BD, Tome II, Ancienne église de Chalmazel., page 3, La Diana, 1881.
Ancienne église de Chalmazel.
M. Vincent Durand décrit l’église de Chalmazel, aujourd’hui en voie de démolition, qu’il a visitée le 9 mai dernier en compagnie de M. Eleuthère Brassart.
Le corps de cet édifice, peu remarquable dans son ensemble, mais curieux dans ses détails, se composait de trois travées presque carrées, formant une nef et un choeur à chevet rectangulaire. Des voûtes assez basses, à croisées d’ogive, les recouvraient, et la poussée de celles du choeur était maintenue par deux robustes contreforts placés d’angle. Au nord, une chapelle s’ouvrait sur la travée centrale. Elle était voûtée en berceau et, par une singularité que le choix de ce système de voûte explique, les deux contreforts dont elle était flanquée occupaient non les angles, mais le milieu des deux murs oriental et occidental. Eu face, du côté du midi, une autre chapelle voûtée aussi en berceau, mais moins grande, donnait sur la même travée, ainsi qu’un passage aboutissant à une petite porte extérieure et communiquant latéralement avec une troisième chapelle percée sur le chœur et qui renfermait jadis le banc seigneurial. A la suite venait la sacristie.
L’église ayant été bâtie sur un terrain en pente rapide, le fond de la nef était de plusieurs mètres en contre-bas du sol extérieur, et il eût été impossible de placer la porte principale à l’occident. Cette porte s’ouvrait au midi, dans la première travée. Elle était encadrée par des moulures assez élégantes et surmontée d’Lin arc en accolade, avec feuilles sculptées sur les rampants et bouquet terminal. – On pouvait remarquer quelques vestiges d’une ancienne’ décoration peinte: sur un boudin des rubans conduits en spirale, alternativement blancs et rouges; sur le tympan, de part et d’autre d’une statuette centrale, deux croix pommetées, rouges sur fond blanc, dans des quatrefeuilles jaunes, anglés de rouge et cerclés d’un rouge plus foncé. A l’intérieur, la chapelle septentrionale avait aussi conservé des traces d’un appareil simulé en doubles traits rouges sur la muraille.
Un vaste appentis en charpente abritait au dehors le grand et le petit portails. L’aire de l’église était recouverte non d’un pavé, mais d’un plancher, comme dans plusieurs autres églises de la haute montagne.
Le clocher, qui ne sera probablement démoli qu’après l’achèvement complet du nouvel édifice, mérite une description détaillée. C’est, à proprement parler, moins un clocher qu’un campanile ‘de grandes dimensions, haute muraille de 1m 10 d’épaisseur élevée à l’aplomb du mur occidental de l’édifice, terminée carrément à son sommet et à chaque extrémité de laquelle deux autres murs viennent s’appliquer en potence, formant ainsi en plan comme une H dont la barre transversale serait très-allongée. Deux contreforts moins élevés s’appliquent à leur tour sur ces murs dans le prolongement de la muraille centrale. Celle-ci est percée de deux étages de fenêtres à plein – cintre, d’une extrême simplicité, destinées à recevoir les cloches, deux à chaque étage. Un peu au-dessous du niveau des fenêtres inférieures, du côté de l’est, des dalles placées en encorbellement forment une espèce de galerie, large de 1m 10 environ, à laquelle on accède par un escalier à vis placé à l’angle sud-ouest du campanile et qui desservait aussi une tribune en charpente construite au bas de la nef. Sur cette galerie repose le pied d’un escalier en bois par lequel on monte à une galerie supérieure, aussi en bois, supportée par des corbeaux engagés dans les murs extrêmes en retour et placée un peu au-dessous des fenêtres supérieures, qui sont beaucoup plus petites que celles du rang inférieur. Enfin, le campanile est couronné par un toit à quatre pentes dont le bord libre est soutenu, à l’est et à l’ouest, par une poutre longitudinale reposant pareillement sur des corbeaux et fortifiée par des pieds de chèvre.
Une eschiffe en charpente, percée de vasistas et dont la saillie laisse un jeu suffisant aux cloches, masque les ouvertures inférieures du campanile du côté de l’ouest. Cette ordonnance ne manque point d’originalité, ni même d’élégance. Quant au côté de l’est, il est déshonoré par une misérable clôture moderne, en lattes garnies de maçonnerie, percée d’ouvertures rectangulaires semblables à celles d’une maison, qui remplit entièrement, et du haut en bas, l’intervalle compris entre les extrémités des murs en T. On ignore si, à l’origine, les deux galeries desservant les cloches étaient closes et quelle était la forme de l’abri qui les protégeait.
Trois cloches meublent le campanile de Chalmazel. La principale, de grandeur médiocre, mais d’une belle exécution, porte la légende suivante, inexactement transcrite par M. Gras (1) :
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(1) Revue Forézienne, t. IV p. 30.
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HPS (sic pour XPS) : VICIT : HPS : REGNAT : HPS : INPERAT : HFS : AB: OMNI : MALO : NOS : DEFEDAT.
Ligne de cartouches groupés deux à deux : Saint Pierre ; Saint Paul. – Saint Antoine, avec son porc et le T ; Evêque. – L’ange Gabriel ; la Sainte Vierge (Annonciation). Saint Jean -Baptiste; Saint Michel.
NOBLE : MESSIRE : CLAVDE : DE : CHALMAZEL : CHLR : DE : LORDE : PARRIN : ET: NOBLE: DAME: MARIE : PERONE : D : LA : CLAIETE : MARINE.
1611.
Belles croix fleuronnées sur les deux faces principales de la cloche. Elle n’est pas signée, mais plusieurs figures sorties de matrices appartenant aux Mosnier permettent de l’attribuer à un fondeur de cette famille.
Les anses de suspension sont fort élégantes ; elles sont ornées de mascarons coiffés d’une cagoule et dont la langue, largement tirée, se transforme en feuille d’acanthe.
Les deux autres cloches, placées à l’étage supérieur du campanile, sont petites et offrent moins d’intérêt. L’une d’elles porte la marque du fondeur, Joseph Breton.
L’église de Chalmazel, on l’a déjà vu, était assise sur le penchant d’une côte très-raide. Cette circonstance avait été mise à profit pour établir une crypte sous le choeur. On y descendait de la travée centrale par un couloir dont l’entrée était masquée par un panneau mobile du plancher. Longue de 5m 50, large de 7m 10 dans oeuvre, elle était voûtée d’arête et éclairée au levant par une fenêtre trilobée de bonnes proportions. Immédiatement au-dessous de cette fenêtre, un autel de la plus grande simplicité était adossé au mur. Des croix de consécration étaient gravées sur les angles de la table. A droite, une crédence rectangulaire pratiquée dans la muraille. Sur la paroi opposée de la crypte, c’est-à-dire à l’ouest, un enfoncement de 1m 70 de longueur sur 1m 10 de hauteur se voyait à hauteur d’homme. Il était formé par deux montants verticaux, soutenant un arc très surbaissé, et reposant eux-mêmes sur une tablette en pierre au bord chanfreiné. Le fond de cette espèce d’arcosolium était rempli par une fresque, très-endommagée par l’humidité, représentant Notre Seigneur .debout dans son tombeau, la tête ceinte d’un nimbe crucifère, et tenant de la main gauche une croix de résurrection, avec banderolle blanche sur laquelle le mot SVRREXIT était seul resté à peu près visible. A gauche, un ange les mains jointes, les ailes déployées, vêtu d’une robe jaune munie d’un petit collet rabattu : le tout sur fond d’azur et d’un style indiquant le XVe siècle.
Au-dessous de cette niche deux ouvertures rectangulaires l’une, à droite, de 50 c de hauteur sur 70 c de largeur, l’autre, à. gauche, de 60 c. en carré, toutes deux pourvues de feuillures pour recevoir un volet; donnaient accès dans deux caveaux parallèles, où l’on apercevait des ossements et des débris de cercueils. Il résulte d’explications données sur place, que ces caveaux servaient à entreposer les corps. Qui ne pouvaient être immédiatement inhumés au cimetière, lorsque le sol était gelé trop profondément pour permettre d’ouvrir des. fosses.
Dans la paroi méridionale, près de l’angle voisin de. la porte cintrée donnant sur la rampe d’accès, existait une autre ouverture de 50 c. de hauteur sur 60 de largeur, communiquant dans une direction un peu oblique avec: un troisième. caveau dont on a retiré, paraît-il, une grande quantité d’ossements humains. Ce. caveau communiquait en. outre, par une ouverture semi-circulaire, avec la chapelle: seigneuriale placée au-dessus.
La base des murs regardant le nord et le midi présentait, sur 70 c. environ de hauteur, un empattement d’à-peu-près 20 c. de saillie. Enfin, l’on voyait le long de la paroi méridionale, à partir de l’angle S. E., un massif de maçonnerie, reste de fondations ou tombeau, épais d’un mètre, sur 2m 50 de longueur et 65 c. de hauteur approximative.
La décoration peinte de la crypte ne se bornait pas au panneau de la Résurrection; mais les murailles et peut-être même la voûte avaient été jadis couvertes de fresques, presque complètement détruites au de la démolition. Il n’en restait guère :que quelques traces de personnages sur la paroi nord, et au côté gauche de l’autel, la moitié supérieure, assez bien conservée, d’une figure de Saint Louis en costume royal, sur un fond jaunâtre semé de fleurs de lis et autres ornements peints en rouge et simulant une étoffe brochée. Un écusson peint à la croisée des arêtes de la voûte venait de disparaître. M. Vincent Durand croit avoir reconnu, lors d’une visite antérieure, qu’il était parti de Talaru et de Marcilly, mais certains détails donnés par les ouvriers laissent à supposer qu’il cachait un écusson plus ancien.
Tout, dans l’édifice qui vient d’être décrit, contreforts placés d’angle, profils des ouvertures, arc en accolade servant de pignon à la porte principale, nervures des voûtes, encore munies d’un boudin, mais qui affectaient déjà la forme carénée, tout, disons-nous, semblait en fixer la date au XVe siècle. Un détail toutefois paraissait en contradiction avec ces données. Tandis que les pilastres à trois pans soutenant les arcs doubleaux de la nef dénotaient sans équivoque l’art ogival de la décadence par les moulures de leurs bases et de leurs impostes, ces arcs doubleaux eux-mêmes, à section carrée, avec joints de mortier accusant l’appareil des claveaux, auraient aisément pu être rapportés au. XIIe ou même, à la rigueur, au XIe siècle.
La démolition de l’église est venue donner le mot de cette anomalie. En effet, elle semble avoir montré que les impostes des arcs doubleaux avaient été rapportées après coup, en même temps qu’on abattait les angles des piliers, pour les mettre à la mode du XVe siècle. On a reconnu de plus l’existence d’un mur terminal, parementé en pierres de taille, au-dessus de l’arc doubleau mettant en communication la nef et le choeur : ce qui laisse croire que sur l’emplacement de ce dernier existait primitivement une abside moins élevée que la nef et, probablement, demi-circulaire. Enfin l’on a trouvé à la partie supérieure du passage aboutissant à la petite porte, des traces manifestes d’une cage circulaire ayant contenu un escalier tournant, qui devait conduire à un clocher ou campanile situé à l’extrémité orientale de la nef.
A ces indices si l’on joint ceux fournis par la découverte de moulures, fragments de colonnettes, etc., noyés dans les maçonneries, on est amené à conclure que l’église de Chalmazel était un édifice roman agrandi, restauré, rajeuni au XVe siècle, époque à laquelle on aurait refait les voûtes et remanié les piliers de la nef, en respectant toutefois les arcs doubleaux, dont l’ogive un peu trapue ne s’éloignait pas trop des formes écrasées en honneur à cette époque.
A l’appui de cette description, M. Vincent Durand présente des plans et croquis et M. Eleuthère Brassart une suite de photographies reproduisant l’ensemble et les principaux détails de l’église de Chalmazel. Une de ces photographies, obtenue à l’aide d’une pose prolongée, représente la fresque de la Résurrection, dans la crypte.
M. Jeannez dit que les dispositions du campanile de Chalmazel sont fort originales, et qu’il serait utile d’en joindre un dessin à la description qui précède.