BD, Tome II, Eglise du Moutier de Thiers – Communication de M. Brassart. – Voeu pour la conservation de cet édifice., pages 89 à 93, La Diana, 1882.
Eglise du Moutier de Thiers – Communication de M. Brassart. – Voeu pour la conservation de cet édifice.
M. Eleuthère Brassart dit qu’ayant profité d’un récent voyage à Thiers pour revoir l’église du Moutier, il a trouvé la grande nef et le collatéral nord interdits au public par des barrières. Cette mesure de précaution a été motivée par certains désordres qui se sont produits dans les voûtes et dont les causes, probablement complexes, sont difficiles à apprécier à première vue. M. Brassart s’est enquis de ce que l’on se proposait de faire et il a été très alarmé d’apprendre qu’une notable portion de l’édifice, sinon la totalité, était menacée d’être jetée à bas. C’est même la partie la plus ancienne (et la plus solide peut-être) qui serait plus particulièrement visée par ces projets de démolition. Une telle mutilation, si elle devait s’accomplir, serait à jamais déplorable au point de vue de l’art et de l’histoire.
Des souvenirs historiques qui se rattachent à l’église du Moutier, M. Brassart ne veut rappeler que ceux relatifs à sa construction elle-même.
Saint Grégoire de Tours nous apprend que l’église primitive du Castrum Thigernum était en bois. Elle possédait trois petites pierres arrosées du sang de saint Symphorien martyr d’Autun : lors de l’incendie du Castrum par les Francs du roi Théodoric, la châsse contenant ces reliques fut respectée par le feu. Depuis, c’est-à-dire entre les années 531 et 590, une nouvelle basilique fut élevée sur l’emplacernent de la première (1).
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(1) Saint Grégoire de Tours: De gloria Martyrum, chap. LII. – Longnon : Géographie de la Gaule au VIe siècle, p. 512.
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De cette église du Vie siècle que reste-t-il aujourd’hui ? Une étude très approfondie de la construction permettrait-elle de faire remonter jusqu’à cette époque certaines parties du mur septentrional ? Ce qui est plus sûr, c’est que le choeur bâti, dit-on, au VIIIe siècle et si curieux par ses tribunes, ses chapiteaux nattés et l’ensemble de son ordonnance, a toutes les apparences d’une construction carolingienne.
En 1002, d’après La Mure (1), et non en 912 comme disent Baluze et la plupart des historiens d’Auvergne, qui l’ont religieusement copié (2),Guy des vicomtes d’Auvergne, seigneur de Thiers, réforma l’abbaye de cette ville, vulgairement appelée le Moutier (Monasterium). Il y établit la règle de saint Benoît et la donna à Cluny. Ce fait donne l’explication du caractère fortement bourguignon empreint sur la partie de l’église (les nefs) construite au XIe siècle.
On n’y observe ni incrustation, ni marqueterie en pierres de couleur.
ÉGLISE DU MOUTIER DE THIERS
CHAPITEAU DU NARTHEX
(D’après une photographie de M. E. Prassart).
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(1) La Mure-Chantelauze : histoire des ducs de Bourbon et des Comtes de Forez, T. I, p. 191. – Voir aussi Gallia Christiana, T. II, col. 363.
(2) Baluze : histoire de la Maison d’Auvergne, T. II, p. 29.
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L’acte de donation à Cluny ne peut être de 912. Il y est dit: Idcirco ut omis aliquantulum possit ferri, domnum 0dilonem Cluniensem abbatem studuit evocare, ut onus secum ferret, et la date est ainsi conçue : Franco scripsit mense septembri, feria VI, regnante Rodberto rege, anno XV. Or saint Odilon fut abbé de Cluny de 990 à 1049 (Gallia Christiana, T. IV, col. 1128), et Robert II, associé à la royauté depuis 987, par Hugues Capet son père, était en 1002 dans la XVe année de son règne (Art de vérifier les dates, édition de 1770, p. 544). Ajoutons que les deux volumes des Chartes de Cluny, qui s’arrêtent à l’année 987, ne contiennent pas cette pièce, ce qui prouve que la date de 912 est rejetée aussi par leur savant éditeur, M. Alexandre Bruel.
Les colonnes sont surmontées d’une série de superbes chapiteaux, qui ne le cèdent point en beauté aux sculptures les plus célèbres de l’école clunisienne. Rien de plus intéressant que de comparer sous ce rapport l’église du Moutier à celle de Saint-Genès de Thiers : celle-ci, commencée également au XIe siècle, est de pur roman auvergnat.
L’église du Moutier était classée au nombre des monuments historiques : elle a perdu ce titre. On se demande ce qui a pu provoquer une pareille mesure. Cet édifice remplit cependant à un haut degré une des conditions requises pour figurer parmi les monuments historiques : Etre unique en son genre dans le pays.
Notre Société, dit M. Brassart, remplirait un patriotique devoir en élevant la voix en sa faveur; Thiers a appartenu pendant de longues années à nos comtes; son histoire est mêlée intimement à la nôtre : nous ne sortirions donc pas de notre rôle en plaidant la cause de son plus remarquable monument.
M. Brassart fait ensuite passer sous les yeux de la Société un certain nombre de photographies reproduisant l’intérieur et quelques-uns des plus beaux chapiteaux de l’église du Moutier.
M. Vincent Durand appuie la motion faite par M. Brassart et insiste sur la haute valeur archéologique de l’église du Moutier. Il signale ce fait curieux de l’emploi, pour coiffer quelques colonnes, de bases antiques retournées. La largeur des fissures survenues à la maîtresse voûte ne lui semble pas en rapport avec le tassement considérable qu’ont subi les piliers de la rangée nord, et ce tassement lui-même a l’air ancien. D’un autre côté, le mur extérieur de la partie basse du collatéral nord a conservé son aplomb. Ces circonstances portent à croire que la mauvaise qualité des mortiers et le poids trop considérable des voûtes sont une des causes principales de leur état ruineux : il suffirait donc peut-être de les rétablir en matériaux plus légers, en fortifiant au besoin les contreforts de la nef centrale.
ÉGLISE DU MOUTIER DE THIERS.
CHAPITEAU DANS LA BASSE NEF MÉRIDIONALE
(D’après une photographie de M. E. Brassart).
Après avoir entendu quelques autres observations échangées entre les membres présents, l’assemblée émet, à l’unanimité, le vœu que les réparations devenues nécessaires à l’église du moutier se bornent à la reprise et à la consolidation des parties peu solides, et que des mesures efficaces soient adoptées pour assurer la conservation intégrale de ce précieux édifice.