BD, Tome II, Fouilles de Chaysieu, commune de St-Romain-le-Puy. Communication de M. Rochigneux, pages 222 à 233, La Diana, 1883.
Fouilles de Chaysieu, commune de St-Romain-le-Puy. Communication de M. Rochigneux.
M. Rochigneux rend compte comme il suit des fouilles exécutées à Chaysieu, commune de Saint-Romain-le-Puy :
Une découverte archéologique importante a été faite l’an dernier, à cinq kilomètres environ de Montbrison. Un paysan possesseur d’une terre dite le Couvent, au territoire de Chaysieu, commune de Saint – Romain – le – Puy, s’apercevant depuis plusieurs années que dans une portion de son champ située immédiatement au-dessous du chemin de fer, les céréales étaient peu vigoureuses et séchaient avant leur maturité, voulut connaître les causes de cette stérilité et se mit à défoncer son terrain.
Dès les premières tranchées, il mit à jour, au-dessous d’une mince couche de terre végétale, les substructions d’une muraille large et bien bâtie, puis l’aire bétonnée d’une habitation, que recouvraient plusieurs lits superposés de décombres indiquant des incendies violents et successifs et une destruction intentionnelle et implacable. Parmi ces matériaux, composés d’humus et de cendres, de chaux et de ciment, mélangés de tuiles et de briques, de tessons de poterie et de clous, il trouva, bouleversés dans tous les sens, calcinés parfois, des fragments considérables d’opus signinum, ayant appartenu au pavé d’une salle. A plusieurs de ces fragments adhéraient encore quelques portions d’une mosaïque d’un beau travail ; on y voyait sur un fond blanc, deux poissons de grandeur différente et formés de cubes de quatre couleurs, des dessins variés, et surtout, chose plus rare, des vestiges d’une inscription, mais trop incomplète pour être déchiffrée.
Ces précieux débris furent déposés par l’inventeur dans la cour de sa maison située près de Saint-Thomas, où ils restèrent assez longtemps exposés aux intempéries.
Informée de ces faits, la Société de la Diana fit l’acquisition de ces intéressantes épaves et prit des mesures pour sauver le reste d’une destruction imminente. Malheureusement déjà la presque totalité des morceaux de l’opus signinum, ou béton de la mosaïque, ayant été trouvés recouverts d’une couche de terre et de matières adhérentes et calcinées par le feu, avaient été dédaignés et enfin vendus pour servir à des rases d’assainissement.
Quelques jours après l’acquisition des restes de la mosaïque, une délégation de la Société de la Diana, composée de MM. Testenoire et Brassart, fit des démarches auprès de MM. Fréry et Foujols, propriétaires, l’un des substructions, l’autre des champs voisins, en vue d’obtenir l’autorisation d’entreprendre, en temps opportun, des fouilles régulières dans leurs terrains respectifs.
Les négociations ne purent aboutir avec le premier, mais M. Foujols, entrant complètement dans nos idées, déclara prendre à son compte les dépenses.des fouilles, mit immédiatement des ouvriers à l’oeuvre et finalement chargea la Société de la direction de ces travaux. C’est donc à lui que revient tout l’honneur des découvertes, puisque lui seul en a supporté tous les frais. Qu’il reçoive ici l’hommage public de notre gratitude !
Avant d’entrer dans les détails succints des fouilles, j’estime qu’il convient de faire connaître sommairement la topographie des lieux et ce que l’on savait déjà des antiquités qu’ils recèlent.
A environ 3 kilomètres au sud-est de l’antique cité de Moind, s’étend un vaste plateau, d’une faible élévation, dont les eaux s’écoulent d’une part dans la Curraize et de l’autre dans un des sous-affluents du Vizézy. Ce plateau qui, par une légère courbe, se dirige de l’ouest au nord-est, est traversé dans sa partie occidentale par le chemin de fer de Saint-Etienne ; il se relève ensuite et va se souder, par le coteau des Allemands et la butte de la Garde, aux derniers contreforts de la chaîne des monts du Forez.
A droite et à gauche de la voie ferrée, qui traverse Chaysieu en tranchée, sur le territoire des communes de Saint-Thomas-la-Garde et Saint-Romain-le-Puy, le sol, sur une étendue de plus de dix-huit mille mètres carrés, est jonché d’ossements divers et de débris nombreux de tuiles à rebords et de poteries de tout genre ; cependant il ne conserve à la surface aucun vestige apparent de constructions antiques, ni d’accidents artificiels de terrain.
D’après des traditions locales, entretenues par des découvertes constantes de substructions et de débris de toute nature, il aurait existé en ce lieu une ville détruite par un grand incendie. Quelque exagération qu’il puisse y avoir dans cette croyance populaire, il faut pourtant convenir, en parcourant attentivement le terrain, surtout à l’époque des labours, qu’elle a un certain fonds de vérité : il y a eu là certainement un centre de population de quelque importance.
Le site de Chaysieu est de ceux que les Romains aimaient à occuper. En effet, la position saine et légèrement élevée du plateau, son assiette stratégique aux confins de la plaine et près de l’entrée des défilés, le voisinage de buttes élevées ayant pu servir de postes d’observation, la proximité d’un cours d’eau et surtout la vue magnifique dont on jouit sur la plaine du Forez et les montagnes qui l’encadrent, tous ces avantages étaient trop précieux pour n’être pas mis à profit par les conquérants des Gaules, qui cherchaient à la fois des positions élevées pour surveiller les environs et des sites agréables pour s’y établir.
L’abondance des débris de terre cuite aurait pu s’expliquer par l’existence en ce lieu d’un vaste établissement céramique. Mais cette hypothèse parait devoir être provisoirement écartée: la couche argileuse d’une partie de l’étage supérieur du versant méridional du plateau semble de trop mauvaise nature pour la poterie, le gisement en est trop éloigné des constructions découvertes et l’on n’a rencontré jusqu’à présent ni fours, ni rebuts de fabrique.
C’est seulement en 1864, au cours des travaux de construction du chemin de fer, que l’attention des archéologues s’est portée sur Chaysieu. En creusant la tranchée qui existe en ce point, les ouvriers employés aux déblais recueillirent, parmi d’autres débris, une quantité de tuiles à rebords, de poteries très-variées et quelques médailles impériales. De plus ils mirent à jour des portions considérables de murailles et une aire en béton d’une extrême solidité.
Avisé de ces découvertes, M. Gras, secrétaire de la Diana, se transporta sur les lieux et, après un examen attentif, rédigea une note, rendue publique, sur ces intéressantes trouvailles (1). Malheureusement le peu d’espace exploré, et plus encore la rapidité des travaux de déblaiement, ne lui permirent pas de s’assurer si l’aire dont je viens de parler appartenait à une habitation ou à une chaussée antique. Néanmoins, cette découverte fut un trait de lumière et le point de départ de savantes et laborieuses recherches faites par M. Gras et continuées par M. Vincent Durand, son successeur. Ces deux archéologues acquirent la certitude que la voie Bolène traversait le territoire de Chaysieu près duquel, d’après M. Vincent Durand (2), elle devait s’embrancher avec une ou plusieurs voies venant de Moind.
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(1) Journal de Montbrison, no du 24 juillet 1864.
(2) Mémoires de la Société de la Diana, tome II, page 120.
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Les travaux en cours d’exécution semblent, comme on le verra, apporter une preuve nouvelle aux constatations et aux conjectures de ces deux savants.
Les fouilles ont été entreprises sur deux points à la fois, savoir, au-dessous du chemin de fer, dans un terrain avoisinant le champ qui renfermait la mosaïque, et 170 mètres plus loin, au nord du chemin vicinal de Saint-Thomas à Précieu, dans une terre où la charrue était souvent arrêtée par des obstacles.
Sur le premier point, les travaux d’investigation ont fait découvrir, à une petite profondeur, une série de murs de construction et d’épaisseur différentes, dont l’ensemble forme plusieurs pièces rectangulaires et trapézoïdales.
La variété des matériaux employés indique l’oeuvre de plusieurs époques. A part deux exceptions, ces murs, sont généralement bâtis en très bonne chaux; et c’est le granit (dans un seul, il se montre disposé en petit appareil régulier) qui entre en totalité ou en majeure partie dans leur construction. Les autres matériaux employés sont le basalte et les cailloux de rivière ; un mur est construit en débris de tuiles sur une certaine longueur, le reste est en béton ou opus signinum. Deux des murs dont nous parlons se prolongent de l’autre côté de la tranchée du chemin de fer.
L’aire de la plus grande salle est formée d’un béton très épais et d’une grande solidité ; il était recouvert en maints endroits d’un enduit de ciment à surface lisse. Les autres pièces, sans doute plus bouleversées, ne gardaient aucune trace de dallage.
Sous les déblais de ces dernières, les ouvriers ont mis à découvert, à 0m 50 et 0m 95 de profondeur, deux conduits superposés, destinés selon toute apparence à l’assainissement des bâtiments et à l’écoulement des eaux ménagères. Ce qui restait du conduit supérieur, détruit en partie par la charrue et démoli à fond par les ouvriers, avait 2 m. 50 de longueur; son ouverture mesurait 0 m. 12 dans les deux sens.
Le conduit inférieur, dont une partie des dalles de couverture avaient disparu, est formé de gros blocs de granit, équarris grossièrement et assez bien assemblés ; il mesure à l’intérieur de 0m 25 à 0m 30 de largeur sur 0m 20 à 0m 25 de hauteur. Ce conduit longe d’abord parallèlement un des grands murs, puis décrivant une double ligne courbe, le traverse vers la droite, puis revient sur la gauche pour suivre désormais une ligne droite jusqu’à la rencontre de nouvelles substructions.
Au nord-est et à peu de distance des bâtiments traversés par ce conduit, les ouvriers ont découvert, avec certitude absolue de prolongement dans les terres ensemencées, un tronçon de chaussée non recouverte de pavé, d’une longueur de 20 mètres dans la partie explorée, sur une largeur variable de 1m 20 à 2 mètres, avec trace d’une sorte de trottoir sur le côté oriental. La direction est celle de Moind.
La coupe de ce reste de chaussée présente trois couches superposées de matériaux, avec mélange et couches intermédiaires de terre : l’épaisseur totale est de 0m 65. Les couches supérieure et inférieure, d’égale épaisseur, sont formées de cailloux et blocs de granit de moyen volume ; la couche intermédiaire est un mélange de petites pierres concassées et de chaux. Il est à remarquer que plus on approche du fond de la chaussée, plus on trouve de débris d’amphores et de tuiles, mais surtout d’ossements.
Les fouilles régulières pratiquées entre cette chaussée et les constructions, jusqu’à la rencontre du sol vierge, que l’on trouve à des profondeurs très variables, nous ont donné de nouvelles preuves de bouleversements et d’incendies successifs en effet, dans la masse des décombres, on découvre jusqu’à trois couches de cendres, parfois fortement mélangées de charbons de bois.
Parmi les débris, en nombre étonnant, qui ont revu le jour, on distingue :
1° de grosses tuiles rectangulaires à rebords ( tegulœ ), avec quelques imbrex ;
2° des quantités de plus petites tuiles, également à rebords, minces et diversement striées en dessous, quelques-unes percées à leur sommet et à leur base de trous destinés à introduire des clous pour les fixer sur une charpente inclinée ;
3° de grandes briques, carrées ou rectangulaires, de différentes dimensions, paraissant avoir appartenu à un hypocauste ; d’autres en forme de quart d’ellipse, ayant dû servir à monter des colonnes ;
4° de nombreux fragments d’amphores en terre blanche ou rouge, avec marque du fabricant, et d’autres grandes poteries, très-épaisses ;
5° des tessons de vases de toute grandeur et de toute forme ; les uns, rugueux au toucher, de couleur spécialement grise, d’une facture plus ou moins grossière avec rares dessins en creux ; les autres, de couleur blanche, jaune, rouge ou noire, d’une pâte fine et douce, chargés parfois de fort jolis feuillages en relief ;
6° des portions notables de vases très-fins, en terre douce et lustrée, dite de Samos, en forme d’assiettes ou de grands bols, avec décoration en relief, représentant des végétations variées ou des figures d’animaux, du travail le plus délicat ;
7° quelques très-petits échantillons en terre dite de Lezoux ;
8° une petite lampe, commune et sans anse, en terre fine et très-légère, trouvée presqu’entière, mais brisée par la pioche des ouvriers ;
9° quelques fragments de petits vases en verre, de diverses formes ;
10° une sorte de pierre à aiguiser, blanche et longue, à section carrée ;
11° des portions assez considérables de meules de moulins à bras ;
12° plus de cinquante clous ou crosses, de toute longueur, fortement oxydés, souvent tordus avec trace de brûlure ; une sorte de serpe ; trois barres métalliques, plates ou carrées; des scories de fer ;
13° de petits débris d’ornements ou d’instruments en bronze ; une agrafe dont la partie moyenne est intacte ; une sorte d’épingle à cheveux, assez élégante ;
14° un petit nombre de monnaies éparses, les unes frustes, les autres des règnes d’Auguste, Tibère, Trajan, Adrien, Antonin et Marc-Aurèle ;
15° et enfin, des quantités extraordinaires d’ossements d’animaux, des cornes de taureaux et de béliers, celles d’un tout jeune cerf, des défenses de sangliers ou de porcs noirs d’Italie, et aussi quelque ossements humains à demi calcinés.
L’eau de pluie qui nous envahissait de plus en plus, et l’impossibilité momentanée de pénétrer dans la terre voisine, nous ont forcé d’interrompre en ce point nos intéressantes investigations.
Mais nous devions avoir une bien agréable compensation.
A quarante mètres environ à l’est des constructions déjà décrites, des sondages pratiqués dans le prolongement de l’axe du conduit nous ont révélé la présence, à peu de profondeur, de petites substructions d’une forme bizarre mais d’une construction solide, au-delà desquelles commencent et se continuent sur plus de 120 mètres de longueur, les restes d’une chaussée antique.
Son tracé qui se dirige du sud-ouest au nord-est, en ligne droite vers les hauteurs de Rufieu, la nature de ses matériaux de construction, les débris romains qui la recouvrent, tout semblait indiquer, d’après les données écrites que nous possédons, que nous avions retrouvé la voie Bolène.
Malheureusement, il ne nous a pas été possible de reconnaître sa largeur exacte. Par suite des travaux de culture ou peut-être de destructions intentionnelles, ses côtés ont été si profondément entamés, qu’on ne lui trouve que deux mètres de largeur là où elle commence, pour atteindre cinq mètres au point où nous avons cessé de la mettre à découvert, c’est-à-dire à 60 mètres plus à l’est.
Sa surface, assez unie dans son ensemble, présente de nombreuses aspérités, mais nulle part on ne trouve trace de pavé proprement dit, et tout porte à croire qu’elle était surmontée d’un simple empierrement.
Les différentes coupes pratiquées en travers de cette chaussée, donnent les épaisseurs extrêmes de 0m 25 à 0m 40, et présentent deux couches superposées de matériaux ; l’inférieure, généralement plus épaisse, est formée tantôt de gros, tantôt de moyens blocs de granit ; le revêtement supérieur est composé de menues pierres et de cailloux parmi lesquels on trouve beaucoup de débris de poteries fines, de tuiles et d’amphores.
Les fouilles entreprises au nord du chemin vicinal de Saint-Thomas à Précieu ont également donné de très-importants résultats. Elles ont fait découvrir à la faible profondeur de 0m 25 en moyenne, de nombreuses substructions, assez étendues, qui, à en juger par la nature de leurs matériaux, leur arrangement entr’elles, leur emplacement éloigné de toute chaussée et dans un axe tout différent, semblent n’avoir aucun rapport avec celles découvertes plus au midi.
Ces constructions, une seule exceptée, sont toutes assujéties à la même orientation et paraissent, en général, avoir été élevées d’un seul jet. Quoique toutes bâties en pierres sèches et d’une apparence primitive, elles portent dans les détails de leur construction et la pureté de leurs alignements, le cachet d’une civilisation assez avancée.
Dans leur ensemble, on distingue avec ses côtés en retour franchissant le chemin, une muraille droite de 46 mètres de longueur, s’élargissant graduellement à l’ouest, où elle se montre flanquée de contreforts inégaux ; puis à l’est, trois cases rectangulaires, assez vastes, mais inégales et isolées dans les champs; et enfin plus au nord, les vestiges importants d’une construction assez singulière, qui a conservé des restes de dallage en granit et morceaux de tuiles, joints par de la terre battue.
Dans les terres, toutes noires de cendres et d’humus, retirées du voisinage immédiat de ces substructions, on ne trouve pas de débris de poterie fine ; mais les fragments de petits vases de couleur brune, d’amphores, de meules en basalte, abondent. Les déblais ont également rendu des fibules et un anneau en bronze, plusieurs silex, des morceaux de verroterie, de nombreux clous et crosses, un crâne et d’autres ossements humains, trois monnaies gauloises en potin, et deux pièces du haut empire, très frustes (1).
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(1) Nous devons à M. Philippe Testenoire, dont le savoir numismatique fait autorité, la détermination des monnaies recueillies à Chaysieu.
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La mise en culture des terres nous a forcé, trop tôt hélas ! de suspendre nos explorations, mais nous avons l’espoir certain, grâce au zèle et au désintéressement de M. Foujols, de pouvoir reprendre nos travaux après la moisson. Puissions-nous alors, fouillant dans le trésor de nos archives en même temps que dans les entrailles de la terre, retrouver d’anciens témoignages ou arracher au sol de nouveaux secrets, et ajouter enfin, en assemblant nos preuves, une page modeste à l’histoire de notre pays !
M. Rochigneux complète ces explications en mettant sous les yeux de la Société un plan du territoire de Chaysieu à l’échelle de 0, 004mm par mètre, sur lequel il a reporté avec beaucoup de soin les résultats des fouilles.
La Société entend avec un vif intérêt les détails donnés par M. Rochigneux, et vote des remerciements à M. Foujols pour le concours empressé et généreux qu’il veut bien apporter à l’étude de nos antiquités foréziennes. La science ferait de rapides progrès, si ce noble exemple était partout imité.