefs est remarquable par l’élégance et la richesse des marbres. Le jardin de Doria est très agréable ; la N – ille est très bien fortifiée.
Après avoir demeuré 8 jours à Gênes dans l’ennui et l’inquiétude, je me déterminai à ne plus m’embarquer sur 1e vaisseau gênois, à cause des Algériens qui infestaient la mer ; le capitaine y consentit ; mais, de dix écus que je lui avais donnés pour me rendre à Marseille, il en retient 7. Alors je m’adressai à un capitaine français ; nous convîmes de prix ; mais quand nous allions prendre les certificats de santé, l’on nous dit qu’on ne pouvait nous les donner qu’après que nous aurions présenté au consul français nos passe-ports et fait vérifier notre sortie de France. Cela était impossible, nous prîmes la résolution de nous embarquer seulement pour Lanquille, espérant d’y trouver meilleure fortune. Nous devons partir cette nuit du 20 juin. Le même soir un courtier nous promit pour le lendemain et nous obtint à prix d’argent des certificats de santé pour Marseille. Pendant ce temps nous nous procurâmes du consul du Pape des passe-ports pour l’Espagne ; alors le capitaine de notre bâtiment prit sa destination pour Marseille ; mais le vent contraire, la pluie, les brouillards et un froid extraordinaire pour la saison qui nous avaient déjà tant fait séjourner à Livourne, nous retinrent jusqu’au soir du 23 que nous nous embarquâmes ; mais nous ne sortîmes du port que le lendemain, jour de la St Jean. Les rivages de la mer sont bien peuplés et les maisons bien bâties, jusqu’à Vintimille, frontière de la République de Gênes. C’est une chaîne de montagnes dont la cime est aride ; les collines sont couvertes d’oliviers ; il y a très peu de blé et de vin dans tout l’état. Je vis avec plaisir les frontières de la France à Manton. Nous passâmes devant Nice dont les environs paraissent agréables. À trois lieues de là nous trouvâmes Antibes où nous débarquâmes le 26. C ‘est une petite ville très bien fortifiée ; son port quoique petit est charmant ; la campagne bien cultivée et produit de l’huile, du vin et du blé. La municipalité nous accueillit bien et le peuple paraissait s’attendrir à notre sort. Le vent contraire nous y retint jusqu’au premier juillet ; la veille nous allâmes voir le pont français sur le Var : il a 204 arches en bois. Nous nous rembarquâmes le ler juillet. Le vent contraire nous força de passer la nuit suivante dans le golfe de Napoule ; les côtes depuis Antibes jusqu’à Marseille sont montueuses et stériles. Nous arrivâmes à Marseille le 4 à midi ; nous étions 28 ; nous fûmes conduits au Comité central ; les premiers qui se présentèrent furent trouvés en règle ; mais l’imprudence de deux confrères nous fit condamner à être détenus dans une des salles et conduits au Tribunal criminel d’Aix ; les administrateurs nous traitèrent avec douceur. Après notre interrogation qu’ils firent à notre avantage ils nous firent boire 4 bouteilles de bière ; nous couchâmes sur les carreaux ; plusieurs personnes vinrent nous visiter, nous offrir leurs services et nous apporter des vivres. L’entrée du port est difficile et bien fortifiée ; le port est dans la ville ; il est vaste, long et entouré d’un beau quai. Je n’ai vu qu’une petite partie de Marseille qui est très grande. Quelques rues et surtout les Cours sont superbes ; les environs sont charmants, mais à quelque distance se voient des montagnes arides.
Le 5, six gendarmes nous conduisirent à Aix sur deux charrettes. Les campagnes sont agréables et couvertes de vignes, oliviers, blé, arbres fruitiers. Nous fûmes traduits en prison. À peine le sut-on dans la ville que tout le monde s’empressa de nous visiter, de nous envoyer des matelas et des draps. I1 n’est pas possible d’exprimer combien l’on s’intéressa à notre sort et combien de zèle l’on avait pour accélérer notre élargissement. Le 7 nous eûmes un interrogatoire amical ; la nuit du 9, les prisonniers tentèrent de s’échapper, ce qui effraya beaucoup. Le 10 nous fûmes condamnés à être conduits dans nos départements respectifs. Le 13, après de cruelles incertitudes, les gendarmes nous prirent au commencement de la nuit et nous accompagnèrent quelques pas ; nous fûmes tout de suite logés chez différents bourgeois. Je fus placé chez Melle Grégoire qui me combla d’honnêtetés.
Aix est dans une situation agréable et entouré de belles montagnes à amphithéâtre. L’on y voit de superbes palais les rues sont bien percées, le Cours est magnifique. Les eaux minérales sont remarquables par leur antiquité et leur quantité qui est toujours la même. La fontaine et son enceinte sont telles qu’elles furent faites par les Romains.
Le 18 nous partîmes pour aller à Beaucaire la chaleur excessive, la poussière nous firent beaucoup souffrir. La campagne est très agréable, n’étant qu’une suite de plaines et des collines bien cultivées ; de temps en temps l’on voit des montagnes où il n’y a que le rocher tout nu.
Nous arrivâmes à Tarascon le 19 au soir. C’est une petite ville où il n’y a rien de remarquable que l’église où l’on croit que Ste Marthe a été enterrée. L’on traverse le Rhône sur un pont de bateaux et l’on se trouve à Beaucaire, petite ville, mais tellement remplie de marchands et de marchandises pendant la foire que l’on ne peut s’y remuer. I1 y a encore des boutiques dans les environs qui forment une autre ville ; le fleuve était couvert de barques ; l’on ne se rappelle pas d’avoir vu autant de monde à la foire.
Nous partîmes le 30 après dîner pour Avignon où nous arrivâmes le soir. Depuis Tarascon jusqu’à Avignon c’est une vaste et riche plaine terminée au loin par des montagnes nues. À une lieue d’Avignon nous passâmes la Durance sur la traille ; c’est une rivière qui descend rapidement des Alpes, change souvent de lit et ravage par conséquent les campagnes. Avignon est une grande ville bien bâtie ; les remparts sont beaux et bien entretenus ; les promenades autour bien ombragées par des allées de tilleuls sont charmantes. On voit avec plaisir les restes du fameux pont bâti par St Bénézet.
Nous partîmes la nuit du 31 pour aller à Vaucluse. Jusqu’à Lille petite ville assez jolie, ce sont de riches et belles plaines ; après la campagne commence à devenir moins riante. Aux environs de Vaucluse ce sont des montagnes assez rapides mais assez bien cultivées. La fontaine sort tout à coup à gros bouillons d’un énorme rocher avec un fracas horrible ; elle est tout-à-coup navigable très limpide et forme la Sorgue qui, se, divisant aux environs des Lille en sept canaux arrose merveilleusement tout le Comtat ; nous déjeunâmes à la Source.
Nous partîmes d’Avignon le 22 : nous passâmes à Orange où nous vîmes l’arc de triomphe de Marius, à Montdragon au St Esprit, à la Pallu , à Donzières… à Montélimar… à Tain… Tournon, à Vienne, à St Symphorien et à Lyon où nous arrivâmes le 24 au soir.
Le 27 août, j’ai été envoyé missionnaire à Mornant dans le Lyonnais.
Le 25 mai 1800 je fus arrêté par la gendarmerie et conduit à Lyon où je fus traduit dans les prisons de St Joseph pour avoir refusé la » PROMESSE DE FIDELITE A LA CONSTITUTION « .
Le 5 juillet je fus mis en liberté, sous caution.
Depuis le 18 fructidor jusqu’à mon arrestation, j’avais exercé le ministère de nuit et encore avec beaucoup de peine et de dangers…
Périple de l’abbé J.-C. Souzy (1792-1797) – légende de la carte :
Aller: 1 St-Loup (69490) (Départ le 13 sept 1792). 2 St-Clément (St-Clément-sous-Valsonne). 3 Lyon. 4 La Guihotière. 5 St-Denis-de-Bron. 6 St-Laurent-de-Mure. 7 La Verpilière ( La Verpillière ). 8 St-Alban (St-Alban-deRoche). 9 Bourgoin. 10 Ruys. 11 Cessieu. 12 La Tour-du -Pin. 13 Les Abrets. 14 Le Pont-de-Beauvoisin (16 sept.). 15 Les Echelles. 16 Chambéry (17 sept). 17 Aix (Aix-les-Bains), 18 La Bâtie. 19 Le Chatelard. 20 Bellevan (Bellevaux) (24 sept.). 21 Col-de-Tamier. 22 Conflans. 23 Aigues Blanches (25 sept.). 24 Moutiers. 25 Fillette (26 sept.). 26 Aime. 27 St-Maurice (Bourg-St-Maurice) (27 sept.). 28 St-Germain. 29 La Tuile (28 sept.). 30 St-Didier. 31 Morget (Morgex). 32 La Salle. 33 Arviers (29 sept.). 34 Villeneuve, Château-de-Sarre (Château-de-Sarriod). 35 Aoste. 36 Valgrisanche (1 oct.). 37 Chambarve (La). 38 Châtillon (2 oct.). 39 St-Vincent. 40 Verrex (Verrès) (3 oct.). Fort-de-Card, Donnas. 41 St-Martin (Pont St-Martin), Montestrutto. 42 Imée (Ivrea). 43 St-Germain (7 oct.). 44 Verceil ( Vercelli ) (8 oct.). 45 Carsano (13 oct.). 46 S’illeneuve. 47 Casal (Casale). 48 Valence (Valenza) (14 oct.). 49 Cervesine. 50 Minuto (15 oct.). 51 Plaisance ( Piacenza ) (16 oct.). 52 Pontemura (17 oct.). 53 Cassadio. 54 Fiorenzola (Fiorenzuola). 55 Borgo-San-Domino. 56 Castalgnelfo (18 oct.). 57 Palazzo. 58 Fraore. 59 Parme. 60 St-Ilaire. 67 Cello. 62 Reggio (Reggio-nell’Emilia). 63 La Rubière. 64 Modène (Modena). 65 Castel-Franco. 66 Samogia. 67 Bologne. 68 Immola (17 nov.). 69 Fayence (Faenza) (18 11 v.). 70 Forli. 71 Cesène. 72 Saviniano. 73 St Archangelo Rimini. 74 Pezaro (pesaro), Fano. 75 Sénégaille (Senigallia). 76 Ancône, Camérano. 77 Lorette. 78 Fermo. 79 Monte-Rubiano.
Retour : Monte-Rubiano : (départ le 24 avril 1797) 1 Tolentin (Tolentino). 2 Foligne (Foligno). 3 Spolète (Spoleto). 4 Cerni (Terni). 5 Marni (Narni), Autricole. 6 Civita Castellane. 7 Rome (1-17 mai). 8 Monte-Rosi. 9 Loncillon (Ronciglione). 10 Viterbe (Viterbo). 11 Monte-Fiascone 12 Bolsène (Bolscna). 13 Aqua-Pendentc (Aquapendente). 14 Ponte Centino. 15 Rédicofani. 16 Sienne. 17 Florence. 18 Pise (27 mai). 19 Livourne (1 juin) (du 1 au 11 juin). 20 Le Port de Vénus (Portovenere). 21 Gênes (13-24 juin). 22 Antibes (26 juin). 23 Marseille (4 juil.). 24 Aix (Aix-en-Provence) (5 juil.). 25 Beaucaire (18 juil.) 26 Tarascon (19 juil.). 27 Avignon (20 juil.) 28 Vaucluse (Fontaine de V., 21 juil.), Lille (L’Isle-sur-Sorgue). 29 Orange (22 juil.). 30 Montdragon. 31 St-Esprit (Pont-Saint-Esprit). 32 La Pallu. 33 Donzières (Donzère). 34 Montélimar. 35 Tain. 36 Tournon. 37 Vienne. 38 St-Symphorien. Lyon (24 juillet).